Parlez-nous de l’édition Calvaria et de la Fondation de l’édition Calvara
Fondées en 1991 trois jours avant le référendum concernant l’indépendance de l’Ukraine, les éditions Calvaria cherchaient leur voie jusqu’en 1998, la date à laquelle a été publié le premier livre de prose de l’auteur contemporain ukrainien Yurko Pokaltchouk (« Te stcho na spodi ). Par la suite, il est devenu notre « parrain » et nous nous spécialisons desormais sur la poésie et la prose contemporaines ukrainiennes. Ce créneau restait inoccupé en 1998 ; cela semble si éloigné aujourd’hui. En effet, à l’époque, peu de gens croyaient en la popularisation de la littérature ukrainienne contemporaine.
Sur une période très courte (entre 1998 et 2005) Calvaria a découvert des auteurs aujourd’hui très célèbres en Ukraine. Ils sont désormais traduits et publiés dans le monde entier, parmi eux : Serguiy Jadan, Maria Matios, Iren Rozdoboudko, Vasyl Chklyar, Lubko Deresh, Igor Rymarouk, Grytsko Tchoubayu… Calvaria a découvert ces talents et leur a permis de devenir des écrivains professionnels.
Depuis 2000 nous publions également des œuvres de la littérature mondiale, comtemporaine comme classique. Ainsi nous avons publié la première traduction en ukrainien « L'échange symbolique et la mort » de Jean Baudrillard, c’est ainsi que nous avons commencé une série de traductions d'oeuvres majeurs d’intellectuels occidentaux : « Le choc des civilisations » de Samuel P. Huntington, « Against Interpretation and Other Essays » de Susan Sontag, « Orange mécanique » d‘Anthony Burgess, « Pantagruel » et « Gargantua » de François Rabelais , « Le Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry, « Saturday » et « Atonement » d’Ian Russell McEwan, des œuvres de Federico García Lorca et bien d’autres.
Depuis 2004 nous accompagnons d’auteurs ukrainiens à l’étranger. Nous avons déjà cédé 54 licences pour les œuvres de nos écrivains. Calvaria participe régulièrement aux plus grands salons de livres en Europe, tels qu’à Paris, Frankfort, Varsovie, Leipzig etc.
En décembre 2001 la fondation de maison d’édition Calvaria a été créée. En effet, si l’édition est une entreprise lucrative, la fondation ne l’est pas. Ses buts sont :
- soutenir le développement du marché de livre et de la presse ukrainophones
- promouvoir les œuvres des auteurs ukrainiens en Ukraine et à l’international
- promouvoir les œuvres mondiales scientifiques, littéraires et artistiques en Ukraine
- développement de l’école ukrainienne de traduction
Avez-vous des contacts avec vos collègues français ?
Chez Calvaria, nous en sommes à plus de 25 traductions de livres français vers l'ukrainien (et de quelle qualité !). Je rencontre mes collègues français régulièrement au salon de Paris et à Francfort. Je connais personnellement de très nombreux directeurs d’achat et de vente des droits d’auteurs de maisons d’édition, des agents littéraires, du Centre national du livre (CNL) et de l’Institut français.
Par ailleurs, c’est notre auteur, découvert par Calvaria, Lubko Deresh qui a été traduit et publié dans une séculaire maison d’édition Stock, en j’en suis particulièrement fière.
Quels évènements littéraires sont les plus importants en Ukraine ?
Parmi les évènements les plus importants on trouve Le Forum des éditeurs à Lviv qui se déroule depuis les derniers 20 ans et Knyjkoviy Arsenal. C’est un forum très récent. Il se déroulera cette année pour la troisième fois, mais il est très ambitieux par son importance, sa qualité d’exposition, son niveau d’organisation et de présentation. Knyjkoviy Arsenal est intimement lié à la ville de Kyiv, fait partie de sa politique culturelle, son développement et ses contacts internationaux.
En quoi consiste le projet « Plus de pays – Plus de livres » ? Depuis quand existe-t-il ? Quelle est son origine ? Quel a été son initiateur ?
L’idée du projet « Plus de pays – Plus de livres » est née après la réalisation du projet-pilote « La littérature européenne dans le contexte ukrainien & la littérature ukrainienne dans le contexte européen : les rencontres éditoriales norvégiennes » (en novembre 2010 à Oslo, Norvège).
J’ai été son inspiratrice et chef du projet. Pas à pas, depuis nous avons rencontré nos partenaires actuels – Eleonora Simonova (directrice de Nora-Drouk), Mykola Kravtchenko (Nord-Drouk) et Oleksandr Afonine (Président de l’association ukrainienne des éditeurs et des distributeurs de livres).
Notre coordinatrice en France est Iryna Dmytrychyn, enseignante (INALCO), traductrice.
Nos contacts noués furent notre point de départ, notre expérience dans le domaine littéraire, dans la création de réseau de collaborateurs.
Le projet n’édite pas de livres. Il vise à créer des conditions pour que la littérature ukrainienne devienne attractive, intéressante et plus ouverte, qu’elle soit dignement représentée sur les plateformes de travail des éditeurs à Paris, Frankfort et Londres.
Ainsi, nous publions un almanach, avec les extraits des livres d’auteurs ukrainiens. Nous en avons déjà publié quatre – dont deux en langue française (numéro 1 et 4).
Notre travail en France a commencé en 2011, quand un groupe d’éditeurs ukrainiens avec Oleksandr Afonine (Président de l’association ukrainienne des éditeurs et des distributeurs de livres), à sa tête s’est rendu en visite officielle ici.
Dans le cadre de cette visite, au Centre national du livre (CNL), ils ont rencontré leurs collègues français dans le cadre d’un séminaire. A ce séminaire les deux parties ont exposé l’état des lieux dans l’édition en France et en Ukraine. Parmi les éditeurs français présents on peut citer Stock, Flammarion, Gallimard, Fayard, Denoël, Albin Michel, Editions du Seuil et autres.
En 2012, toujours dans le cadre du projet « Plus des pays – Plus des livres » nous avons présenté sept écrivains ukrainiens et organisé des lectures publiques en présence d’auteurs et de traducteurs. Les extraits de tous ces écrivains sont inclus dans l’Almanach que j’ai mentionné ci-dessus. Cette action a attiré l’attention et nous a préparés au principal évènement littéraire ukrainien en France 2012 : le Festival de littératures européennes à Cognac où l’Ukraine a été invitée d’honneur. L’Ukraine a été le premier pays hors UE à en bénéficier. Nous étions partenaires du projet (le chef du projet a été Mykola Kravtchenko de Nora-Drouk) ; Sophie Julien, la directrice du Festival a constaté notre efficacité. Iryna Dmytrychyn, traductrice et enseignante d’INALCO et notre coordinatrice française, à qui appartient initiative de cette rencontre, elle s’y est personnellement fortement investie dans son organisation.
Cette année et encore une fois sur la proposition d’Iryna Dmytrychyn nous avons changé la forme de notre présence au Salon du livre de Paris avec le soutien de la fondation Open Ukraine. Par ailleurs, une nouvelle maison d’édition nous a rejoints dans ce projet : les éditions Douliby, également spécialisées en littérature ukrainienne contemporaine.
Le séjour des écrivains ukrainiens prévoit toujours des rencontres avec les lecteurs dans le cadre du Club littéraire ukrainien sous la direction d’Oksana Mizerak. Ces rencontres se déroulent dans un lieu historiquement important pour l’édition ukrainienne, l’édifice où se trouve la bibliothèque ukrainienne Symon Petlura à Paris.
Par ailleurs, nous apprécions beaucoup le soutien de l’ambassade française en Ukraine, qui nous apporte l’aide financière comme organisationnelle. Ainsi, grâce à notre collaboration avec l’Institut français d’Ukraine nous avons pu réaliser la présentation d’« Aux frontières de l'Europe : l'Ukraine » sur le stand de l’Institut français au Salon. Nos idées ont toujours été soutenues par Anne Duruflé, ancienne attachée culturelle, et par son successeur, Eric Tosatti. Ainsi, l’année dernière nous avons été invités rencontrer à son excellence Alain Remy. Nous nous y sommes concertés sur les axes principaux de notre collaboration avec l’ambassade que nous comptons développer.
Est-ce qu’il est facile aujourd’hui de trouver un financement pour un projet comme le vôtre : financement privé ou financement public ?
Comme tout chef de projet, je ne peux pas me plaindre du manque d’attention des différents organismes. Pour autant, cela ne veut pas dire que les financements se trouvent facilement. Les 3 ou 4 événements annuels que j'organise, me prennent beaucoup de temps sur le plan purement administratif. On coopère avec des institutions différentes en fonction du pays et de la spécificité du projet. Cela veut dire qu’il faut envoyer un grand nombre de lettres, e-mails, rencontrer beaucoup de gens et ajuster une quantité innombrable de détails …
A propos du nerf de la guerre, « Plus de pays – Plus de livres » est exclusivement financé par des fondations privées et des organismes étrangers, dont : la Fondation de Rinat Akhmetov « Rozvytok Oukrainy », la Fondation d’Arseniy Yatsenyuk «Open Ukraine», l’Institut français d’Ukraine (France), l’Ambassade de la France en Ukraine, NORLA (Norvège), FrittOrd (Norvège), l’Ambassade de la Norvège en Ukraine, Goethe-Institut (Allemagne), PJSC Kraft Foods Ukraina, et l’Association Mist (France).
Jusqu’ici nous n’avons rien reçu de la part de l’Etat ukrainien, mais on avance sur ce point. Il est fort probable que le ministère de la culture ukrainien participera au financement de nos prochains almanachs (en français et en allemand). Il s’agit d’espoirs fondés, en tout cas nous avons déjà les premiers accords dans ce sens.
Si le financement est privé, en quoi consiste alors le rôle de l’Etat dans la promotion du livre ukrainien?
A mon avis, nous sommes en train de faire le travail de l’Etat. Il faudra dépenser beaucoup d’énergie avant que la lourde machine bureaucratique ne reprenne son rôle. Comme mes confrères, je pense que cela serait contreproductif et inefficace. Et on y perdrait beaucoup de temps…
D'après moi, l’Etat doit comprendre qu’il n’est que le gestionnaire de l’argent collecté avec nos impôts. Il devrait juste déléguer à des organisations et associations qui réaliseront les projets avec compétence et rapidité (et elles existent !).
Quels résultats escomptez-vous du salon du livre de Paris ?
"Rien ne sert de courir, il faut partir à point." – c’est la réponse que je donne souvent à cette question. Dans le monde il existe des milliers et des milliers de bons livres, mais seuls quelques-uns deviennent des best-sellers.
Il nous faut surtout promouvoir nos auteurs dans le monde, que les livres ukrainiens soient de qualité, que nous puissions faire face à la concurrence… et que par la présence du livre ukrainien sur les grands salons nous convainquions des éditeurs à l’international.
Puisque l’édition c’est aussi le monde des affaires, chacun doit calculer ses risques.
Je serais comblée si les auteurs présentés dans notre almanach étaient publiés en France, mais pour cela, il y a encore du grain à moudre !
Propos recueillis et traduits par Olga Gerasymenko