CINÉ-CLUB UKRAINIEN
ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE
22, av. de Messine, M° Miromesnil. Tél. 01 43 59 03 53
Mardi 8 janvier 2013, 19 heures
Entrée libre.
LE CHEVAL QUI PLEURE
(ДОРОГОЮ ЦІНОЮ)
vostf
Après avoir connu une période de disgrâce due à l’eugénisme culturel imposé par Jdanov et à l’antisémitisme ambiant, Marc Donskoï effectue, en 1953, un retour discret dans les studios de Kiev avec un sujet footballistique qui passe inaperçu, Nos champions. Hors cet intermezzo alimentaire, Donskoï livre au cinéma ukrainien deux de ses créations majeures, La Mère (1955) et Au prix de sa vie (1957). Sortie en France sous le titre Le Cheval qui pleure, cette dernière reste son œuvre sans doute la plus aboutie. Elle représente aussi la fusion panthéiste entre Mykhaïlo Kotsioubynskyi, auteur de nouvelles cinégéniques, et un cinéaste enraciné dans le terroir et la culture ukrainienne, fidèle à un style sobre, inaltéré par les fluctuations politiques et les modes. C’est dans les deux premiers plans de ce chef-d’œuvre que l’on découvre le Donskoï humaniste, féru de littératures russe et ukrainienne, liant dans son épigraphe une citation de Gorki : « Ce que nous aimons, nous l’aimons jusque dans la mort » à celle de la poétesse Lessia Oukraїnka : « Qui n’a pas vécu dans la tourmente, ignore le prix et la force des choses, ignore que les hommes ont toujours aimé la lutte et le labeur ». L’action se déroule en Ukraine dans les années 1830, où, écrasés par le servage, les paysans fuyaient par milliers vers les vastes steppes de la Bessarabie et tombaient dans les mains des patrouilles riveraines. Fouettés, marqués au fer rouge comme du bétail, ils étaient renvoyés enchaînés aux seigneurs, enrôlés de force dans l’armée ou exilés en Sibérie.
Sous la houlette du directeur de la photographie Mykola Toptchiї, Donskoï déploie des tableaux contemplatifs au lyrisme pur, des marines et des ciels impressionnistes d’une beauté absolue. Des images baroques s’égrènent des deux côtés du Danube, avec des fêtes rituelles et foraines, accompagnées de danses endiablées. Exécuté magistralement par l’actrice Olga Petrova, le solo de la Tsigane Marioutsia s’inscrit dans les chorégraphies les plus célèbres du cinéma. Entourés de comédiens du théâtre Romen, les protagonistes Vira Donska-Pryssiajniouk (Solomiїa) et Youriï Didovytch (Ostap) transcendent chaque moment de leur amour fou dans une société plus folle encore. Le titre français du film provient de la séquence où, voleurs de chevaux peu scrupuleux, les Tsiganes décident de revendre leur dernier cheval après avoir masqué ses défauts. Le riche marchand qui l'achète découvre la supercherie et, après avoir arraché la fausse crinière, bat le pauvre cheval qui se met à pleurer. Par sa passion pour les paysages et la générosité humaine, Donskoï fait parfois penser à Mizoguchi et à Renoir, et davantage au cinéma de l’Ukraїnfilm des années 30. Novateur, son film influe sur les jeunes cinéastes, notamment sur la future École poétique de Kiev. Andriech et Les Chevaux de feu de Paradjanov en subiront l’influence initiatique la plus manifeste. Les assistants de Donskoï, Volodymyr Dovhagne et Volodymyr Denyssenko, lui devront d’avoir appris le métier sur un film où les sentiments priment sur le social.
En 1958, Le Cheval qui pleure est récompensé en Grande-Bretagne et obtient un succès commercial en France, accompagné de critiques élogieuses. Henri Agel le définira en tant qu’élégie dramatique, contée comme une légende d’un Tristan et Iseult d’Ukraine, et rangera le réalisateur parmi les romantiques apparentés à Dovjenko. Paradoxalement, en Ukraine, son chef-d’œuvre fut considéré comme un film passéiste, tant sur le plan technique qu’esthétique. Il en fut de même pour les films réalisés à cette même époque d’après les récits de Kotsioubynskyi, Aube sanglante d’Olexii Chvatchko, Sur le four de Volodymyr Karassiov et Les Chevaux sont innocents de Stanislav Komar. On crut un moment que Marc Donskoï allait reprendre le flambeau de la cinématographie ukrainienne après la mort d’Alexandre Dovjenko, survenue en 1956, mais le cinéaste fut réintégré au Studio Gorki de Moscou, où il réalisera sept films jusqu’en 1977.
Lubomir Hosejko