En 2013, la peinture décorative de Petrykivka a été officiellement reconnue et ajouté à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous sommes allés à la rencontre de Galyna Nazarenko, peintre emblématique de cette expression de l’art populaire ornemental ukrainien, qui s’est impliquée pour que ce dossier de reconnaissance puisse aboutir. Plusieurs de ses œuvres sont exposées au centre culturel ukrainien (22 avenue de Messine, 75008 Paris).
- Quel est votre parcours ? Comment votre vocation a-t-elle vue le jour ?
Je suis née à Petrykivka (ndr: village de la région de Dniepropetrivsk, en Ukraine, qui a donné le nom à l’art populaire ornemental ) et j’y réside toujours.
Pourquoi je me suis mise à peindre ? J’ai réalisé un des rêves de ma mère qui n’avait pu l’accomplir en raison des difficultés résultant de l’après-guerre. Je me rappelle encore des nombreuses soirées passées avec elle à pratiquer le dessiner.
J’ai énormément dessiné durant mon enfance ; à l’issue de mes études j’ai décidé de devenir peintre professionnel. On pourrait dire que Dieu m’a montré le chemin et m’a permis de progresser dans cette voie. Les obstacles me servaient de tremplin pour avancer dans la vie. Lorsque mon entourage doutait de moi, cela me poussait à me surpasser, à devenir «quelqu’un». C’est ainsi que je me suis appliquée à travailler avec pour objectif de participer à des expositions. Ce sont en effet les expositions qui montrent la valeur d’un peintre. Aujourd’hui à Petrykivka, il y a beaucoup de peintres qui travaillent uniquement pour produire des souvenirs pour les touristes, ils effectuent un travail routinier, dénué de créativité.
- A quelles expositions vous avez participé ?
J’ai participé à une vingtaine d’expositions collectives. Mais ce qui est plus important pour moi, ce sont les expositions personnelles : j’en ai réalisé autant en Ukraine qu’à l’étranger : notamment en Bulgarie et en France (à Paris, au Centre culturel ukrainien (2011), à Cognac (2012), dans la région lyonnaise (2013).
- Quelle est l’histoire de Petrykivka?
Ce village est le berceau de la peinture décorative dont le style unique est l’expression des arts et des traditions populaires. La fondation du village de Petrykivka par le Cosaque Petryk remonte à 1772. Les habitants du village étaient libres et ne subissaient pas le servage.
L’art de Petrykivka est intimement lié à l’histoire du village dans lequel les cosaques avaient coutume de passer tout l’hiver avec leurs familles. On considère que les villageois de cette époque disposaient de suffisamment de temps libre pour s’adonner à la peinture. Les maîtresses de maison se sentaient obligées de décorer et de peindre les fours à pain chaque année pour les fêtes de Noël et de Pâques. Au fil du temps c’est devenu une sorte de compétition. Il existe une légende selon laquelle on ne pouvait adresser la parole à une maitresse de maison qui n’avait pas décoré son four à pain .
Mais à mon sens, cette tradition de peindre et de décorer les objets de la vie quotidienne existait également dans d’autres endroits en Ukraine, notamment dans la région voisine de Poltava. Nous avons eu beaucoup de chance car à Petrykivka cette tradition n’a pas disparue, elle a pu être sauvegardée et transmise jusqu’à nos jours et elle fait désormais partie du patrimoine de l’Unesco.
Il n’en reste pas moins que Petrykivka, est un petit village, les peintres n’ont pas toujours les moyens de voyager afin de pouvoir montrer leur art au monde entier. Pour l’instant, nous n’avons pas beaucoup de soutien de la part de l’Etat et les initiatives privées sont peu nombreuses.
Avant la généralisation du papier peint, les Ukrainiens décoraient eux-mêmes leurs murs intérieurs. Les riches villageois de Petrykivka invitaient des peintres pour en assurer la décoration de la maison.
Au fil du temps, ma mission a consisté à faire découvrir notre art traditionnel à l’étranger. Je suis en train de préparer ma prochaine exposition qui se tiendra en Bulgarie. Il est probable qu’elle se tienne en France (Lyon) et en Allemagne. J’ai par ailleurs reçue une proposition émanant d’Espagne.
- Qu’est ce qui caractérise votre un style ?
Le style de Petrykivka plaît à tout le monde, il ne laisse personne indifférent. Il est très attrayant grâce à l’utilisation de couleurs vives et d’images positives. Chaque artiste place un peu de son âme dans ses œuvres qui reflètent sa sensibilité. Lorsque je préparais l’exposition se tenant en Bulgarie, j’ai remarqué que les couleurs de ma peinture étaient plus sombres que d’habitude. Ces œuvres avaient été réalisées durant une période d’incertitude quant à l’avenir de mon pays. On retrouve la marque de mes émotions dans mon travail.
Quel est mon style personnel ? Il repose sur un travail éclairé par la passion. J’ai une préférence pour les scène avec des personnages, notamment des cosaques. Cependant, le style Petrykivka, c’est traditionnellement des fleurs et des oiseaux. J’aime m’appuyer sur un sujet, un thème, un concept. Mes sujets tournent autour des scènes de la vie ukrainienne traditionnelle. Ces dernier temps, je me suis tournée vers les sujets d’inspiration religieuse. Depuis le début des manifestations (novembre 2013) qui ont abouti à d’importants changements, j’ai voulu essayer quelque chose de nouveau. Je me suis mise à dessiner des anges. Ils représentent aujourd’hui à mes yeux la Centurie céleste (ndr: ce nom désigne les Ukrainiens tués fin février 2014, lors des affrontements entre les manifestants et les forces spéciales. La plupart d’entre eux ont été tués par des tirs de snipers…). J’avais réalisé cette peinture peu de temps avant cette tragédie, c’est mon intuition qui m’y avait poussée. J’ai dessiné une maison ukrainienne en hiver et au-dessus un ange. Ce n’est pas tout à fait un sujet traditionnel pour Petrykivka, mais j’avais envie d’innover. Une autre fois j’ai imaginé un oiseau de feu avant d’apprendre plus tard que le symbole de cette année selon l’ancien calendrier slave est un oiseau de feu qui renaît des flammes. J’ai également participé à la décoration d’une petite église de bois au centre de Kyiv. Cela résulte d’un pur hasard car les représentants de cette église m’ont fait cette proposition après avoir visité mon exposition. Pour conclure, je voudrais dire que Petrykivka est une composante de l’âme de l’Ukraine. Ce style est né à l’époque du baroque cosaque, il représente l’esprit cosaque, la bataille pour la liberté et pour l’Ukraine. Les couleurs vives, couleurs primaires sont celles de la vie.
Propos recueillis par Olena Codet