L’Ambassade d’Ukraine et le Ciné-club ukrainien
Mardi 7 décembre 2010, 19h, à l’Espace culturel de l’Ambassade
22, av. de Messine, M° Miromesnil, tel. 01 43 59 03 53.
Entrée libre.
UNE SOURCE POUR LES ASSOIFFÉS ( КРИНИЦЯ ДЛЯ СПРАГЛИХ )
vostf
Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1965, 73 mn. nb.
Scénario : Ivan Dratch
Réalisation : Youriï Illienko
Assistant-réalisateur : Lev Kolesnyk
Photographie : Youriï Illienko, Volodymyr Davydov
Décors : Petro Maxymenko, Anatoliï Mamontov
Montage : Natalia Pychtchykova
Son : Nina Avramenko
Musique : Léonide Hrabovskyi
Costumes : Nina Kybaltchytch
Maquillage : Yakiv Grinberg
Directeur de production : David Yanover
Interprétation : Dmytro Miloutenko, Laryssa Kadotchnikova, Théodossia Lytvynenko, Nina Alissova, Jemma Firsova, Ivan Kostioutchenko, Yevhen Baliev, Youriï Majouha, Olena Kovalenko, Kostiantyn Yerchov, Natalia Michtchenko, Volodymyr Lemport, Mykola Sylis, Hryhoriї Bassenko, Sachko Vienikov
Genre : art et essai
Synopsis
Dans un village déserté par ses habitants, un vieil homme dépérit dans la plus complète solitude. L’unique possibilité de la rompre est de rassembler ses enfants en leur envoyant un télégramme annonçant sa mort. Bientôt, toute la famille accourt pour son enterrement, sauf l’un de ses fils, pilote d’essai, qui vient de se tuer dans le crash de son avion.
Opinion
Une source pour les assoiffés est le premier long métrage de Youriï Illienko et Ivan Dratch, respectivement réalisateur et scénariste. Avec Les Chevaux de feu de Serge Paradjanov et La Croix de pierre de Léonide Ossyka, ce film de fin d’études amènera la production des Studios Dovjenko de Kiev à une définition éminemment nationale. Ivan Dratch, chef de file de la nouvelle vague littéraire ukrainienne, avait imaginé une histoire sur le dépeuplement d’un village en Ukraine. Le scénario était construit selon un schéma allégorique intéressant, une ciné-parabole – terme rejeté par la censure qui le qualifia d’antikhokozien –, dans un style visuel et sonore recherché autour du thème de l’eau. C’est l’histoire vraisemblable d’un vieillard abandonné par les siens qui s’éteint dans un village déserté. Il garde et entretient un puits où viennent se désaltérer toutes sortes de passants assoiffés. Les visions du vieillard traduisent un univers furtif et associatif, oscillant entre prémonition et prophétie, où tout est codifié : la fin de la vie spirituelle, la désintégration de la cellule familiale, la destruction de la vie rurale, la pollution. Pour le vieillard qui perd ses repères et ne peut retrouver la tombe de sa génitrice, la vie n’a de sens que si le puits ne tarit pas. Le film est imprégné de métaphores et d’allégories transposées de La Terre ou du Mitchourine de Dovjenko. Le vieillard rase le verger qu’il a planté dans sa jeunesse et porte les arbres sur ses épaules. Expérimental à plus d’un titre, cet opus étonne par son graphisme pictural dans un décor naturel presqu’irréel. Illienko le réalise dans le village de Melnyky de la région de Tcherkassy où ne survivent que quelques veuves de guerre. Les khatas sont perchées sur des monticules de sable et les vergers noyés dans le tchernoziom en contrebas. On croit voir une mer de sable qui avance, un arbre mort, une terre aride, alors que l’œil du spectateur est habitué à voir une pomme, une porteuse d’eau, un cheval noir. Paysage rare en Ukraine, cette anomalie géologique rend tangible la sensation d’oppression et de canicule. Le film est tourné en noir et blanc sur pellicule Nikron avec des scènes en négatif, portées à l’incandescence ou solarisées. La mise en scène pourrait être celle de Paradjanov avec une présentation frontale et statique d’éléments décoratifs. Bien que le nom du compositeur Léonide Hrabovskyi figure au générique, il n’y a pas, à proprement parler, de musique de film, mais une polyphonie de sons-collages : le vent, le grincement du puits, le silence, le son du carillon rebondissant sur l’eau, la terre, le ciel. La caméra est assagie. Elle ne traque pas, elle est traquée par le regard du vieillard (Dmytro Miloutenko). L’acteur attend la mort dans le film mais aussi sa propre mort. Il décèdera peu après le tournage. À ses côtés, Laryssa Kadotchnikova, plus belle encore que dans Les Chevaux de feu, Théodossia Lytvynenko, Nina Alissova, Jemma Firsova, futures vedettes des films d’Illienko.
Le film, dont le budget se situait à hauteur de 268 000 roubles de l’époque, fut interdit sur décision du CC du PCU (Décision n°3 du Comité d’État de la RSS d’Ukraine pour la cinématographie du 10 mars 1967) pour son style, son langage allégorique obscur qui, selon la critique officielle, salissait la réalité soviétique (quand bien même Ivan Dratch avait saupoudré ce scénario de quelques anecdotes pour contourner les affres de la censure). Il fut l’un des premiers d’une longue liste de films qui seront mis à l’index et ne seront réhabilités qu’à l’issue du Vème Congrès de l’Union des cinéastes de l’URSS en novembre 1987. Le déchaînement des autorités contre l’exploitation commerciale du film d’Illienko illustrait bien la vague de destructions physiques d’œuvres uniques que subira le cinéma pendant la stagnation brejnévienne. Les salles de montage étaient scellées, le matériel confisqué. Il arrivait parfois que les agents de la sécurité oubliaient quelques pièces à conviction. C’était justement le cas d’Une Source pour les assoiffés dont une copie était en cours de développement pendant la perquisition nocturne des laboratoires. Elle fut cachée par les techniciens des années durant. La veille de la descente du KGB dans les Studios Dovjenko de Kiev, Illienko subtilisa sa propre copie de travail qu’il remisa dans son garage durant 22 ans. Comme toute nouvelle expérience en URSS, celle d’Illienko eut une fin. Fauché dans son élan vers un cinéma d’auteur, le réalisateur devint, dans un premier temps, le porte-drapeau d’un cinéma en pleine renaissance puis, brimé pendant la stagnation brejnévienne, il entreprit la réalisation de films plus sages. La source s’était tarie, le cinéma aussi. Le film sera montré pour la première fois en novembre 1987 dans un festival organisé par le ciné-club de Zaporijjia, puis en 1988 au Festival International de San Francisco.
Lubomir Hosejko