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6 mai 2014 2 06 /05 /mai /2014 22:52

10 avril 2014, à l’INALCO s’est tenue la conférence « L’économie ukrainienne – crise et gouvernance » avec pour l’invité Boris Najman, maître de conférences à l’Université Paris Est Créteil,  Conseiller du Gouvernement ukrainien entre 1995 et 1997.



L’économie Ukrainienne sous pression


Selon le dernier rapport du FMI détaillant les perspectives de croissance économique mondiales, les événements politiques en Ukraine auraient un impact sur la croissance économique mondiale. Le FMI vient d’accorder un prêt de 17 milliards de US$, essayons de voir la situation de l’économie ukrainienne dans un contexte de guerre et d’intervention militaire russe.


I. Instabilité macroéconomique : un problème de gouvernance
Nous observons un déclin des exportations à cause de la baisse de la compétitivité et surtout récemment à cause du blocus imposé par la Russie.


L’instabilité macro est également liée à des problèmes de gouvernance. Le PIB par habitant est de 3000 euros par an (peut-être 4500 euros si l’on prend en compte les revenus non-déclarés). La Pologne enregistre un PIB officiel quatre fois supérieur, la moyenne en Europe est dix fois supérieure. Ce niveau du PIB ukrainien est bien trop faible et il traduit l’absence de réforme de l’économie.


En 2013, nous observons une faible demande extérieure (en partie à cause de la limitation des exportations ukrainiennes vers la Russie) et une faible croissance de la consommation des ménages ukrainiens due à la crise et aux détournements de l’ancien gouvernement.


Entre 1991 et 93, la baisse de 40% du PIB est un choc digne d’une économie de guerre. La politique monétaire de Kravtchouk était très expansionniste, elle a déstabilisé l’économie en créant une demande artificielle et donc une hyper-inflation. L’URSS avait tendance à surestimer la valeur de son PIB, ce qui peut expliquer, aussi, une chute prononcée. A l’époque communiste, la valeur de certains biens produits était inférieure à la valeur des matières premières utilisées pour la production (i.e. une valeur ajoutée négative).


Depuis 2002, on assiste à des périodes de croissance mais avec une forte instabilité, puis de crise de 2008 et enfin une baisse progressive du PIB depuis 2012. En comparaison avec les nouveaux membres de l’UE, le PIB par habitant n’a cru que modestement, en termes réels, depuis 1991. Les prix s’envolent, baissent puis repartent à la hausse constamment. Cela démontre l’absence de gouvernance stable et cohérente afin de stabiliser l’économie.


Dans ce contexte, les personnes les plus vulnérables sont les retraités, ceux qui ont des petits revenus, et les femmes seules avec enfants.


Pour ce qui est du taux de change, le gouvernement est parvenu, par période, à stabiliser le cours de la Hryvnia; puis il a dû dévaluer en 1999, en 2008 et de nouveau depuis le début des événements sur Maïdan. Globalement, comme en Russie, nous constatons un manque de confiance dans le système bancaire et la stabilité de la monnaie nationale, ceci explique la hausse du dollar et l’utilisation massive du cash (en Dollar et en Hryvnia).


Les Russes sont, également, très méfiants envers leur système bancaire, les fuites de capitaux sont massives (plus de 50 milliards depuis le début 2014, selon Bloomberg) et ils changent leur Roubles en Dollars pour se protéger de l’inflation. C’est le paradoxe d’un pays très nationaliste mais très méfiant envers ses institutions publiques, son système financier et son économie en général.


II. Structure du PIB, emploi et migration : un héritage de l’URSS
L’économie ukrainienne a hérité d’un secteur secondaire (industries) important qui compte pour 30% du PIB (25% dans l’UE) et d’une agriculture à 10% du PIB (1.5% en moyenne dans l’UE). L’Ukraine voit 6,5 millions de ses citoyens travailler à l’étranger ; soit 14,4% de sa population. Ce sont, souvent, les gens les plus dynamiques qui partent. D’un autre coté cette émigration même rapporte des devises sous forme de transferts privés (soit 6 milliards de dollars équivalent à 4% du PIB, selon Banque Mondiale). Peu de pays ont des transferts privés aussi importants.


Ces transferts ont augmenté très fortement. Dans les périodes de crise cela permet de compenser la baisse des revenus en Ukraine. Le taux de chômage reste à 8.5%. Ce chiffre n’est pas comparable aux données UE sur le chômage car les indemnités chômage sont très faibles en Ukraine et ce taux de chômage ne traduit pas la réalité du sous-emploi et de l’emploi informel qui sont massifs en Ukraine.


III. Situation de développement des entreprises et du commerce : beaucoup de contraintes
Le climat des affaires est très défavorable en Ukraine, nombre d’entreprises se plaignent des « raid » sur leurs activités. Le système réglementaires est largement inefficace et donne lieu aux versements de « pot de vin ». Dans le classement « Doing Business » 2014 de la Banque Mondiale, l’Ukraine est classée 112ème sur 189 (La Pologne est classée 45ème). Les principales difficultés sont : obtenir le branchement à l’électricité, résoudre les problèmes d’insolvabilité, le commerce hors du pays et la protection des investisseurs.


Sur le plan du commerce, l’embargo russe (de facto) sur l’Ukraine constitue le principal problème, en particulier pour les industries de l’Est du pays. Cela explique en partie le déficit de la balance courante et commerciale. La grande question est de savoir comment sortir de la grande dépendance en termes d’exportations mais aussi des importations d’énergie en provenance de la Russie. Ces dernières années les importations vers l’UE se sont accrues et rejoignent quasiment le niveau des importations russes. La structure des importations entre Russie et Ukraine est très différente, les Russes vendent principalement de l’énergie et les Ukrainiens des produits manufacturés (source OMC).


IV. Situation financière fragile
Les banques ont des bilans comportant de nombreux actifs risqués. Les bons du trésor ukrainiens ne trouvent plus acheteurs. Les banques ukrainiennes ont attribué des prêts qui ne seront pas remboursés probablement. De plus, le déficit budgétaire (8% du PIB) est très élevé et les recettes budgétaires sont en chute.


Les taux interbancaires ont beaucoup augmenté. Les banques ne se font plus confiance entre elles. Le taux interbancaire mesure le taux de risque à prêter de l’argent sur le marché intérieur. L’accord avec le FMI va permettre de ramener une partie de la confiance mais la situation reste très fragile à cause de l’intervention militaire de la Russie.


V. Gouvernance : « un Etat fragile sans contre-pouvoir»
Stabiliser les prix et lutter contre l’inflation a été la mission principale dans les premières années de l’indépendance de l’Ukraine. Ensuite, il a fallu introduire une monnaie convertible puis changer des éléments de fonctionnement de la politique économique et des institutions. Pavlo Lazarenko (Premier Ministre 1996-1997) a été l’homme du retour en arrière de ces réformes. Son objectif était de gérer la rente gazière à son profit. Cette rente a détruit le pays et son indépendance.


Dans les années 90, la continuité de l’appareil d’Etat de la période communiste est prônée. L’accord est le suivant : on préserve les élites et le fonctionnement de l’Etat en échange de l’indépendance. Le problème est que ces élites développent les rentes liées à l’énergie principalement avec la Russie qui remettent en cause l’indépendance du pays.
Le contrôle des rentes liées au secteur de l’énergie explique l’absence de concurrence politique réelle (pas de contre-pouvoir et pas de partis d’opposition). Il n’y a aucune sanction par les élections de la mauvaise gestion du pays.


VI. Réformes : maintenant ou jamais
A)    Contrôle de la corruption : pas de politique cohérente
La Russie et l’Ukraine sont dans une situation très mauvaise selon le classement de « Transparency international » 147ème place sur 180. La corruption est un problème, mais surtout les détournements et les rentes, la situation n’a fait qu’empirer sous Ianoukovitch.


B)    L’Etat de droit : les citoyens ordinaires ne sont pas protégés
En d’autres termes, cela signifie l’égalité des citoyens face à la loi. L’Etat de droit est très mauvais en Ukraine et encore plus bas en Russie (cf. l’indicateur de la Banque Mondiale). Il illustre de vraies différences avec la Pologne et même la Roumanie.


C)    Liberté d’expression, prise de parole et responsabilité des gouvernants :
L’indicateur de la Banque Mondiale permet de mettre en évidence le degré de responsabilité des hommes politiques. L’Ukraine est mieux évaluée que la Russie mais ce n’est pas fondamentalement mieux. Si l’indicateur est très faible, cela peut être un signe de probables révolutions comme cela fut le cas dans les pays arabes avant les révolutions. Il s’agit d’avoir la possibilité de parler de ce qui ne va pas et d’obliger les responsables politiques à rendre des comptes.


D)    Efficacité du gouvernement : qui dirige ?
En Ukraine, les règlements sont élaborés comme justificatif de l’arbitraire et non pour améliorer le fonctionnement de l’économie.


Ce qui a été mis en place pour le moment, dans l’urgence. Les économistes sont partagés certains disent qu’il faut aller vite dans le processus de réforme pour contrer les rentes de situation. D’autres disent qu’il faut aller plus lentement pour permettre les ajustements nécessaires. La thérapie de choc (à la polonaise) mise en œuvre durant les années 1990 est une option. C’est à la population de choisir parmi toutes les solutions. Les défenseurs du renforcement de la rente énergétique ne veulent pas de ce choix. Alors, ce qui a été mis en place pour le moment, dans l’urgence :
-    Loi sur les appels d’offres : cela oblige à rendre les appels d’offres transparents
-    Loi pour faire face à la catastrophe financière 
-    Loi de lustration des juges : Il faut voir si les fonctionnaires peuvent prendre de fonctions de juge s’ils ont été liés à la corruption ou à des actes illégaux.
-    Au niveau des décisions économiques : le gouvernement a cherché à préserver les retraites, augmenter et améliorer la collecte des impôts afin de combler le déficit, un impôt plus progressif, augmenter les taxes sur l’alcool et le tabac, supprimer les subventions concernant les tarifs de l’énergie, baisser de 10% le nombre de fonctionnaires, augmenter les privatisations et baisser les taux d’intérêts.


A ce jour, il existe des promesses d’aide à hauteur de 27 milliards de dollars pour l’Ukraine. C’est insuffisant pour faire face à la crise mais c’est un début. Dans ce cadre, l’UE contribue largement au sauvetage financier de l’Ukraine car elle veut éviter la déstabilisation du pays.


VII. Le gaz : une arme politique
L’Ukraine ne peut pas se passer du gaz russe à court terme. D’ici 2-3 ans, il existe des possibilités de substitution (transition énergétique et autres approvisionnements). Aujourd’hui, les entreprises ukrainiennes sont très inefficaces au niveau de la consommation d’énergie. Le problème est qu’il existe une rente gazière et un clientélisme (achat de votes) derrière ce système.


La question de la construction européenne est, aujourd’hui, liée à la crise du gaz. La forte dépendance de certains pays est problématique (Bulgarie, Etats baltes, Pologne …). L’Europe dispose de réserves pour tenir quelque temps mais ce n’est pas l’intérêt de la Russie de couper le gaz. L’Ukraine refuse d’importer le gaz russe au prix fixé début avril par la Russie (485 US$  pour 1000m3).


Le gaz est une arme utilisée par la Russie dans les négociations avec l’UE et l’Ukraine. La carte des gazoducs est, en ce sens, très politique. Ce n’est pas un abus de langage de dire que la Russie est gouvernée par Gazprom. La rente gazière procure des revenus importants pour le budget de la Russie et les citoyens ne sont plus contributeurs et donc moins critiques vis-à-vis de l’usage des impôts sur l’énergie. Cela se vérifie dans tous les pays où la rente pétrolière et gazière est substantielle.


En Ukraine, on assiste à une crise de financement dans le court terme. D’ici un à deux ans, cela peut se résoudre. Maïdan est un mouvement de contestation de la gouvernance de l’Etat. Un Etat qui ne protège pas ses citoyens. Pour l’économiste, il faut voir comment on réforme un Etat qui n’est pas au service de ses citoyens. La rente du secteur énergétique devrait être au cœur de la stratégie de réforme.

 

 Par Anthony Pierini

 

Boris Najman est économiste et travaille sur la Russie et l’Ukraine, en particulier la mobilité du travail, la gouvernance et le secteur informel. Les enquêtes ménages réalisées dans ces pays permettent de suivre les individus sur plusieurs périodes et ainsi d’observer l’offre de travail en période de crise où le salaire déclaré baisse fortement. Boris Najman a travaillé avec Viktor Pynzenyk (Vice-Premier Ministre ukrainien) sur les questions budgétaires et sociales ainsi qu’à l’introduction de la Hryvnia – monnaie ukrainienne.

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