C’est un homme persifleur, un poète désœuvré. Il peut paraître ordinaire. Il sait tout…ou presque. Sa tête est comme une valise pleine d’informations et de connaissances.
Il est né en 1952 à Ivano-Frankivsk. Pendant les années 1974-1981, soupçonné par l’état soviétique d’activités antisoviétiques (et non sans raison comme il le dit lui-même), Vinitchouk n’était pas publié. Par conséquence, il a testé beaucoup de métiers dans sa vie. Il a travaillé en tant que manutentionnaire, peintre-décorateur ou assistant de laboratoire. Depuis 1991, il collabore au journal Postup, puis Post-Postup, dont il devient rédacteur en chef.
Youri Vinitchouk est écrivain, traducteur (anglais, langues celtes et slaves), poète, éditorialiste et rédacteur en chef du journal Post-Postup (selon Vakhtang Kipiani, c’est une édition emblématique de l’âge d’or du journalisme ukrainien). Par ailleurs, il écrit pour le théâtre, rédige une anthologie de la prose ukrainienne gothique, ainsi que des contes ukrainiens littéraires. En 2005, son livre «Les jeux printaniers dans les jardins d`automne » est reconnu comme le meilleur roman ukrainien selon la BBC.
Ses livres sont publiés en Grande Bretagne, au Canada, aux Etat Unis, en Argentine, en Allemagne, en Croatie, en République Tchèque, en Serbie, en Russie, en Pologne, au Japon, en Biélorussie. En France, n’est publié que son conte pour les petits et les grands «Le plus brave des petits cochons».
Actuellement, Youri Vinitchouk se prépare à publier deux anthologies des poètes ukrainiens perdus dans la tourmente de la répression politique. Parmi eux Sava Bozko, Grygori Kosynka, Mychailo Lozynski.
D`ou vient cet amour des contes ?
C`est plutôt la foi, la croyance en les contes. C`est inexplicable. Les contes m’accompagnent toute ma vie. Depuis l’enfance j’en suis fou. La moitié de ma bibliothèque sont des contes des quatre coins du monde, environ deux mille volumes en différentes langues.
Dans votre œuvre il y a beaucoup de biographies, et vous, comment êtes vous devenu écrivain ?
Dans les années 80, quand je ne pouvais pas publier mes propres livres, j`écrivais alors pour moi et mes amis. Si ce système politique n’avait pas existé, j’aurais pu écrire beaucoup plus. Mon envie d`écrire est née de la lecture. Si je m`étais trouvé seul sur une île inhabitée, j`aurais écrit pour moi-même. Dans ma vie j`ai vu beaucoup de choses intéressantes et je n`ai pas encore tout décrit.
Dans les années 80 vous avez publié vos propres livres comme des traductions. La critique, les censeurs n`ont pas vu ce subterfuge?
J`étais obligé de travailler de cette façon. Autrement ce n`était pas possible d’être publié. Toutes mes mystifications s’exerçaient à haut niveau. Ils ne les ont pas comprises.
Aujourd`hui c`est une autre époque. On peut dire que la critique n`existe plus. Il n y a pas de critiques sur les livres. Souvent ce ne sont que louanges. Or la critique doit être caustique, mordante. Dans les années 80, le feuilleton était le genre le plus populaire. Moi-même je flagellais ces graphomanes dans tous les journaux. Maintenant ? Tout est lisse. Tout le monde est bon .Tout le monde est doué et plein de talent. Je m`ennuie à lire toutes ces odes laudatives. Et donc je ne les lis pas.
Combien de temps dédiez-vous à l`écriture et où puisez-vous votre inspiration ?
Quand je suis inspiré, je peux écrire du matin au soir. Mais, bien sûr, je m`arrête, je fais une pause, je prépare un repas. Quelquefois je n’arrive pas écrire. Dans ces moments je traduis ou prépare les articles. J`avoue beaucoup de lacunes ; il y a les années perdues où je ne pouvais pas publier tout ce que je voulais.
Pour retrouver l’inspiration je prends un livre qui pourrait m`influencer et je le lis une heure. L`inspiration vient d’elle-même. C`est comme charger une batterie. Je ne presse pas mes personnages, je peux les couver longtemps sans réfléchir au sujet, juste quelques lignes. Ainsi Malva Landa fut écrit par morceaux en dix ans.
Quels sont les auteurs qui vous ont influencé ?
C’est surtout Bohumil Hrabal. Je ne traduis que des auteurs qui me sont proches. Parfois il me semble que c`est moi qui écrit à tel point que nos styles se ressemblent. Hrabal est surtout intéressant pour son langage. Il maîtrisait la langue parlée, la langue du peuple.
Son personnage parlait en tchèque. La langue tchèque sonnait dans ses textes mise dans la bouche de personnages de toutes les couches sociales. C`est très important et c`est comme ça que ça se passe dans tous les pays développés.
Chez nous, notre pays était longtemps esclave et asservi, et même aujourd’hui, notre langue ukrainienne n`est pas dûment valorisée dans tous les milieux de la société. Par exemple nos stars sportives ne la maîtrisent pas.
Parmi mes auteurs préférés on peut évoquer Borges, Cioran, Landolfi, Blanchot, Bukowski, Lorrens Darrell, Paul Bowles, Youriy Kossatch, Igor Kostecky… Depuis longtemps je suis abonné au journal littéraire polonais «Littérature na sviecie». On peut dire qu’il a formaté mes gouts littéraires. Dedans il y a toutes les nouveautés de l’édition. Un numéro entier est consacré à chaque nouveau lauréat de prix Nobel de littérature.
Actuellement vous travaillez sur un roman où vous parlez du Lviv d’antan. C`est un roman historique ou une histoire romanesque ?
Non, il n`est pas historique, même si toutes les actions se déroulent à Lviv dans les années 1930-40. Dans mon texte je donne une description de la défense de la ville, en septembre 1939, où les Allemands ont assiégé la ville. Lviv a tenu neuf jours ... jusqu`à ce que les bolcheviks l’attaquent par derrière. Je pense que c`était une époque héroïque. A grand mon regret, aujourd`hui, les habitants de Lviv ne sont pas conscients de ça. Mais dans mon roman, il s`agit d`abord de relations humaines.
Propos recueillis par Liana Benquet
En France, on peut lire Post-Postup à Paris,
dans la bibliothèque ukrainienne Symon Petlura
(6, rue de Palestine, 75019, Tél/Fax. 01 42 02 29 56 )