Après des études de gestion, de cinéma et de sociologie, Bénédicte Banet commence sa carrière journalistique à l'international en suivant la dislocation de l'URSS au début des années 90. En France, elle se spécialise dans les conflits sociaux et devient la première femme Journaliste Reporter Images à couvrir le Paris-Dakar. Free-lance, elle travaille comme Journaliste Reporter d’Image pour France Télévision, la RTS, la RTBF et les agences de presse CAPA et 17 JUIN Media… En 1998, elle crée la société de production InSitu pour assurer les tournages news et magazines des chaînes étrangères ainsi que la réalisation de films d'entreprise. Depuis 20 ans, Bénédicte assure également la formation des reporters au CFPJ Paris. Passionnée par le documentaire, elle réalise et produit des projets "coup de cœur" tel que Plumes en exil (ARTE) et Vanuatu, le peuple de feu (Canal+, National Geographic), Prix spécial du Jury au festival ethnographique Ekoptofilm de Bratislava.
En 2013, elle a finalisé son film « Holodomor, le génocide oublié ». Il sera projeté à Paris au cinéma Action Christine le 23 novembre 2013 à 10h.
- Quelle place ce documentaire occupe-t-il dans votre carrière ?
Ce film est pour moi un défi. Le premier défi était d’amener le projet de documentaire à son aboutissement, cette étape est atteinte pour la commémoration du 80ème anniversaire du Holodomor. Le deuxième défi est celui de la diffusion en télévision ou en salle pour toucher le maximum de personnes.
Ce film est dédié à tous les survivants que j’ai rencontrés. Ils m’ont touchée par leur émotion, leur souffrance mais aussi leur combativité et leur dignité.
- Votre démarche est-elle d'essence historique, mémorielle ou sociologique ?
J’ai voulu traiter ce film au-delà d'un film historique, comme un film de société. Archives historiques, analyses de spécialistes s’intercalent avec le ressenti des ukrainiens d’aujourd’hui, leur vie au quotidien. Car la survie pour tout ukrainien de la ville ou de la campagne qui ne soit pas liée à l’économie mafieuse, dépend des produits de la terre, tout comme dans les années 30.
Ce film est pour moi un devoir de mémoire. La réalité du monde géopolitique aujourd’hui (comme par exemple en Somalie, en Syrie) montre que l’utilisation de la famine comme outil politique et arme de guerre est malheureusement toujours d’actualité.
En tant que citoyen d’un pays démocratique on ne peut rester endormi dans notre confort et laisser le monde se déchirer. Nous sommes tous concernés par l’histoire des autres. Le totalitarisme, quelle que soit la forme qu’il prend, doit être combattu.
- Que vous inspirent les crispations qui surgissent dès que se pose la question de la reconnaissance du Holodomor comme génocide ?
Au niveau politique, si les pays européens restent indifférents à cette période de l’histoire, on peut légitimement s’interroger sur l’influence des intérêts économiques dans les relations entre l’Europe et la Russie, en autre le gaz et le marché potentiel que représente la Russie. L’Europe ne veut pas « contrarier son ami russe » !
Edouard Herriot, lors de sa visite en 1932, a déjà eu cette attitude. Les intérêts économiques et politiques lui ont fermé les yeux, d’autant plus que Staline déjà devenu maître dans l’art de la manipulation, avait su mettre en scène une Ukraine heureuse et en pleine expansion économique.
Staline avait peur de perdre l’Ukraine comme il l’avait écrit à Kaganovitch dans sa lettre d’août 1932. Aujourd’hui, Poutine suit une politique internationale qui s’inspire de celle du régime soviétique quant à la mainmise qu’il veut continuer à avoir sur les anciennes républiques de l’URSS.
Pour lui, l’Ukraine représente un autre enjeu : un débouché sur la mer Noire.
Le peuple ukrainien dont la culture a été brisée par le Holodomor et par la période de terreur des années trente a profondément été blessé dans son âme. Le refus aujourd’hui de le reconnaître comme un génocide par de nombreux pays, dont la France, est une seconde souffrance.
Ces souffrances se perpétuent de génération en génération consciemment ou inconsciemment.
J’espère que ce film pourra contribuer à une reconnaissance du Holodomor comme génocide.
Propos recueillis par Frédéric du Hauvel
Le film « Holodomor, le génocide oublié » sera projeté
A Paris : au cinéma Action Christine le 23 novembre à 10h suivi d’un débat avec l’historien Etienne Thévenin.
A Angers le 1er décembre.
Le film est disponible pour toute personne désirant organiser une projection publique. Le DVD sera en vente dans les prochaines semaines.