Née en Ukraine en 1965, Anna Shevchenko est la première étudiante de « l’Ukraine indépendante » à obtenir une bourse pour intégrer l’université de Cambridge et la première femme d’origine étrangère devenue membre de l’Oxford & Cambridge Club. Parlant couramment sept langues, dont le français, Anna a servi d’interprète lors de nombreuses rencontres gouvernementales. Elle a par ailleurs, écrit deux guides culturels ; l’un sur l’Ukraine, l’autre sur la Russie.
Son premier roman Héritage, publié aux Editions «First » a paru en France en octobre 2011. Aujourd’hui Anna vit et travaille en Grande Bretagne.
Pourquoi vous avez écrit ce roman ? Quelle était votre source d’inspiration ?
Ce livre est dédié à mes grands-parents. Un des personnages féminins – Sara Samoilivna - a été directement inspiré par ma grand-mère. Dans le chapitre 3, j’ai utilisé le journal de guerre de mon grand-père, Fedir Shevchenko (1914-1996), un grand historien et archiviste ukrainien.
J’ai toujours écrit, même si cela m’a été longtemps interdit, car mon grand-père était considéré comme dissident à l’époque soviétique. Ma famille a beaucoup insisté pour que j’écrive ce roman, pour que j’exprime enfin ma pensée.
J’ai d’abord publié (en anglais) un guide sur l’Ukraine, sa culture et ses coutumes (Anna Shevchenko. Ukraine - Culture Smart ! : Essential Guide to Customs and Culture, aux Editions KUPERARD, Grande Bretagne). Cet ouvrage est considéré comme la première publication au monde abordant l’étude de la mentalité ukrainienne ; il a déjà connu 5 rééditions. (Il parait que Vladimir Poutine l’a lu avant d’entamer des négociations avec les Ukrainiens !)
Ce roman, Héritage, m’a « trouvée ». C’est le récit de rêves nationaux. Il s’agit du trésor des cosaques (mythique ou pas), qui aurait été déposé à la Banque d’Angleterre au XVIII siècle. Ce trésor serait devenu un « héritage » incroyable de 150 milliards. J’ai imaginé ce qui pourrait se passer si quelqu’un réclamait cette somme aujourd’hui. Ce livre n’est pas uniquement une chasse aux trésors et une intrigue politique. C’est plus que cela. Ce livre est un hommage à mon grand-père, qui a écrit son journal intime pendant la guerre. Je l’ai trouvé très émouvant, poignant et l’ai utilisé dans mon roman. C’est aussi un hommage aux trois générations de mes compatriotes : la génération de la guerre, la génération de l’époque du « dégel » des années 60 et ma génération. Après quelques années de liberté à la mort de Staline, le système s’est renfermé à nouveau. Pour moi, cette dernière génération est « perdue ». Quant à ma génération, je la considère non seulement « perdue », mais « tuée, cassée ». Nous avons grandi dans une société se référant à des valeurs soviétiques qui ont ensuite disparu. Alors, nous nous sommes retrouvés dans une société sans valeurs. Certaines personnes se sont suicidées ou sont devenues alcooliques ou ont encore décidé de partir, comme moi.
Au-delà de mon histoire personnelle, pour mon roman pendant deux ans, j’ai fait de nombreuses recherches. Entre autres, je me suis rendue au château privé d’un descendant de cosaque ukrainien devenu général de l’armée française au XVIII siècle. Par ailleurs, j’ai consulté des archives russes et ukrainiennes et bien sûr, celles de la Banque d’Angleterre.
Je pense que cette intrigue politique qui débute au XVIII siècle intéressera les lecteurs français. L’histoire se répète aux XIX et XX siècles. Mon roman est inspiré de faits réels et de témoignages de personnes ayant vécu dans les années 60. L’épisode sur l’hôpital psychiatrique pour les prisonniers politiques en est un exemple.
Les nombreuses redites et symboles sont les témoins d’une histoire qui non seulement se répète, mais se venge. Cela me semblait très important à mettre en évidence.
J’ai choisi trois personnages féminins pour incarner les différentes époques de l’histoire de l’Ukraine : Sofia, Oksana et Kate. C’est Oksana qui symbolise l’Ukraine qui a survécu, mais qui a été privée de son identité.
Ce livre est très personnel. Qu’est-ce que vous avez ressenti lorsque vous l’avez terminé?
J’ai été soulagée… Lorsque le roman a été publié, j’ai ouvert la première page et quand j’ai vu ma dédicace à mes grands-parents, j’ai été très émue. J’ai compris que j’avais accompli quelque chose d’important car le souvenir de mes grands-parents aujourd’hui décédés, m’est très cher…
Quand j’ai écrit ce roman qui est resté dix ans dans mon tiroir, je n’avais pas l’intention de le publier car il me semblait qu’un sujet sur l’Ukraine n’intéresserait personne en Grande-Bretagne. Pourtant je l’avais écrit directement en anglais.
Lorsque mon premier livre – le Guide sur l’Ukraine - est sorti, mon fils m’a encouragé à publier « Héritage ». A ma grande surprise, le livre a rencontré un succès. Récemment en France, j’ai vu dans un kiosque à la gare que mon livre était parmi « les meilleures ventes » !
Le roman « Héritage » (le titre original - « Bequest ») - a été écrit directement en anglais. Pourquoi ?
Mon roman est destiné à des lecteurs étrangers. Une journaliste britannique a écrit dans son article que j’avais réussi à donner une leçon claire et concise sur l’histoire ukrainienne. Mon objectif principal était de faire découvrir l’Ukraine aux lecteurs étrangers. Je voulais vraiment susciter chez eux, un intérêt pour mon pays.
Vous travaillez actuellement sur votre deuxième roman. Quel est son sujet ?
Il s’agit de la conférence de Yalta en février 1945. L’histoire se déroule entre Odessa et Yalta, dans une période allant de la guerre à nos jours. C’est un nouveau regard sur cet événement historique. Comme pour mon premier roman, j’ai travaillé dans les archives, notamment à Odessa. Cet ouvrage sera publié bientôt en Grande-Bretagne.
Propos recueillis par Olena Yashchuk Codet