CINÉ -CLUB UKRAINIEN
ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE
Jeudi 26 avril 2012, 19h, à l’Espace culturel de l’Ambassade
22, av. de Messine, M° Miromesnil.
Entrée libre.
Réservation souhaitée au 01 43 59 03 53
Séance dédiée à la mémoire de Mykhaïlo Biélikov, décédé le 28 mars 2012
MYKHAÏLO BIÉLIKOV
1940-2012
LA DÉSINTÉGRATION
( РОЗПАД )
vostf
Production : Studio Alexandre Dovjenko, Peter O. Almond Productions, Pacific Film Fund, 1990, 102 mn, coul.
Scénario : Oleg Prykhodko, Mykhaïlo Biélikov
Réalisation : Mykhaïlo Biélikov
Photographie : Vassyl Trouchkovskyi, Alexandre Chyhaiev
Décors : Inna Bytchenkova, Vassyl Zarouba
Musique : Igor Stetsiouk
Son : Victor Loukach
Interprétation : Serhiї Chakourov, Tetiana Kotchemassova, Stanislav Stankevytch, Heorhiї Drozd, Oleksiї Serebriakov, Maryna Mogylevska, Oleksiї Horbounov, Mykyta Bouldovskyi, Anatoliï Hrochevoї, Natalia Plakhotniouk, Mykola Dossenko
Genre : drame psychologique
Récompenses : Médaille d’Or du Président du Sénat italien au Festival International de Venise, 1990 ; Grand Prix au Festival International du film écologique de Santander, 1990
Synopsis
Alexandre Jouravlov est journaliste à Kiev. Carriériste à tous crins, il est à la recherche du scoop qui lui permettra de décrocher le poste de rédact eur en chef. Il décide de planter le drapeau rouge sur le toit du quatrième bloc de la centrale nucléaire de Tchornobyl, jonché de débris hautement radioactifs. Pour accomplir cet acte de folie héroïque, il offre son épouse à Chouryk, un jeune communiste en vue, en échange du laissez-passer indispensable pour entrer dans la zone interdite.
Opinion
Première grande fiction consacrée relativement tôt à la catastrophe nucléaire de Tchornobyl, La Désintégration de Mykhaïlo Biélikov s’inscrit dans la liste des films qui jettent un regard impitoyable sur l’actualité. Le titre du film parle de lui-même. Au-delà des radiations, le film traite de la désintégration de toute une société et d'un système qui bientôt s’effondrera. Par un curieux raccourci de l’Histoire, deux mois avant l’explosion d’un des réacteurs de la Centrale de Tchornobyl sortait Lettres d’un homme mort du cinéaste russe Constantin Lopouchanski, un film-avertissement de science-fiction politique qui racontait la vie sous terre après une catastrophe nucléaire, due à l’erreur d’un ordinateur. À Kiev, jouant la transparence de la perestroïka, on pense très vite à un scénario proposé par l’écrivain Volodymyr Yavorivskyi, Marie de Tchornobyl, puis on fait venir de Moscou les deux plus grands scénaristes de la stagnation, Edouard Volodarski et Valentin Tchernykh auxquels se joignent Youriï Chtcherbak et Mykhaïlo Biélikov. Mais c’est le scénario d’Oleg Prykhodko qui est définitivement choisi. Bien que réalisé dans l’esprit et avec la méthode habituels – alchimie de fiction, chronique et reportage -, le film n’est ni un film-catastrophe, ni une enquête sociométrique sur la fracture politique et humaine qui va s’opérer dans la population tout entière, mais une révélation cathartique tranchant dans le vif, au-delà de la douleur, du temporel.
Le drame personnel et familial que vit le couple en train de se désintégrer est entrecoupé d’épisodes authentiques épars autour de la cité-dortoir de Prypiat. Espérant retrouver sa mère, un enfant revient en courant dans la ville vidée de sa population. De jeunes mariés passent leur lune de miel dans la zone dosimétrée par des hommes portant des combinaisons intégrales et des masques. Prostré, un médecin constate l’ampleur du désastre. À l’aéroport de Kiev, des pontes du Parti viennent accompagner leur progéniture dans des limousines noires. Aux vues d’ensemble aériennes et aux scènes de panique dans les gares succèdent des contrechamps métaphoriques, propres au cinéma des années soixante : œufs peints radioactifs, office liturgique pascal à l’heure de l’apocalypse, cigogne morte trouvée par la jeune mariée après la nuit de noces. Le réalisateur met l’accent sur les petits mensonges que le couple raconte au vieux père, faisant l’écho à la langue de bois des officiels qui s’obstinent à nier la gravité du moment et contraignent la télévision à diffuser imperturbablement une course cycliste et les préparatifs du défilé du Premier Mai.
Pour ce film de commande sociale, le Derjkino octroie un million de roubles (six cents mille dollars de l’époque) que Biélikov restitue grâce à un emprunt auprès d’un organisme caritatif et à un partenariat avec l’étranger. Le réalisateur, lui-même président de l’Union des cinéastes d’Ukraine, prend contact avec Peter Almond de San Francisco qui prospecte à Kiev en vue de futures coproductions. Impressionné par le projet de son interlocuteur, Peter Almond prend en charge avec Suzanne O’Connel du Pacific Film Fund les coûts de la post-production en invitant Biélikov et son équipe aux USA. La Désintégration devient le premier exemple de joint-venture américano-ukrainien dans le secteur cinématographique : le mixage est réalisé au George Lucas’ Skywalker Ranch, à Marin Country, et les tirages des copies à San Francisco. Les droits d’exploitation sont répartis entre Biélikov et les Américains qui se réservent la part du lion – la distribution internationale. Le 16 juillet 1990, la souveraineté étatique de l’Ukraine est proclamée. En septembre, au Festival de Venise, Biélikov reçoit la Médaille d’Or du Président du Sénat italien, mais son film n’est pas sélectionné pour le Festival d’Odessa, contrôlé par la nouvelle Association du cinéma indépendant et envahi par des films de plus en plus noirs.
Lubomir Hosejko