Résumé de l'interview d’Andriy Kozlov, avocat, co-auteur du programme postrévolutionnaire des changements, pour Lb.ua. En 1996, jeune étudiant, Andriy a travaillé au Rada suprême d’Ukraine, parlement, en tant que stagiaire et a pu participer à l’élaboration et assister à l’adoption de la Constitution ukrainienne.
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- Andriy, tu es optimiste, tu crois en victoire de la révolution. Sur quoi cet optimisme est-il basé?
Je pense que tous les gens qui habitent en Ukraine et ne souhaitent pas émigrer sont des optimistes. Je le suis donc aussi. Je suis persuadé que malgré notre hébétement, le peuple se révèlera et soutiendra un système juste de l’organisation d’Etat. Enfin, on ne peut qu’avancer.
Le peuple ukrainien est très intéressant dans ses relations avec l’Etat. Durant de nombreuses années, elles ont été inexistantes, puisqu’on n’avait pas d’Etat. Aujourd’hui, l’Etat existe, mais le peuple pense : laisse-nous tranquille, s’il te plaît, laisse nous travailler et créer des institutions justes et transparentes.
Le fait que Maidan existe est déjà un signal pour l’Etat qu’il a tort. Le peuple veut lui dire que l’Etat ne remplit plus ses fonctions, qu’ils ne sont pas contents et qu’ils exigent que l’Etat prenne ses responsabilités.
- Mais les autorités s’obstinent à l’ignorer.
Il semble que l’Etat ne comprenne pas qu’actuellement dans la société naît une force très saine. On peut l’utiliser pour déclencher une percée sérieuse y compris avec des retombées financières pour le pays. Or, l’Etat fait le contraire ; il essaie d’empêcher le progrès, tente de l’arrêter, met des bâtons dans les roues et cherche à maîtriser la situation.
Pour une percée réussie il faut un programme porteur d’avenir. C’était donc la raison pour laquelle nous avons écrit notre programme (ndt : programme des changements postrévolutionnaires – en ukrainien). Aujourd’hui, nous proposons à chacun de laisser ses commentaires. La concertation du peuple permettra d'englober plus de domaines et de chercher à aborder davantage de sujets.
Souvent on entend nos adversaires – « mais que voulez-vous exactement ? Nous allons quitter le pouvoir – et qu’y aurait-il après ? Vous voulez juste changer de tête? Pourquoi faire ? ».
Donc, nous avons essayé d’appliquer une nouvelle approche : déclarer ce qu’on veut précisément maintenant et à l’avenir de la part de tous les politiciens quels qu’ils soient. C’est écrit dans notre Programme.
Tout d’abord, nous avons écrit ce qu’il faut faire pour ne pas voir la répétition du 30 novembre (ndt : dispersion violente d'une manifestation par les forces de l’ordre - en ukrainien) dont nous avons gardé un souvenir désastreux.
- C’est donc votre moyen de lutter pour vos droits ?
Quand on parle d’une lutte pour quelque chose, on sous-entend bizarrement toujours une violence physique. Une sorte de foule qui englobe et détruit tout sur son passage et prend le pouvoir dans ses mains … En tout cas c’est une image que se font ceux qui sont toujours mentalement dans le XX siècle. Même pire – tout au début du XX siècle.
Une lutte pour les droits et les libertés consiste actuellement en leur élargissement et en leur défense efficace. Maidan essaie de le faire, y compris – la défense physique des manifestants, par des barricades. Par ailleurs, l’offensive est également une retranscription en mots des doléances, avec l’idée que toute la société (ukrainienne) y comprend plus tôt ou plus tard son intérêt pour soi, puisque nous avons des valeurs qui nous rassemblent tous. Par exemple, personne ni à Lviv, ni à Louhansk, ni à Sébastopol, ni à Kyiv ne veut pas recevoir de coups de matraque.
Il n’est pas très logique pour les autorités de continuer à ignorer Maidan. Maidan est déjà une force avec laquelle il faut mener un dialogue.
Le problème de fond de nos autorités est leur incompréhension qu’une personne libre est beaucoup plus efficace au travail. Elle s’implique mieux, elle vit mieux, sans penser à la couleur des drapeaux sous lesquels il faut se mettre pour pouvoir continuer à travailler. C’est une raison pour laquelle cette personne est capable de développer une action individuelle, de protester. Elle s’identifie à Maidan.
- Quel est ton avis sur ce qui se passe du point de vue du droit constitutionnel ?
Les évènements du 30 novembre sont un exemple classique de violation de la constitution, pour laquelle les coupables doivent endosser leur responsabilité juridique. La situation est la suivante : l’Etat est devenu dangereux pour ses citoyens.
Parfois il peut arriver le pire, par exemple – Tchernobyl. Avec des conséquences graves, des victimes, mais il s’agit toujours d’un accident, même s’il existait des erreurs dans le système qui ont mené vers cette catastrophe. Mais quand quelques centaines de personnes en uniforme sont animés par une unique volonté et quand ils réalisent les actions qui violent les droits de l’homme – alors c’est un système. Si l’Etat viole fréquemment et en masse les droits de ses citoyens alors cela s’appelle l’usurpation de pouvoir. On n’a pas encore inventé un autre mot pour le désigner.
Rajoutons qu’il ne s’agit pas que d'agressions physiques. Il y avait également des décisions juridiquement bizarres qui interdisaient des actions paisibles de protestation. C’est-à-dire – non seulement on nous a agressé, mais on ne veut même pas prendre en compte nos doléances. C’est également un témoignage de violation systématique des droits de l’homme.
Dans la doctrine du droit constitutionnel depuis nombreuses années, depuis la Révolution française et la prise de la Bastille, il existe la conception de la liberté de manifester. Elle est appliquée en France, en Allemagne, eux États Unis. Elle a été prévue par la constitution ukrainienne de 1996.
- On l’a donc enlevée ?
Oui, certaines personnes pas très courageuses ont décidé de supprimer cette liberté, en croyant traditionnellement le peuple comme « pas mûr ».
Alors ce qui se passe aujourd’hui sur Maidan c’est une sorte de témoignage de notre droit de soulèvement et de notre liberté de manifester. Ce n’est pas du tout une tentative de renverser l’ordre constitutionnel. C’est au contraire – notre retour vers lui, notre soutien à notre Constitution. Parce que les droits et les libertés de l’homme et du citoyen, selon son article 3, c’est l’épine dorsale de l’ordre constitutionnel. Si l’Etat viole systématiquement ces droits et ces libertés, alors il renverse lui-même l’ordre constitutionnel, usurpe le pouvoir – et il doit être remis à sa place.[….] Le limogeage du gouvernement est l'un des moyens pour cela. Notre exigence est donc constitutionnelle.
Interview réalisée par Viktoriya Gerassymtchouk, 25/12/2013, résumé et traduite par Olga Gerasymenko de Perspectives Ukrainiennes
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