En septembre dernier, à l’occasion de Knyjkoviy Arsenal, Forum des livres à Kyiv, un événement a dominé les autres : le lancement d’une trilogie Daogopak. Le premier volume de cette malyovana istoria (BD ukrainienne) « Tournée à Antalya » a été présenté au grand public.
C’est une malyovana istoria qui nous raconte les aventures de trois amis cosaques - Oles Skorovoda, Taras Peresitchvolia et Mozgoviy (qui est par ailleurs cosaque kharakternyk, c'est à dire un sorcier). Les compères partent en Turquie pour une mission de renseignements. Ils ont pour couverture une tournée d'artistes. Le but de leur mission est de libérer les cosaques réduits à l'esclavage dans le palais à Antalya.
Or le destin et la force majeure les détournent de leur but principal : la rencontre inattendue avec une fillette japonaise Ari-San, la garde du corps du fils de Sultan. Elle changera le destin du jeune cosaque Oles.
Les auteurs, Maxim Prasolov (auteur de scénario), Oleg Kolov (dialogues) et Oleksiy Tchebykine (dessinateur), ont eu l’ambition de créer une histoire universelle en se basant sur les contes et les symboles ukrainiens. Ils sont partis à la chasse au trésor dans la jungle de la mythologie ukrainienne.
Insatiables, ils se donnent des moyens impressionnants. Ils ont prévu sur un période très brève (deux ans) de faire paraitre trois volumes de Daogopak, de lancer ou soutenir des projets parallèles (Maxym Osa, Tchoub), de sortir des produits dérivés et même de créer un jeu vidéo.
Rappelons au passage, qu’en Ukraine, le secteur de la BD reste à l’état embryonnaire. Ce genre n’étant pas reconnu comme un art à part entière en URSS. Même aujourd’hui, il s’agit plutôt d'une affaire d’amateurs-pionniers du genre. Le lancement de ce projet si ambitieux est alors une affaire risquée.
Celui-ci a de très grandes ambitions. Il vise la création d’un « Asterix ukrainien »: le personnage possédant un considérable capital de sympathie hors des frontières « gauloises ».
Daogopak doit dépoussiérer les mythes en Ukraine, et en recréer à l’international. Mis à part les mythes, le projet vise à éduquer l’œil du lecteur à l'esthétique de l'école graphique ukrainienne (Oleksiy Tchebytkine, graphiste de père en fils, en est fervent défenseur et représentant) et aussi aux codes visuels propres du pays.
Comment le trio d’auteurs s’est formé ?
Notre équipe travaille ensemble déjà depuis quelques années. Oleg Kolov est un ami d’enfance. Quant à Oleksiy Tchebykine (aka Shakll Manstr Bdoo), il a atterri sur la planète de Daogopak il y a deux ans et depuis n’arrête pas de construire des châteaux, des manoirs, des aquaparcs et inventer des exosquelettes pour les cosaques-kharakternyks.
Il a été annoncé que Daogopak sera également publié hors Ukraine. Est-ce qu’un album paraitra en France ?
Une traduction en six langues est en cours, y compris en français. La première édition étrangère d’essai sortira en fin d’année. Pour imprimer un grand tirage à l’étranger on a besoin de l’appui d’une grande maison d’édition qui a l’expérience de ce genre de projet.
Des journalistes ukrainiens comparent souvent Daogopak avec les albums d’Astérix. Qu’en pensez-vous ?
En effet, les journalistes aiment trouver des parallèles entre les deux histoires. Nous, on ne compare pas. On admire l’échelle de l’entreprise : depuis des décennies en France on ne cesse de faire des films et des dessins animés, fabriquer des jouets et créer des parcs thématiques autour d’Asterix. Toute situation nécessite ses héros et ses vainqueurs, dans n’importe quel pays. C’est une composante identitaire d’un pays. Il ne s’agit pas que de la prose graphique ou de la littérature. Cela concerne aussi le sport, le cinéma, la science, les technologies, l’art, l’architecture – quasiment toutes les sphères de l’activité humaine.
En Ukraine, la situation est un peu plus modeste. Nous avons des héros, des mythes et symboles culturels aussi, mais peu de gens travaillent avec ses éléments avec créativité, de manière inspirée et sans tomber dans la ringardise. Nous sommes parmi les oiseaux rares. Mais on croit que les gens passionnés et inspirés vont devenir de plus en plus nombreux. C’est également l’un des buts de notre projet.
En quoi le mysticisme ukrainien peut intéresser un Européen plutôt cartésien et pragmatique ?
A condition d’avoir une approche juste et une bonne idée, même le balai d’une école respectable anglaise volera dans les cieux. Et cela ne surprendra pas plus que ça les « pragmatiques européens ». Alors c’est la même recette pour les traditions mystiques ukrainiennes, ayant pour héritage des rites ancestraux des magies quotidiennes et guerrières. Attendez le troisième volume de Daogopak et vous en serez convaincus, j’en suis certain.
Vous développez également des projets parallèles à Daogopak, tel que le projet fantastique Tchoub, la suite du roman graphique policier médiéval « Maxym Osa ». Pourriez-vous nous en parler plus. En quoi ces projets complètent le monde de Daogopak ?
Chez nous ces histoires sont réunies dans un Univers. C’est-à-dire que dans différents projets les personnages en évoquent ou citent d’autres personnages d’autres projets. Il y a des histoires parallèles ou complémentaires. Ainsi, on construit le monde de la mythologie ukrainienne sous une forme moderne. Le personnage qui traverse tous les mondes et est commun à tous les projets c’est un personnage d’un cosaque-chevalier, maître des arts martiaux, de la magie et maîtrisant la technologie.
Quel est le calendrier de Daogopak ?
Le deuxième volume « L’Amour noble » sera publié en septembre 2013. Le troisième volume « Secret du molfar des Carpates » paraitra en 2014. Par ailleurs, courant 2013 en tout quatre albums sur les histoires cosaques sortiront : deux volumes de Daogopak, « Tchoub » et la suite des aventures de Maxym Osa.
Comme dessinateur-graphiste, je souligne toujours que l’Ukraine a sa propre, ancienne et particulière école de graphisme. Rappelons que Kyiv se trouvait au cœur de la Route commerciale des Varègues aux Grecs. Alors les racines de notre école de graphismes proviennent de là. Elles sont doubles et représentent une symbiose entre sud (mélange d’antiquité grecque et de style byzantin) qui lui donne le raffinement et son coté pittoresque, et nord (les racines scandinaves) qui apporte les éléments d’ornement et la précision du trait. C’est une sorte de mélange de monumentalisme et de détails.
Plus tard, quand l’Ukraine a pris en sa possession la technologie d’impression de livres, elle a forgé sa propre école de derevoryt (xylographie) et d’estampe. Pour comparaison, en Russie l’école graphique et d’impression sont arrivés sous Pierre I des Pays Bas et d’Allemagne.
Propos recueillis par Olga Gerasymenko