Rencontre avec Jean Roche, directeur de Beten international, société française d’ingénierie et de consulting spécialisée dans les pays de la CEI et principalement en Ukraine, depuis plus de 20 ans.
Beten offre une vaste gamme de services d’ingénierie aux développeurs, investisseurs et clients institutionnels. Sa vocation demeure principalement le montage de projets industriels, dans les bâtiments, les infrastructures, l’énergie et l’agriculture…
Pour plus d’informations
- Comment est née votre entreprise ? Pourquoi ce nom ?
Après mes études d’ingénieur en construction et génie climatique et énergétique, j’ai travaillé dans les années 1970, dans des bureaux d’études et réalisation des projets dans le bâtiment et l’industrie. Au bout de dix ans, j’ai créé ma propre société, Beten, ce qui veut dire initialement Bureau d’études (BE) Techniques et Nucléaires et maintenant c’est devenu Bureau d’Etudes en Technologies Nouvelles. Nous mettons dans ce terme également tout ce qui concerne les techniques d’environnement et de développement durable.
- Quels sont vos premiers contacts avec l’Ukraine ?
Ma première visite de l’Ukraine remonte à 1967 ou, en tant qu’étudiant, j’ai visité l’Université Chevtchenko de Kyiv avec l’association France-URSS. Ce fut un voyage mémorable, à une période ou peu de choses concrètes et précises étaient connues de cette zone de l’ex URSS. Nous avons eu l’occasion de contacter de près la population étudiante de l’époque, de voir des usines grandioses (l’usine de tracteurs « Octobre Rouge » à Stalingrad, le barrage hydroélectrique sur la Volga, le stade de 100000 place de Leningrad, etc…), et de visiter Moscou et les musées du Kremlin ! Nous sommes revenus en jeunes héros pour présenter un reportage de tout cela à notre école d’ingénieurs de Strasbourg !
Ensuite, après mes études, j’ai eu le privilège, en tant que jeune ingénieur, de m’occuper dès le début de ma carrière, de grands chantiers de construction comme : le parlement Européen à Strasbourg, une usine de pneumatiques en Allemagne, le forum des Halles à Paris, un quartier à la défense.
Puis je suis intervenu dans les secteurs industriels de pointe, et notamment j’ai travaillé sur le site nucléaire de « La Hague », ce qui m’a permis d’être parmi les premiers français à être au courant de la catastrophe de Tchernobyl (via les détecteurs de contamination qui ont rapidement repéré la pollution en provenance de l’est, puis par les images satellites).
En 1985, en pleine période de glasnost et de pérestroïka, j’étais à Moscou pour m’occuper de la construction d’usines dans le cadre du Plan et de la Reconstruction du Complexe Militaro-industriel de l’URSS. C’était le début de la période Gorbatchev, et nous avons directement négocié avec le Kremlin la construction de 20 usines de fabrication de circuits imprimés à travers de l’Union Soviétique. Cette évolution du complexe militaro-industriel avait pour objectif de fabriquer des objets de vie courante comme magnétoscopes, machines à laver, téléviseurs, etc….
J’ai été sollicité en tant qu’ingénieur français car en URSS, il y avait un manque de savoir-faire sur le circuit imprimé permettant de réaliser des appareils électro-ménagers modernes, et un besoin de maitriser la réalisation rapide d’usines complexes en « clef en main ». A l’époque on savait aller sur la lune, mais tout ce qui était la vie quotidienne était négligé. Par exemple, dans les immeubles soviétiques les marches dans les escaliers n’étaient jamais toutes de même hauteur, ce qui était particulièrement dangereux, et un total paradoxe pour nous, jeunes ingénieurs !
- Comment avez-vous travaillé en Ukraine de cette époque? Avez-vous vécu l’insécurité ?
En fin de cette période de perestroïka, je me suis retrouvé, au cours d’un voyage avec ma femme, en plein Putsch d’Aout 1991, et nous avons quasiment assisté en direct à la chute de l’Union soviétique. On a été présent, au pied des murs du Kremlin, lors du déboulonnage des statues de Sverdlov et Dzerjinski, les fondateurs du KGB !
C’était une période assez trouble ou nous avions deux usines en construction, une à Bakou en Azerbaïdjan, et l’autre à Alexandrie (région de Kirovograd) en Ukraine. Avec la guerre du haut Kharabat, les atterrissages à l’aéroport de Bakou se faisaient entre deux rangées de char, et pour se rendre jusqu’au chantier, il fallait franchir de nombreux barrages avec des miliciens qui nous mettaient sous le nez une kalachnikov bien armée !
Ensuite, pour pouvoir terminer ces usines, et à cause de la prise d’indépendance de l’Ukraine, j’ai dû déménager à Alexandrie en 1992 où je me suis installé dans la « Maison des Français ». J’ai pu terminer et mettre en route cette usine, mais ensuite la situation économique s’est dégradée, et j’ai vu l’inflation parfois grimper de 300% par jour. J’ai dû travailler comme les ukrainiens, en faisant du « troc » (« barter », comme on dit en Ukraine), car nous n’étions pas en mesure de donner le vrai prix : on me donnait un bateau de blé ou de tournesol, et en échange je fournissais des matériel agricoles comme des moissonneuse batteuse, des tracteurs, des semoirs, etc.
Par la suite, nous sommes intéressés à beaucoup d’autres projets dans des domaines très divers comme par exemple dans le secteur minier (extraction et purification du Kaolin), ou la rénovation d’usines pharmaceutiques comme BHFZ, DARNITSA, KIEVMEDPREPARAT, ZDOROVIE, etc…
- Quels projets menez- vous actuellement ?
Nous avons toujours plusieurs projets en cours dans différents secteurs, ceci afin de répartir notre risque, et de tenir compte de l’instabilité économique de l’Ukraine.
Nous travaillons depuis de nombreuses années dans la production et la transformation des plantes aromatiques, et exportons les huiles essentielles produites en France et dans le reste du monde.
Dans le secteur de l’immobilier notre dernier projet et un complexe commercial multifonctionnel de 7000 m2 basé à Berditchev. Nous l’avons appelé Galerie Honoré de Balzac en souvenir de cet illustre écrivain qui s’est marié il y a maintenant plus de 200 ans à Berditchev, avec la comtesse Evelyne HANSKA.
En souvenir de cette histoire mémorable, j’ai créé l’Association Franco-ukrainienne Balzac-Hanska dont le but est de perpétuer, célébrer et promouvoir la mémoire des amours d'Honoré de Balzac et de la comtesse Hanska dans un souci d'amitié franco-ukrainienne. On peut nous rencontrer sur notre page Facebook , mais aussi sur notre site officiel, sur lequel on peut découvrir actuellement un très intéressante description à épisode, des incroyables voyages que faisait Balzac à l’époque, au travers de l’Europe, et notamment vers Berditchev et Verhrivna, pour rencontrer son amoureuse !
Vous pouvez aussi consulter, en sus de nos divers sites internet professionnels, celui particulièrement dédié à la Galerie Balzac. Nous cherchons actuellement, pour finir de remplir ce bâtiment, des clients qui pourraient être intéressés à nous louer tout ou partie des deux derniers étages de ce magnifique bâtiment, afin d’y installer des bureaux en « backoffice » ou un hotel etc….
Enfin il faut aussi signaler que ces quatre dernières année nous nous sommes beaucoup intéressés au secteur des énergies renouvelables, telles que l’éolien, le solaire et la biomasse.
Nous avons ainsi pu développer une dizaines de projets de taille et d’implantation diverses, dont le plus avancé, dans le domaine de la biomasse, est en cours de réalisation. D’un puissance d’environ 5MW, il permettra d’assurer l’énergie écessaire au process industriel d’une importante usine Agroalimentaire, en économisant le gaz dont l’Ukraine manque assez cruellement.
- Comment collaborez-vous avec votre bureau ukrainien ?
Ces vingt dernières années nous avons employé beaucoup de jeunes ukrainiens qui ont évolué très rapidement et positivement en adoptant les méthodes occidentales. J’ai formé moi-même mes collaborateurs et les ai envoyé faire des stages en France. Je travaille avec eux à Kiev en tant que chef de notre représentation locale et actionnaire de l’entreprise Ukraine Développement que nous avons créée.
- Avez-vous noté une évolution récente dans le monde des affaires ukrainien ?
La meilleure croissance de l’Ukraine, et de dynamique des affaires, avait eu lieu à l’époque du Président Koutchma.
Avec l’arrivée de Youtchenko et Tymochenko, le monde des affaires s’était ouvert, et rapproché des investisseurs Européens.
Aujourd’hui, depuis la crise de 2009, et la venue du gouvernement de Yanoukovitch, les choses semblent de plus en plus difficiles. L’espoir suscité par la signature à Vilnius de l’Accord d’Association avec l’Europe vient de tomber. Nous formons donc les vœux pour l’Ukraine que l’accord qui vient d’être récemment signé avec les Russes permettra, en 2014, de relancer la dynamique de croissance du Pays, afin d’éviter à l’Ukraine un retour en arrière, voir une nouvelle crise économique. Ceci impliquera cependant que nombre d’entreprises à capitaux étrangers doivent réadapter leur stratégie en fonction de la nouvelle donne politique.
Propos recueillis par Maryana Dymyd