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8 octobre 2014 3 08 /10 /octobre /2014 10:30

bruker_pa.jpgLe séjour à Kiev de Pascal Bruckner a été organisé par l’Institut français d'Ukraine. L’un des moments fort a été sa rencontre avec Volodymyr Yermolenko le 10 septembre 2014 à la librairie Ye dans le cadre de la présentation de la traduction en ukrainien de « La tyrannie de la pénitence », aux éditions Tempora, (traduction de P. Tarastchouk). Perspectives Ukrainiennes vous propose les moments saillants de ces échanges.

Pour écouter la version intégrale de l’entretien, cliquez ici.

 

J'ai hésité à venir. Il me semblait que parler d'un de mes livres, dans la situation où vous êtes, aurait été un peu incongru. Et puis finalement je me suis dit que c'était la meilleure façon pour moi de manifester ma solidarité envers l'Ukraine et d’essayer de mieux comprendre les enjeux. Cela implique de s’affranchir du masochisme occidental et de l’automatisme pavlovien qui a pour effet de s'accuser de tous les maux du monde. Pour prendre exemple la situation présente, on entend à Paris certaines bonnes consciences répéter inlassablement : « on a humilié les Russes », « on a humilié Poutine », « il faut absolument s'excuser », « C’est parce qu'il se sent blessé qu'il est si vindicatif vis-à-vis de l'Europe ». Il s’agit là d’une attitude masochiste qui consiste à dire que c'est de notre faute à chaque fois que l’on nous accuse.... nous accumulons ainsi sur nos épaules les accusations que les autres portent sur nous.

VY: Сette tendance à être constamment critique vis-à-vis de soi-même est une spécificité européenne. C’est ce qui distingue radicalement  l'Europe de la Russie qui elle, ne reconnait jamais sa culpabilité. Pensez-vous que se sentir coupable puisse être une bonne chose?

PB: Le régime démocratique est par excellence celui qui reconnait ses propres erreurs. Mais l’autocritique c'est aussi une question de mesure. Une chose est de considérer son histoire avec objectivé, il en est une autre de s'accuser de tous les malheurs de la Terre. C’est ce à quoi l’on assiste aujourd'hui ; cette particularité à s'autoflageller est très européenne, c'est aussi une façon de ne jamais s'impliquer, de se laver les mains de ce qui se passe.

 

VY: Dans l’introduction à l’édition ukrainienne de « La tyrannie de la pénitence », vous écrivez  que les pays de l'ex-URSS peuvent être des atouts pour l’Occident dans le sens où ils sont porteurs d’une énergie jusque là ignorée. Pensez-vous que des pays tels que l'Ukraine, la Géorgie, ou la Moldavie, soient capables de jouer ce rôle ?

PB: L'Europe est un continent divisé en deux parties. A l’Ouest, avons été libérés par les anglo-américains mais vous, ce fut par l'armée rouge, prélude à une longue domination soviétique. Il en résulte que l’Europe centrale et orientale a conservé une certaine aptitude à  la résilience que nous avons perdu. A cet égard, ce fut très symptomatique, que tandis qu’en Ukraine ou ailleurs à l’Est, vous subissiez les privations du régime communiste, la jeunesse de l’Europe de l'Ouest se dressait contre le capitalisme et appelait à l’instauration d’un régime collectiviste. C’était une attitude purement esthétique car nous étions en même temps les bénéficiaires de la société de consommation et de ses richesses. Donc, je crois que des pays tels que l'Ukraine, la Pologne, la Géorgie, la Moldavie et plus généralement tous les pays qui ont été derrière le rideau de fer, peuvent rappeler à l’Europe de l'Ouest que la liberté a un prix. Et que ce celui-ci peut être couteux sur le moment mais qu’à terme il est inestimable. En cela ce que vous avez réussi à conserver, c'est l’essence même de l’esprit européen, que malheureusement, nous sommes en train de perdre, notamment en France, pour des raisons historiques. Alors que l’Europe chez nous est devenu un objet d'indifférence, et presque de dégout, chez vous c'est un idéal que vous tentez d'incarner. Dans l’absolu, ce qui menace le plus les pays de l'ex bloc soviétique, ce n’est pas l’hostilité que pourrait leur témoigner l’Europe de l’Ouest, mais plutôt son indifférence. Et c'est cette indifférence qu'il faut bousculer, qu'il faut réveiller. Parce qu’à terme elle peut aussi nous détruire.

 

VY: Pourquoi et comment combattre cette indifférence ?  Est-ce un problème de perception des choses ? Quelle est votre analyse ?

PB: L'indifférence est aussi liée à la crise que nous subissons depuis 2008, ce qui fait que les Européens sont beaucoup plus préoccupés par eux-mêmes que par l’extérieur. Elle vient aussi du fait que l'Europe est un processus en perpétuelle construction. En 2014 nous sommes encore en train de réfléchir sur  la constitution d’un gouvernement, le rôle du parlement, son fonctionnement.... ce qui nous rend imperméable au reste du monde. Vis-à-vis de l’Europe Orientale il faut aussi souligner que le rideau de fer mental des occidentaux n'est pas totalement tombé. Bon nombre d’Allemands, d’Anglais, et de Français  considèrent que la Russie est le gendarme naturel de cette partie du monde, et qu’en définitive, il faut un pouvoir fort de Moscou pour maintenir tous ces petits peuples en paix. Et pour beaucoup d’Occidentaux, la chute du bloc communiste a représenté une catastrophe, puisque tout d'un coup de nouveaux acteurs dont certains ignoraient l'existence ont fait irruption sur la scène internationale, les pays baltes notamment. Cerains estiment que Moscou a vocation à assurer l'ordre et la stabilité. Je pense qu'en Europe de l'Ouest nous préférons l'injustice contrôlée de l’autre coté de nos frontières plutôt que le caractère imprévisible des peuples ayant retrouvé la Liberté. 

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VY: Au delà des critiques que suscitent certaines attitudes occidentales, reconnaissez-vous des aspects positifs au modèle européen ?

PB: Je vois beaucoup de choses positives, et notamment que l'Ukraine, ait choisi de quitter l'orbite russe pour se rapprocher de l'Europe. Cela révèle  le formidable pouvoir d’attraction de l'Europe. Il faut le dire simplement, ce que l'Europe a d'unique c'est cette alliance de la liberté, de la prospérité, et de la protection des citoyens grâce à la Démocratie et à l'Etat providence. Il est  vrai que nous en jouissons de manière tellement spontanée que nous finissons par l'oublier. Mais quand on regarde d'autres pays, d'autres régimes, nous voyons que l'Europe de l'Ouest a réussi une synthèse qui est inédite dans l'Histoire. L’une des autres réussites de la construction européenne est qu'elle a conclu et pérennisé la paix entre les nations qui s’affrontaient depuis des siècles. Si aujourd'hui la guerre nous semble incompréhensible entre les Français et les Allemands, les Français et les britanniques, ou encore entre les Français et les Espagnols, c'est quand même grâce à cette union qui a été forgée dans le sang et dans la barbarie des deux conflits mondiaux. A cela s’ajoute la prospérité économique bien sûr puisque l’Europe est le plus grand marché du monde. Les pays qui ont intégré l'Union Européenne,   comme la Pologne, ont connu une croissance très forte et ont assimilé les libertés fondamentales. Nous vivons aujourd'hui mieux que probablement n'ont jamais vécu les hommes au cours de leur Histoire ; c’est pourquoi les africains, les asiatiques et les sud-américains tentent de rejoindre par tous les moyens notre continent comme ils tentent de rejoindre les Etats-Unis. Au fond, le changement de cap que l'Ukraine a opéré témoigne du contraste qui ne cesse de s’accroitre entre l’Union Européenne et la Russie. 

 

Propos retranscrits et synthétisés par Olga Gerasymenko

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