1 er Mai 1993 : Les Français sont en état de choc. Pierre Bérégovoy, l’ancien Premier ministre de François Mitterrand, s’est suicidé près de Nevers. Personne n’avait pressenti que cet homme de soixante-sept ans, très attaché à sa famille, mettrait fin à ses jours en se tirant une balle dans la tête avec l’arme subtilisée à son garde du corps.
Son père, né à Izioum en Ukraine orientale, était arrivé en France consécutivement à la кévolution de 1917 et à la guerre civile qui ravagea l’Ukraine. On peut rappeler que 20%
de l’émigration dite russe étaient composée d’un côté de soldats de l’Armée nationale ukrainienne et de l’autre de jeunes Ukrainiens issus de la conscription opérée par l’Armée
Blanche du général Wrangel.
Pierre Beregovoy, dès son plus jeune âge, avait été témoin des conditions précaires de la vie d’immigré à laquelle son père était astreint. Il eût très tôt conscience du sentiment de
refoulement des origines qui frappent les hommes et les femmes dépossédés de leur Patrie.
Mais en dépit des difficultés qui ont marqué ses premières années, Pierre Bérégovoy s’est distingué par un parcours exceptionnel, animé par un profond humanisme et une foi iné-
branlable dans les valeurs républicaines.
La violence des attaques dont il fut l’objet rend plus insupportable encore sa fin tragique. Mais bien audelà des convulsions tant médiatiques que politiques, Perspectives Ukrainiennes entend rendre hommage à la plus emblématique personnalité issue de l’immigration ukrainienne.
Frédéric du Hauvel
Pierre Bérégovoy est né le 23 décembre 1925 à Déville-lès-Rouen (Seine-Maritime) d'une mère française et d’un père ukrainien.
En 1941, tandis que son père tombe gravement malade, il quitte le lycée et obtient un Brevet élémentaire industriel, un CAP d’ajusteur ainsi qu’un CAP de dessin industriel.
Après avoir travaillé durant neuf mois à l’usine Fraencker, il intègre la SNCF en mai 1942 après avoir été recruté par concours. Il entre ensuite dans la résistance via le groupe « Résistance-fer » et participe à la libération de la banlieue rouennaise en juin 1944.
Il épouse à Rouen Gilberte Bonnet (1920-2001) le 13 novembre 1948. Le couple a eu trois enfants : Catherine, Lise et Pierre .
En mai 1950 il entre à Gaz de France comme agent technico-commercial à Rouen.
Il adhère à la SFIO en 1954 et devient secrétaireadjoint de la fédération de la Seine-Maritime en 1956. Il obtient de Gaz de France sa mutation pour Paris en mai 1957.
En 1958, il est l’un des membres fondateurs du parti socialiste autonome. En 1963, il rejoint le PSU qu’il quitte en 1967 pour fonder le club Socialisme moderne.
En 1969, il rejoint le bureau exécutif du parti socialiste. Il est l’un des négociateurs du Programme commun de la gauche, signé en 1972, et l’un des promoteurs de l’ « actualisation du Programme commun » conclue en 1977.
Il devient membre du Conseil économique et social (1979). Après l’élection de François Mitterrand, il est nommé secrétaire général de la présidence de la République (mai 1981-juin 1982). Puis il est nommé ministre des Affaires sociales et de la Solidarité au gouvernement Mauroy (juin 1982-juillet 1984). En 1983, il devient maire de Nevers, en remplacement de M. Daniel Benoist, démissionnaire en sa faveur.
Sous le cabinet de Laurent Fabius, il occupe les fonctions de ministre de l’Economie, des Finances et du Budget (juillet 1984-mars 1986). Il est élu député de la Nièvre aux élections législatives de mars 1986.
Directeur de campagne du candidat Mitterrand à la présidentielle de mai 1988, il devient, après la victoire de ce dernier, ministre d’État, ministre de l’Economie, des Finances et du Budget dans le gouvernement Rocard.
Sous le cabinet de Mme Edith Cresson, ses responsabilités s’étendent au Budget, Industrie, Commerce extérieur, Commerce et Artisanat, Poste et Télécommunications.
Après les élections cantonales et régionales de 1992, il est nommé Premier ministre (avril 1992-mars 1993). Il ne dispose que d’une année pour convaincre et essayer de changer la donne avant les échéances législatives.
Pierre Bérégovoy présente son gouvernement devant l’Assemblée nationale moins d’un an avant le renouvellement des députés. "C’est court mais c’est assez pour décider, expliquer, convaincre" déclaret-il devant les parlementaires le 8 avril 1992. En effet, il arrive à Matignon à la suite d’une défaite électorale, aux élections cantonales et régionales : "Les élections régionales et cantonales ont été un échec pour le parti socialiste".
Pour Pierre Bérégovoy, le prochain scrutin de l’année suivante n’est pourtant pas une obsession. Il précise que son objectif est de restaurer la confiance et de renouer avec l’espérance, par l’action. Dans un contexte économique difficile, le Premier ministre fait le choix de la rigueur. Mais il rappelle qu’il "ne faut pas confondre rigueur économique et rigueur sociale". Si la rigueur en économie est une exigence de bonne gestion, la justice sociale est au centre des préoccupations du gouvernement. Il n’y a pas de remèdes miracles, mais il y a "la lucidité, le calme et la persévérance".
Enfin, à moins de six mois du referendum pour la ratification du traité de Maastricht, Pierre Bérégovoy rappelle que l’Europe est la priorité du président Mitterrand, et un facteur essentiel de paix et de progrès. Il veut "faire l’Europe sans défaire la France".
En mars 1993, lors des élections législatives, la droite remporte une large victoire : face à une Assemblée qui lui est désormais hostile, Pierre Bérégovoy présente sa démission au président de la République qui nommera Edouard Balladur pour lui succéder.
Aux législatives de mars 1993, il est réélu député de la Nièvre.
Après avoir subi durant plusieurs mois un déferlement médiatique mettant en cause sa probité, il met fin à ses jours le 1er mai 1993.
Ses obsèques ont lieu quelques jours plus tard à Nevers, en présence du président de la République et de nombreuses personnalités politiques françaises.
Dans son discours hommage, François Mitterrand, d'une voix émue, évoqua ceux qui ont "livré aux chiens l'honneur d'un homme".