09/06/2010, par Peter Byrne
Volodymyr Tchemerys est un homme politique ukrainien et un militant social. Il a été député au Parlement en 1994-1998, mais il est plus connu comme un des chefs du mouvement de protestation l’ « Ukraine sans Koutchma » de 2000-2001.
Ces protestations préparaient aux démonstrations nationales, connues comme la Révolution Orange, après le deuxième tour truqué de l’élection présidentielle du 26 novembre 2004. Tchemerys est actuellement à la tête de l'Institut Respublika, un laboratoire d'idées libéral défendant la liberté de rassemblement et de manifestation et faisant campagne contre les brutalités de la police. Le militant de 49 ans est aussi un des co-fondateurs et un membre actif de l'Union Ukrainienne d’Helsinki pour les Droits de l'Homme.
KP : Qui dirige l'Ukraine aujourd'hui ?
VTch : Le système capitaliste dirigé par les oligarques prédomine toujours. Les riches individus qui contrôlent les processus politiques se considèrent eux-mêmes comme la classe dirigeante. Les membres des autres groupes sociaux dans ce système ne sont que «des étrangers».
KP : Quand pourrons-nous nous attendre à la prochaine révolution ?
VTch : Le système changera quand "les étrangers" le changeront. Un bouleversement semblable fermentait au début de 2000, même avant la mort du journaliste Georgiy Gongadze et la divulgation des enregistrements montrant l’implication de Koutchma dans le crime. Ces scandales, comme ceux qui les ont précédés, ont servi de détonateurs. Ils ont déclenché des protestations dans tout le pays, d'abord en 2000 puis quatre ans plus tard.
KP : Y-a-t’il des parallèles entre la situation présente et celle de l’année 2000 ?
VTch : Oui et non. L'été 2000 fut très tranquille. La plupart des gens pensaient à ce moment que Koutchma resterait à son poste pour très longtemps encore. Au début du printemps, il avait reçu l’approbation publique [à la suite d’un référendum national] pour accroître l'autorité présidentielle, dissoudre le parlement, etc. Tout semblait aller pour le mieux pour Koutchma à cette époque. La situation actuelle est différente. La première moitié de l'année a été relativement calme mais les deux derniers mois ont été tumultueux. Nous avons été témoins des tentatives des nouvelles autorités pour limiter les droits de l'homme fondamentaux, particulièrement la liberté de manifester. Les cours de justice ont interdit des réunions et la police les a dispersés et arrêté des manifestants.
KP : Quels groupes représentent le nouveau mouvement de la société civile ukrainienne ?
VTch : Il y a un certain nombre de groupes, militants civiques, groupements de jeunes, journalistes et citoyens ordinaires, qui se sont organisé ces derniers mois pour défendre leurs intérêts personnels et leur dignité. Ceci inclut les ouvriers de Kherson qui protestent contre la privatisation malhonnête de leur entreprise, les syndicats contre l'adoption du nouveau code du travail, les étudiants contre les brutalités de la police, les associations de déposants de banque privés du droit de regard, etc. Chaque groupe épouse des buts différents, mais ce qu'ils partagent, c’est le mépris pour l’élite dirigeante et le capital élitaire de l'Ukraine.
Je vois un nouveau mouvement de protestation en devenir, un mouvement sans aucune affiliation politique. Tymochenko et d'autres chefs politiques ne seront pas en mesure de le contrôler, même s'ils le veulent, parce que le mouvement sera alimenté par les mêmes injustices sociales et violations des Droits de l'Homme que les chefs de Révolution Orange avaient promis d'éliminer en 2004. Le nouveau mouvement ressemblera probablement au départ à l' « Ukraine Sans Koutchma » dans ce qu’il ne sera pas – et ne peut pas être - conduit ou contrôlé par des politiciens.
KP : Croyez-vous que ces groupes s'uniront finalement dans un mouvement national d'opposition ?
VTch : Le processus de changement social est objectif. La crise économique et les politiques sociales gouvernementales ont appauvri des millions d'Ukrainiens et les ont relégués en marge de société. Ceux-ci sont les exclus et ils sont malheureux. Je pense que le printemps et l'été passeront paisiblement. Mais les autorités ukrainiennes donneront toujours une raison à la population pour se rassembler contre elles et le nombre de protestations pourrait grandir à la fin de l’année. Une idée a été lancée récemment pour rassembler et unir tous ces divers groupes de protestation en un corps fusionné sous la bannière d’un mouvement social, mais je crois que c’est impossible. Un chef, ou des chefs, doivent d'abord émerger de ces groupes, les lier ensemble et trouver une stratégie. Ils ne peuvent pas être désignés à ce poste ou être dirigés par en haut.
KP : En quoi, vous-même et Respublika, vous appliquez-vous ?
VTch : Nous sommes actuellement impliqués dans une campagne pour empêcher l'adoption du projet de loi sur les démonstrations pacifiques qui doit être examiné par le parlement le 17 juin prochain. Avec une douzaine d'autres organisations civiques, nous avons transmis nos inquiétudes sur des dispositions de la nouvelle loi à l'administration présidentielle et aux leaders du parlement, y compris au Président de la Rada Volodymyr Lytvyn, en demandant que la mesure soit mise en suspens.
KP : Quel sont les arguments pour changer la loi existante ?
VTch : l'Article 39 de la Constitution est la seule loi garantissant la liberté de réunion. Aucune loi spéciale réglementant les manifestations n'a été adoptée. Les autorités n’ont jamais rendu facile la possibilité pour les gens de protester contre elles. Le premier projet de la nouvelle loi a été déposé quand Tymochenko était à la tête du gouvernement, mais des modifications ont été introduites depuis lors. Nous voulons que le nouveau projet de loi soit examiné par la Commission européenne pour la Démocratie par la Loi, mieux connue comme Commission de Venise et pour que le parlement débatte ouvertement de chaque mesures avant de passer au vote.
KP : Quelles dispositions contestez-vous dans la nouvelle loi ?
VTch : Selon la Constitution, les citoyens n'ont pas besoin de la permission des autorités pour se rassembler et manifester. Ils sont seulement tenus d’en faire l’annonce préalable. Une cour de justice peut interdire une manifestation « seulement dans l’intérêt de la sécurité nationale et de l'ordre public, dans le but de prévenir des troubles et des crimes, de protéger la santé des gens ou de protéger les droits et les libertés des autres personnes ». Sous Yanoukovytch, les cours de justice ont tendance à interdire n'importe quelle démonstration qui pourrait le montrer, lui ou ses alliés influents, sous une lumière peu flatteuse. La Cour de Justice Administrative Régionale de Kyiv a satisfait pratiquement à toutes les demandes de l'administration de la ville de Kyiv pour interdire des manifestations dans la capitale. Même si une réunion n'a pas été interdite, la police arrête souvent les chefs de la manifestation et leur dit de débourser. La nouvelle loi rendrait cette pratique légale.
KP : Qui peut jouer un rôle d’intermédiaire entre les autorités et leurs détracteurs ?
VTch : j'ai travaillé avec Hanna Herman quand le Parti des Régions était dans l’opposition. Mais son rôle est aujourd'hui changé. Je crois qu'elle essaie maintenant d'atténuer les rugosités créées par les têtes-dures de la nouvelle équipe du président. Herman peut vouloir aider, mais en est incapable. Je ne vois personne d'autre. Le Conseil des Affaires publiques pour les Droits de l'Homme du Ministère de l'Intérieur est à présent dirigé par Eduard Bagyrov, qui ne bénéficie guère de soutiens.
Un des premiers actes d'Anatoliy Mohilyov comme ministre de l'Intérieur fut de liquider le département du ministère chargé de contrôler l'application des Droits de l'Homme. Mohylov a rejeté plusieurs fois nos appels pour le rencontrer et discuter des scandales impliquant la police et des citoyens ordinaires comme la mort récente [le 18 mai] d'un étudiant [Ihor Indilo] détenu dans le poste de police du district de Kyiv Shevchenkovskiy. Le Médiateur pour les Droits de l'Homme, Nataliya Karpacheva, s'est impliquée personnellement dans ce cas, mais elle peut seulement poser des questions et faire des recommandations. Mohilyov a montré qu'il n’est pas intéressé à dialoguer avec la société civile.
KP : Quelles leçons peuvent être tirées des révolutions qui ont balayé la Géorgie, l’Ukraine et le Kirghizstan au milieu des années 2000 ?
VTch : Il y a beaucoup de parallèles entre ce qui s’est produit ici et les événements de Géorgie et du Kirghizstan. Nous faisions tous partie de l'Union soviétique et notre trajectoire a été le même. L'« Ukraine Sans Koutchma » a ressemblé au mouvement « Géorgie Sans [Eduard] Chevardnadze » de 2001. [Mikheil] Saakachvili a émergé comme chef de l'opposition en 2003, une année avant que Viktor Youchtchenko ne le fasse en Ukraine. Les citoyens des deux pays ont soutenu ces chefs au début, mais se sont rendu compte par la suite que le fait de remplacer un président par un autre n'était pas la meilleure façon de changer le système de gouvernement du pays. La leçon que les gens ont apprise est que le changement de président ne suffit pas.
KP : Que pensez-vous de Oleh Tiahnybok et du Groupe ultra-nationaliste Svoboda qu'il dirige ?
VTch : J'ai connu Tiahnybok lors de manifestations estudiantines en 1990. Tiaynybok et son groupe compte sur le soutien d’environ 1 ou 2 pourcents des électeurs à l'échelon national, principalement dans les oblasts d'Ukraine occidentale. Le groupe Svoboda s'est montré le 1er juin lors d’une manifestation devant le district de police de Kyiv Chevchenkovskiy, mais la plupart des manifestants se sont désolidarisés de leur groupe en les accusant d'utiliser la mort d'un étudiant pour augmenter leur propre popularité. ”
Traduit de l'anglais par Tymko
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