Journaliste, photographe et reporter de guerre, le lauréat des prix RFI-France - 24 , «Visa pour l ’ image » , Niepce, Kodac de la Critique, Guillaume Herbaut est l’auteur de photos impressionnantes et marquantes dans ce qu’elles expriment de l’histoire de l’Ukraine, du Mexique et de l’Albanie. Il est l’un des premiers photographes français à s'être rendu en Ukraine pour y vivre les périodes troubles et en même temps porteuses des espoirs du peuple ukrainien. Ni la température glaciale, ni la situation de guerre ne l’ont empêché de suivre les événements qui ont secoué le pays cette année.
Après 6 mois du travail, une dizaine d’aller-retour entre Paris et Kiev, son aventure personnelle continue dans un pays dont l’avenir demeure chargé d’incertitudes... Vous travaillez en Ukraine depuis 2001. Qu’est-ce qui vous a poussé à explorer un pays, si peu connu à l’époque ?
C’est vrai que l’Ukraine me paraissait très éloignée. Quand dans les années 1990 j’étais allé en Biélorussie j’avais l’impression que c’était à l’autre bout du monde, pour l’Ukraine c’était pareil. Comme à l’époque on n’était pas encore tous connectés à Internet, le monde nous paraissait très lointain. En fait, j’ai découvert l’Ukraine à travers Tchernobyl à l’occasion d’un premier voyage professionnel sur les lieux de la catastrophe. J’ai vraiment été touché par le pays. Et depuis, j’ai eu l’envie de connaître l’Ukraine de plus en plus profondément.
Il y a une tendance forte que l’on constate chez les français : lorsqu’ils ont séjourné une fois en Ukraine, il y reviennent tôt ou tard. Ils y trouvent quelque chose de singulier, un attachement particulier ... Vous-même, vous arpentez avec passion les villes et les campagnes ukrainiennes depuis plus de 13 ans...quels sont les ingrédients de cette alchimie ?
Je ressens qu’il y a depuis longtemps un lien fort entre la France et l’Ukraine. Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi l’Ukraine, est le seul pays au monde qui m’attire si intensément. Ensuite, il y a deux autres pays auxquels je suis lié : l’Albanie et le Mexique. Je parcours sans cesse le monde mais invariablement c’est en Ukraine que je retourne tout le temps. Plus je vais en Ukraine, plus j’aime ce pays. Quand je me suis rendu à Kiev il y a dix jours, j’ai encore découvert d’autres endroits, d’autres ambiances que je ne connaissais pas. C’est bizarre. Il y a les gens qui arrivent en Ukraine et restent totalement hermétiques aux gens, aux paysages et à l’architecture. Quant à moi, je me sens très bien là-bas.
Au fil des années la France découvre l’Ukraine à travers le prisme de votre objectif : de la découverte de Tchernobyl jusqu’à la guerre à Donetsk, via deux révolutions, sans oublier les cosaques, les nouvelles amazones des Carpates, ou encore les militantes aux seins nus des Femen. Au-delà de cet étrange kaléidoscope, que représente pour vous l’Ukraine ?
Je suis le premier photographe à s’être vraiment intéressé à l’Ukraine. Il s’agit d’un pays hors du commun qui fait référence aux contes pour enfants, c’est incroyable. Prenons la Révolution Orange et les différents acteurs politiques jusqu’à Porochenko : La Révolution Orange, cette histoire de « la Belle et la Bête » où Yulia serait la Belle et Iouchtchenko serait la Bête avec son visage défiguré. Puis les frères Klitshko qui sont tels les chasseurs de Blanche Neige. Et Ianoukovitch, l’ogre dont l’antre est sa fabuleuse propriété construite en périphérie de Kiev. Et enfin « Charlie et la Chocolaterie » avec le chocolatier qui devient président... J’ai aussi l’impression que Tolkien s’est inspiré des tenues des cosaques pour en revêtir les personnages du « Seigneur des Anneaux ». Par ailleurs selon la mythologie grecque les amazones seraient ukrainiennes. On constate vraiment que les références légendaires sont multiples, non seulement pour ce qu’elles évoquent positivement mais aussi pour leur coté tragique. Même les images que j’ai saisies à Tchernobyl se rattache à un imaginaire se rattachant à l’enfance, on peut ainsi voir une femme courir dans une ville abandonnée, cette photo poignante a été baptisée par le public «Le petit Chaperon rouge».
Après deux révolutions vécues aux côtés du peuple ukrainien, quels souvenirs avez-vous gardés de ces deux moments ? Sont-ils très différents ? A votre avis, l’Ukraine est-elle sur la voie de l’Etat de droit et la Démocratie?
J’ai deux sentiments qui me traversent pour appréhender la Révolution Orange et la Révolution-Maidan : la joie caractérise la première, et la gravité pour évoquer la seconde. On est passé de la joie à la gravité. Je trouve qu’en 2004, il y avait un élan vraiment positif vers la démocratie. D’ailleurs, on n’est pas tombé dans le chaos, l’État n’est pas entré dans la violence contre les manifestants et il y avait beaucoup d’espoir pour un nouvel élan démocratique. Tandis que l’année dernière quand je suis arrivé à Maїdan j’ai ressenti tout de suite quelque chose de plus grave que lors la Révolution Orange. Cette fois-ci, ce fut une lutte pour la dignité et le respect du citoyen.
C‘était s’inscrire dans la continuité de la Révolution Orange. Mais ces deux Révolutions sont cependant totalement différentes : l’une qui échappe à la dynamique de la violence, et l’autre, qui finit dans un massacre et se poursuit dans la guerre. Dans l’absolu, pour parvenir à construire un État de droit il faut beaucoup d’années. Pour l’instant, on est dans une période un peu obscure pour le pays. Peut-être est-ce un passage obligé pour pérenniser la Démocratie.
Propos recueillis par Karina Krasnosilska
Pour en savoir davantage, rendez-vous sur le site de Guillaume Herbaut
Vous pouvez également venir s'echanger avec lui au vernissage de l'exposition "Ukraine: de Maïdan au Donbass" le 27 novembre 2014 à 19h, à la galerie 61