Quand fut fondée l’Association des Ukrainiens de Grande Bretagne et dans quel contexte ?
L'association a été créée juste après la Seconde Guerre Mondiale, par des militaires canadiens d'origine ukrainienne et par des Ukrainiens mobilisés dans l’armée polonaise, qui s'étaient retrouvés sur le sol britannique.
Des réunions se sont tenues dès 1945, mais c'est en janvier 1946 à Édinbourg que l'association fut fondée. Dans l'esprit de ses membres, elle s'inscrivait dans la perspective de voir un jour une Ukraine libre et indépendante. Quelque temps avant la création de l'association venait de paraître le premier numéro d'un journal qui allait devenir « La pensée Ukrainienne », et qui existe toujours.
C'est à cette époque que commencèrent à arriver en Grande Bretagne les Ukrainiens qui furent travailleurs forcés dans les camps de travail allemands. A l'issue de la défaite de l'Allemagne, ils s'étaient retrouvés dans des camps de réfugiés sous contrôle allié. Le choix qui s'offrait alors à eux était soit de rester en Occident, soit de revenir en Ukraine. Une décision lourde de conséquences pour des jeunes gens de 18-19 ans.
Je n’imagine pas aujourd’hui ma fille âgée de 20 ans confrontée à un tel dilemme : être d’abord enlevé à sa famille, forcé à travailler pendant 3 ans dans des conditions épouvantables, comparables à l'esclavage, puis se retrouver pendant 2 ans dans des camps de réfugiés, et finalement avoir à décider de ne pas revenir à la maison, de ne pas rejoindre les siens… Cela devait être très difficile, mais ces jeunes gens ont majoritairement décidé de ne pas revenir car ils craignaient d’être accusés d'avoir collaboré avec les Allemands (ce qui n'était absolument pas le cas) et d’être exterminés par le pouvoir soviétique. Une partie de ces réfugiés ukrainiens a choisi d'émigrer en Grande Bretagne.
C'est aussi à cette période que le gouvernement de la Grande Bretagne donna son accord pour accueillir 8 000 soldats de la division "Halychyna" sur le sol britannique. Cela en grande partie grâce aux efforts de l’Association des Ukrainiens de Grande Bretagne.
Seuls les Ukrainiens originaires de l’ouest de l'Ukraine, espace territorial qui avait été intégré à la Pologne à la fin de la première guerre mondiale, eurent la possibilité de rester en Occident. Les Ukrainiens originaires du centre et de l’est du pays furent renvoyés en Union Soviétique.
Quels étaient les objectifs de l’association ?
Les Ukrainiens qui adhéraient à l’association entendaient militer pour la préservation de leur culture et de leur religion. En 1947, ils ont acquis un immeuble qui appartient toujours à l'association ; au fil du temps, celui-ci est devenu une ambassade officieuse pour les Ukrainiens vivant en Grande Bretagne. Sa mission première étant d’accueillir les nouveaux arrivants, et de leur apporter aide et soutien.
En 1948 le gouvernement britannique avait annoncé son intention de renvoyer en Allemagne, et probablement ensuite en Ukraine, les immigrés ukrainiens frappés d'invalidité, et ne pouvant de ce fait travailler. Les autorités n'étaient intéressées que par des immigrés capables d’effectuer les travaux physiques et pénibles que refusaient de faire les Britanniques. L'association des Ukrainiens de Grande Bretagne manifesta sa ferme opposition, ce qui engendra une vive tension. Face à l'intransigeance du gouvernement, les Ukrainiens étaient résolus à se mettre en grève. Dans un souci de médiation, l'Association des Ukrainiens de Grande Bretagne et les autorités ukrainiennes décidèrent de fonder «la Maison des Invalides», indépendante de l’Etat et exclusivement financée par les cotisations des membres de la communauté ukrainienne. Le fond de soutien des invalides fut créé. Chaque Ukrainien s'engageait à verser un montant correspondant au quart ou au cinquième du salaire hebdomadaire moyen d’un Ukrainien en Grande Bretagne. Cet établissement, qui se trouve au sud de Londres, existe toujours !
Dans l'immédiat après-guerre, les Ukrainiens étaient convaincus que l’Occident n’allait pas tolérer la mainmise de Staline sur l'Europe orientale, et qu'ils pourraient regagner leur terre natale. Au fil des mois, ils comprirent peu à peu que ce retour devenait une hypothèse de plus en plus improbable, c'est pourquoi l'immigration ukrainienne posa durablement ses valises et s'enracina sur le sol britannique. Une intense vie associative se développa notamment autour d'événements culturels. A travers les chants, les danses et la poésie, c’est le destin tragique de l’Ukraine qui se racontait...
Quels regards portez-vous sur les différences qui caractérisent les Ukrainiens vivant à l’etranger ?
Les Ukrainiens de la nouvelle vague sont sensiblement différents de ceux de l’ancienne génération, car ils ont vécu dans un système différent. Ils viennent en outre de toutes les régions du pays. L’ancienne génération était bien plus homogène géographiquement et socialement. C'est pour cette raison qu'il faut du temps pour se comprendre, et saisir la diversité des aspirations de chacun.
Chaque communauté ukrainienne s’adapte à la société dans laquelle elle vit, et prend les traits de la culture dans laquelle elle se trouve. Les Ukrainiens des Etats-Unis sont souvent expansifs, ceux du Canada sont plutôt réservés, ceux de la Grande Bretagne sont disciplinés et organisés comme les Britanniques d’une manière générale…Ces particularités peuvent parfois paraitre singulières aux yeux des Ukrainiens qui arrivent d’Ukraine.
Quels contacts avez-vous avec les autorités britanniques ?
L'Association des Ukrainiens de Grande Bretagne entretient de très bonnes relations avec l’Ambassadeur de Grande Bretagne en Ukraine, que je rencontre régulièrement.
Ces contacts sont précieux, c'est en partie grâce au soutien de l’Ambassade de Grande Bretagne à Kiev que nous avons pu organiser une grande exposition qui a eu lieu à la « Maison de l’Ukraine » à Kiev. Je corresponds par ailleurs fréquemment avec le représentant du Ministère britannique des Affaires Etrangères en charge de l’Ukraine.
L'Association des Ukrainiens de Grande Bretagne a adressé plusieurs lettres au Président Yanoukovitch. Elles étaient toutes écrites en anglais, nous craignons en effet qu'il ne nous lise pas en ukrainien ! Nous l'avons interrogé au sujet de l'érection d'une statue de Staline à Zaporijia. Son embarras sur cette question a interpellé la classe politique britannique. C'est par une constante vigilance, mais dans une approche constructive et diplomatique, que les Ukrainiens résidant en Occident peuvent influencer les dirigeants ukrainiens. L'objectif que nous partageons tous est de voir l’Ukraine indépendante et démocratique.
La famine génocide de 1932-1933 (Holodomor) est un sujet que nous abordons avec pragmatisme compte tenu du contexte mémoriel et du passé colonial du Royaume Uni. Il est manifeste que la reconnaissance officielle de ce génocide par les autorités britanniques sera un objectif difficile à atteindre. En dépit de cela, nous entretenons un dialogue constructif avec le Ministère des Affaires Étrangères. Un représentant du Foreign Office avait d'ailleurs répondu favorablement à notre invitation aux cérémonies commémoratives, il y a deux ans.
Propos recueillis par Olena Yashchuk