Une bande dessinée sur Tchernobyl… Le recueil de Natacha Bustos et Francisco Sánchez, paru en juin 2011 aux éditions Des ronds dans l’O, n’est pas le premier, ni sans doute le dernier. Le sujet est apparemment inépuisable pour les créateurs. Les auteurs, espagnols, ont choisi la forme du roman graphique, qui semble convenir à qui veut parler de l’Ukraine par le biais du dessin. On pense en particulier aux superbes Cahiers ukrainiens d’Igort (Futuropolis, 2010). Le récit de Tchernobyl – la Zone décrit le parcours d’une famille dans les jours qui suivent la catastrophe, une famille qui va peu à peu comprendre que sa terre natale est condamnée, et qu’elle ne pourra jamais y revenir.
La narration est lente, le trait sobre. Il règne dans tout l’album comme une atmosphère pesante, figée, hiératique presque, qui n’est pas sans rappeler certaines scènes des films de Tarkovsky. Puis, brutalement, les auteurs enchaînent les images choc, l’exécution des animaux contaminés dans les rues, la peur des paysans à l’idée que leurs maisons soient détruites. Avant de reprendre un rythme plus posé.
La lecture de Tchernobyl – La Zone est prenante, économe en descriptions et en paroles — les dialogues sont rares. Toutefois, il ne faut pas se leurrer, c’est une histoire “soviétique”. En dehors des dernières pages, situées en 2006, l’essentiel de l’histoire se déroule en 1986. L’URSS de l’époque est d’ailleurs fort bien campée.
Il y a cependant un “mais”, et il est de taille. En 184 pages, le mot “Ukraine” n’apparaît pas une seule fois. Et pour cause : Youri, l’un des héros, est un Russe. Les “liquidateurs” dont parlent les auteurs sont tous enterrés dans un cimetière de Moscou. C’est encore de Moscou que partent les protagonistes en 2006, quand ils souhaitent se rendre dans la zone interdite, à laquelle ils accèdent sans que l’on sache clairement où ils sont. Dans Tchernobyl – La Zone, les environs de la centrale sont “une terre qui n’appartient plus à personne”, peut-on lire dans la postface. Un avis que ne partagent probablement pas les Ukrainiens et leurs voisins biélorusses.
C’est une forme d’exploit que de réussir à traiter la question de Tchernobyl sans citer une seule fois le nom du pays où se dresse ce triste mémorial de la folie nucléaire. Tchernobyl – La Zone vaut quand même que l’on s’y attarde, ne serait-ce que pour sa peinture d’un univers aujourd’hui disparu.
Enfin, une ultime remarque. Quand les éditeurs occidentaux comprendront-ils qu’il est ridicule d’agrémenter les titres et sous-titres d’ouvrages traitant d’Ukraine ou de Russie de faux caractères cyrilliques, comme les “N” transformés en “И” et les “R” en “Я” ? Malheureusement, cet album n'échappe pas à la règle et contribue donc à véhiculer les clichés.
par Roman Rijka