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1 juin 2010 2 01 /06 /juin /2010 22:46

Par René Lesage, diplômé en histoire de l’Université de Lille-III (1)

 

Des Ukrainiens se trouvent dans le département du Pas-de-Calais pendant la Seconde Guerre Mondiale. Un grand nombre d’entre eux sont arrivés pendant l’entre-deux-guerres, essentiellement dans les flux de l’immigration polonaise. Venus pour la plupart de la Galicie orientale, ils sont alors de nationalité polonaise. Les besoins de l’économie de guerre amènent les Allemands, dans le second semestre de l’année 1942, à faire appel à de nombreux requis ukrainiens, des Ostarbeiter, parqués dans des conditions difficiles, au camp de Beaumont, près d’Hénin-Liétard et astreints à travailler  dans les mines. A la même époque, parviennent dans le même secteur des prisonniers de guerre soviétiques, parmi lesquels on trouve de nombreux Ukrainiens.

Des relations de travail et d’entraide ne tardent pas à se nouer entre ces Ukrainiens et la population minière. Elles facilitent les évasions et pour certains d’entre eux l’engagement dans la Résistance, essentiellement communiste, surtout après le printemps 1943, quand celle-ci se reconstruit, après les décimations de l’année 1942. Ces hommes jeunes, auréolés de leur citoyenneté soviétique, constituent des recrues de choix pour les FTPF. Par ailleurs, la présence des gardes wallons excite la vindicte populaire et les incidents sont nombreux. Les gardes sont souvent molestés, les camps parfois attaqués. Ces actions visent aussi à libérer le plus grand nombre possible de requis et prisonniers.

Les évadés sont assurés de trouver un accueil dans les corons et reçoivent de faux papiers, la plupart du temps polonais – c’est commode –, parfois même français. La chronique policière de ces temps fourmille d’exemples. En juin 1943, quatre évadés du camp de Marles sont retrouvés, munis de papiers français. En août, le commissariat d’Hénin arrête trois Ukrainiens évadés de Beaumont. L’un d’eux avait une fausse carte d’identité au nom de Gaston Delattre.

 Les Ukrainiens résistants intègrent les groupes FTP et participent à l’action directe auprès de leurs compagnons français. On repère leur passage, souvent quand ils sont arrêtés, dans nombre d’actions sur le bassin minier, et ce dès 1943. Le coup le plus important est l’attaque le 24 avril 1944 du camp de Beaumont-en-Artois, mené par un détachement de 20 FTP contre les gardes wallons. Trois «Russes » collabos sont exécutés et le camp est saccagé. Deux PG « Russes » ont guidé les résistants, Vassil Kolesnik et Vassil Porik : ce sont bien des Ukrainiens. Trente-six requis parviennent à s’évader. La riposte allemande est sanglante. Kolesnik, repéré, est abattu dès le lendemain, Porik est blessé et emmené prisonnier à Arras. Ce personnage, originaire de la région de Kharkov, figure emblématique de la résistance ukrainienne dans le Pas-de-Calais, est un lieutenant dans l’armée soviétique et est arrivé avec un convoi de prisonniers russes venus des camps d’Ukraine. Il rejoint bientôt le camp de Drocourt où il peut rencontrer des compatriotes requis. L’hagiographie communiste veut qu’il commence alors son travail d’organisation et de subversion dans les conditions favorables offertes par le fond de la mine. Il ne tarde pas à s’évader du camp et est hébergé chez les Offre, un ménage de mineurs d’Hénin-Liétard. Il commande un groupe de douze hommes. Bien que blessé et torturé, Porik, sur le point d’être exécuté, réussit à s'évader, en tuant l’un de ses gardiens. Il est arrêté de nouveau le 22 juillet 1944 et fusillé le même jour(2).

Un certain nombre de résistants russo-ukrainiens est éloigné des mines pour fournir les maquis verts dans le secteur paysan des FTP. Ceux-ci sont particulièrement actifs de juillet à décembre 1943 dans le secteur de Lucheux-Frévent où ils agissent de concert avec les groupes locaux de l’OCM. De mai à août 1944, un groupe commandé par « Alexandre » Tkatchenko, prisonnier de guerre évadé, originaire de la région de Kiev, fort d’une quarantaine d’hommes, essaime ses activités à partir de son centre de Noeux-lès-Mines vers Aubigny, Frévent et Beaumetz-les-Loges. Ces maquis s’en prennent aux Allemands isolés, aux installations ennemies, aux chemins de fer et aux fermiers réputés collaborateurs. Le 18 août 1944, Tkachenko est abattu, à la sortie de Berles-au-Bois, par des Feldgendarmes allemands, avec son compagnon et agent de liaison français.

La Résistance communiste n’est pas la seule à prendre en charge les Ukrainiens et à les incorporer. Les besoins de l’Organisation Todt amènent nombre de prisonniers sur les chantiers du littoral. Ils sont alors aidés, quand ils s’évadent des camps de Berck et de Neufchâtel, par l’Organisation Civile et Militaire, mouvement de résistance qui depuis l’automne 1942 s’est implanté dans les zones rurales. La chronique résistante cite de tels hébergements dans la région de Montreuil, d’Adinfer, de Bienvillers, de Coigneux, d’Hesdin , de Douriez, d’Auxi-le-Château (3). En mars 1943, le secteur OCM d’Arras organise systématiquement des refuges pour les prisonniers évadés dans les cantons du sud, vers Pas-en-Artois et Saint-Pol. Hélas ! Cette organisation est démantelée en juillet 1943 par la trahison de Baillart.

Les résistants ukrainiens ont participé comme ils l’ont pu aux combats de la Libération auprès de leurs camarades FFI... La Résistance communiste et l’OCM aident encore à de nombreuses évasions, tant à Beaumont que dans les camps du littoral. En mai 1944, trois PG russes dont au moins un Ukrainien, s’évadent depuis une caserne d’Hesdin. Comme ils ont travaillé pour l’organisation Todt, il peuvent fournir d’utiles renseignements sur les chantiers de V1, avant d’être transférés dans la ferme du bois de Lebiez, chez Ulysse Picquet. Le camp de Beaumont est attaqué encore à trois reprises de juin à août. Cette résistance est très présente dans la floraison des sabotages de toutes sortes de l’été 1944, dans le bassin houiller et ailleurs. Ils opèrent quelques exécutions sommaires au début de septembre contre les gardes wallons ou contre des porions trop durs, réputés collabos. Un exemple : un chef porion des mines de la fosse 6 bis à Dourges, abattu le 1e septembre 1944 à la cantine de la fosse 6 bis par le Russe Marc Slobodinski, ex-travailleur au camp de Beaumont, incorporé au groupement russe FTP d’Hénin-Beaumont (groupe scolaire Fallières). Le porion aurait dénoncé des résistants aux Allemands en juin 1944 et des Ukrainiens dont le rendement est insuffisant. On lui reproche aussi sa dureté dans l’exercice de ses fonctions (4). Ils combattent en septembre là où ils se trouvent. Des évadés du camp d’Olincthun le 20 août 1944, récupérés par l’OCM locale, s’arment en attaquant le même camp le 30. Ils sont intégrés dans le groupe franc du Waast, sous les ordres de Marcel Caudevelle, puis d’Isabelle Nacry et participent siège de Boulogne (5); ils patrouillent dans les lignes allemandes avec les Canadiens (6) jusqu’à l’attaque finale du 18 septembre vers le Mont-Lambert.

La participation des Ukrainiens du lendemain à la Résistance est relativement visible, mais qu’en est-il pour les Ukrainiens de la veille, ceux issus de l’immigration d’entre-deux-guerres ? Sans être insoluble, la question est difficile. Quelques indices onomastiques, fragiles il est vrai, montrent que certains ont pu être intégrés dans les groupes MOI ou les FTP(7), dans le mouvement Voix du Nord(8) et même encore, et cela pourrait surprendre, dans la Résistance nationale et polonaise du POWN(9).

 La répression allemande n’a pas épargné nos résistants ukrainiens. Outre les fusillés, on compte quelques déportés. Dans le convoi du dernier train de Loos, parti le 1e septembre 1944, on trouve deux prisonniers de guerre Piotr et Sergueï Timochenko qui seront immatriculés à Buchenwald le 17 septembre et dont le sort est inconnu (10).

 

 Source

 

(1) Cette note est tirée de mon article « Les Ukrainiens dans le Pas-de-Calais pendant la Seconde Guerre Mondiale », dans Migrations, transferts, échanges dans le Nord de la France, 49e congrès des sociétés savantes du Nord de la France, Cercle d’Etudes du Pays Boulonnais, 2009, pp 131-144. L’essentiel de la documentation sur la Résistance ukrainienne en Pas-de-Calais vient d’une étude de Fernand LHERMITTE, Archives Pas-de-Calais, 51 J 1

(2) Article de Liberté du 11 février 1968, archives Pas-de-Calais, 51 J 1

(3) Mikhaïl BOIKOFF est hébergé par Henri FOURRIER, employé de mairie à Auxi (OCM). Notre « Russe » de Kiev avait été condamné à mort et blessé

(4) Archives Pas-de-Calais, 51 J 12

(5) Parmi les noms spécifiquement ukrainiens dans ce groupe : Vassili GRIZENKO, né le 11 janvier 1923, Piotr MOSKALENKO, né le 22 décembre 1906, Mikhaïl KUPIU, né le 26 décembre 1921, Grigor KOSCHENKO, né le 21 avril 1900. Le groupe du Waast est sous la responsabilité de René WIMET, Louis GAVEL et Pierre CHARBONNEL. Ceux-ci s’étaient retrouvés à Colembert le 2 septembre, puis s’étaient dirigés vers la forêt de Boulogne et la Capelle. Ils avaient ôté leur insigne de l’armée rouge et n’avaient pas pu prendre contact avec des habitants de rencontre qui s’étaient éloignés de crainte à leur approche. C’est Julienne CAUX, une résistante de Boulogne, alertée de leur présence, partit à leur recherche avec le seul mot de passe le mot français qu’ils savent prononcer « pain ». Ces détails sont rapportés par Guy BATAILLE, Le Boulonnais dans la tourmente, tome III, pages 118-119

(6) Ainsi dans la nuit du 11 au 12, ils participent à une forte patrouille entre Haute-Cluse et Denacre

(7) Est-ce le cas de GNIDACHENKO Renia, 39 ans, sans profession, de Courcelles-les-Lens, relaxé par la Cour d’appel le 10 décembre 1942 et poursuivi pour activité communiste ? (Archives Pas-de-Calais, 51 J 4)

(8) IVANENKO de Noeux-les-Mines

(9) Une question posée à ce sujet sur un forum franco-ukrainien http://forumukrainien.free.fr/phpBB2/viewtopic.php?t=1201 a montré la difficulté de ce type de recherches. Quelques noms franchement ukrainiens ont cependant été repérés : Jean KNIECIUK, d’Oignies, Barbara GALKA de Sallaumines

(10) Y. LE MANER, Le train de Loos, Tournai, 2003

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