- Quel bilan dressez-vous de votre action à la tête de l'institut œcuménique de l'Université catholique d'Ukraine ?
L’Institut d’études œcuméniques a été créé au sein de l’Université catholique d’Ukraine en juin 2004 par le père Ivan Dacko, prêtre grec-catholique ukrainien, et moi-même, laïc chrétien orthodoxe français, en vue de pacifier les relations entre les différentes Eglises en Ukraine et de proposer de nouvelles formes de témoignage commun des chrétiens en Ukraine et dans le monde. Nous avons dès le premier jour avec Borys Gudziak recteur de l’UCU choisi de créer une institution dont la logique serait avant tout une logique de l’amitié. Sept ans plus tard je me réjouis de voir tous les fruits qu’ont produit tous les réseaux d’amitié qui se sont constitué très vite en Ukraine et dans le monde autour de notre projet.
A l’époque je me souviens que le patriarche Alexis II de Moscou remuait ciel et terre pour convaincre l’ensemble des Eglises Orthodoxes du danger que représentait pour lui le retour à Kiev du chef de l’Eglise grecque-catholique ukrainienne Mgr Lubomyr Husar. L’Eglise russe considérait alors que l’Eglise dite « uniate » était une erreur historique absolue et que son rattachement en 1946 à l’Eglise Orthodoxe du Patriarcat de Moscou n’était qu’un juste retour des choses. Une atmosphère de méfiance réciproque régnait en raison de ce contentieux au sujet du pseudo-synode de Lviv de 1946 (qui n’a jamais été un synode pour l’Eglise grecque-catholique dont tous les évêques se trouvaient alors en prison) et d’une absence de dialogue entre les Eglises grecque-catholique et orthodoxe vieille de plusieurs décennies.
Je me réjouis que grâce à la création de l’Institut d’études œcuméniques au sein de l’université catholique d’Ukraine, la situation se soit depuis lors sérieusement détendue. Lors de l’intronisation du nouveau patriarche de l’Eglise grecque catholique ukrainienne Mgr Sviatoslav Schevchuk à Kiev au printemps 2011 toutes les Eglises Orthodoxes ont participé à la cérémonie et l’ont félicité. Il n’était plus question de rupture du dialogue œcuménique. A Lviv également grâce aux nombreux liens de sympathie que nous avons lié avec les évêques des différentes Eglises, et notamment Mgr Augustin de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou nous avons pu lancer en juin 2008 un projet commun à toutes les Eglises, les Semaines Sociales Œcuméniques ukrainiennes. Nous préparons en septembre la 5e édition de cette manifestation qui dispose maintenant d’un réseau national avec des antennes à Odessa, à Kiev, à Dnipropétrovsk, etc. Nous avons également participé à la commission régionale d’enseignement de l’éthique chrétienne dans les écoles publiques de la région de Lviv. Grâce à nos donateurs nous avons pu également financer la création de plusieurs manuels œcuméniques d’enseignement de l’éthique chrétienne. Ces ouvrages ont reçu la griffe du ministère de l’éducation nationale et sont aujourd’hui diffusés à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Nous avons lancé également le premier journal œcuménique ukrainien Dukhovnist en langue russe et en langue ukrainienne. Nous nous sommes pour cela associé à un grand quotidien national Vyssoki Zamok qui publie notre journal sur son site internet en supplément mensuel. Ces initiatives ont je le crois encouragé la création par le maire de Lviv d’un Conseil des Eglises chrétiennes de Lviv en avril 2011 qui permet désormais à ces Eglises de se rencontrer et de se parler régulièrement
Nous avons aussi réalisé un film documentaire sur le pseudo-synode en langues russe, ukrainienne, française et anglaise qui a mis fin à l’ignorance de la plupart des ukrainiens au sujet de ce rattachement forcé de l’Eglise grecque catholique à l’Eglise Orthodoxe russe. J’ai publié dès 2005 un livre d’entretiens avec le cardinal Husar qui a été publié en anglais, français en ukrainien et qui a permis de mieux comprendre la position complexe et en même temps profondément réconciliatrice de l’Eglise grecque catholique dans le paysage œcuménique. J’ai également publié un livre (En attendant le concile, Paris Cerf, 2011, qui va paraître cette année en russe et en ukrainien) qui présente tous les tenants et les aboutissants du paysage religieux en Ukraine et en en Russie.
Nous avons lancé un mastère en études œcuméniques en partenariat avec l’université d’Etat de Lviv et formé plusieurs dizaines de maîtres en œcuménisme. Aujourd’hui l’Institut œcuménique de Lviv est devenu l’unique institut d’études œcuméniques diplômant tant dans le monde catholique que dans le monde orthodoxe. Nous disposons également d’un prestigieux mastère d’enseignement à distance des études œcuméniques en langue anglaise et ukrainienne qui n’a pas d’équivalent ailleurs dans le monde. Nos anciens élèves sont aujourd’hui des journalistes spécialisés dans les questions religieuses, des professeurs d’éthique chrétienne ou des accompagnateurs sociaux. Je me réjouis chaque jour d’apprendre toutes leurs initiatives. Par exemple c’est une de nos anciennes étudiantes Olessia Stogny qui est en charge de l’organisation du concours annuel « Reporters d’espoir » qui est le principal concours à destination des journalistes en Ukraine et qui favorise un esprit d’informations porteuses de solution et non d’angoisses.
Tout ceci n’aurait pas été possible sans la générosité de nombreux donateurs et sans le soutien de personnalités importantes du monde œcuménique, je ne peux toutes les citer mais j’aimerais tout de même mentionner nos présidents d’honneurs, Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, Mgr Antoni Sharba, archevêque de l’Eglise orthodoxe ukrainienne aux Etats-Unis, Mgr Lubomyr Husar, archevêque majeur de l’Eglise grecque catholique ukrainienne, et le pasteur Konrad Raiser, ancien secrétaire général du Conseil Œcuménique des Eglises. Grâce au soutien de tous, et en particulier en France de L’Arche et de l’œuvre d’Orient, nous disposons maintenant d’un capital qui nous permet de financer de façon stable et pérenne un tiers de notre budget annuel.
Je pourrais parler très longtemps de toutes nos entreprises qui furent toutes passionnantes. Il suffit de se connecter à notre site internet en langues ukrainienne, russe, anglaise, et française pour découvrir toutes les initiatives que nous avons eues (http://www.ecumenicalstudies.org.ua/ ). Mais ma plus grande joie c’est d’avoir constitué une équipe ukrainienne, dynamique et pluri-confessionnelle capable de continuer aujourd’hui les activités de l’Institut sans que ma présence soit nécessaire au quotidien. Je reste cependant directeur émérite de l’Institut, membre du conseil d’administration de l’Institut et professeur permanent de l’Institut d’études œcuméniques.
- Comment le mouvement œcuménique est-il-perçu en Ukraine ?
C’est une question qui demanderait une réponse complexe et différenciée. Globalement on peut dire que en Ukraine occidentale, jusqu’à Kiev, l’œcuménisme est une réalité connue dans ses grands traits qui dispose aujourd’hui d’un a priori favorable. Les gens se souviennent de l’engagement en faveur de l’unité du métropolite grec catholique Sheptitsky, qui considérait que la frontière entre les chrétiens ne passent pas entre les confessions mais entre ceux qui croient que l’Eglise est une et ceux qui ne croient pas. Ils gardent la mémoire du métropolite orthodoxe Tikhon de Kiev pour qui les murs qui séparent les Eglises « ne peuvent pas monter jusqu’au ciel ». Tandis qu’en Ukraine orientale l’œcuménisme est perçu comme un « -isme » inconnu suscitant un a priori négatif. La position des Eglises est elle-même différente. L’Eglise grecque catholique fait de l’œcuménisme une priorité absolue, tandis que l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou se prononce souvent par la voix de certains de ses évêques (comme Mgr Agafangel d’Odessa) contre le mouvement œcuménique. L’Eglise catholique romaine est favorable à l’unité des chrétiens dans l’esprit de « Ut unum sint ». De même l’Eglise arménienne et les Eglises protestantes sont pour la plupart en faveur de prières communes pour l’unité et de diaconies menées en commun.
Mais il faut s’entendre quand on parle d’œcuménisme. L’œcuménisme n’est pas une idéologie. Ce n’est pas un concept univoque détaché de son contexte. J’ai rencontré en Ukraine des chrétiens très sympathiques qui étaient hostiles à toute tension vers l’unité avec d’autres chrétiens tout simplement parce que leur priorité, dans leur univers post soviétique, était d’abord de retrouver leur propre identité catholique, protestante ou orthodoxe. Il n’y a rien d’anti-œcuménique dans cette posture si elle conduit vers une réappropriation de sa foi en Jésus-Christ. Inversement j’ai rencontré à Kiev, à Chicago ou à Paris des Ukrainiens s’unir toutes appartenances ecclésiales confondues dans la commémoration de la tragédie du Holodomor qui a fait plus de 6 millions de victimes dans les années 1932-33. Ici l’unité ne signifiait pas une perte d’identité mais un désir de partager ensemble sa peine, de prier ensemble pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus. Dans les deux cas l’appartenance au mouvement pour l’unité des chrétiens commence par une posture de retour sur soi et d’humilité par rapport à ses propres limites. Si on définit l’œcuménisme de la sorte alors on comprend que les Ukrainiens sont en très grande majorité favorables à l’œcuménisme. L’échec des grands récits idéologiques du XXe siècle leur a permis en effet de renouer avec la conviction qu’un Dieu personnel, unique et trinitaire, est la source de leur propre liberté.
Le travail qui reste à faire cependant à mon avis, en Ukraine comme dans beaucoup d’autres pays de tradition byzantine, c’est de renouer avec une attitude positive à l’égard de l’histoire. Car l’œcuménisme n’est pas seulement un état d’esprit c’est aussi une science, une science humaine ignorée tout comme les nouvelles sciences de la paix, mais une science authentique. Cette science trans-disciplinaire, que la puissance publique pourrait au moins reconnaître sous l’intitulé de « culture religieuse et convictionnelle » ne s’improvise pas, elle s’enseigne et elle s’apprend. Elle dispose d’un corpus de textes de référence très important et s’appuie sur un certain nombre de compétences et de techniques très précises.
Elle repose sur le plan théologique sur cette constatation, à la fois basique et révolutionnaire. Le christianisme est une religion de l’incarnation qui intime à l’homme de participer à l’œuvre divine eschatologique de création. Il ne suffit pas de proclamer en se croisant les bras que l’Eglise est la Maison du Père, le Corps du Christ et le Temple de l’Esprit Saint. Il faut aussi un engagement personnel et communautaire, créatif et patient, risqué et confiant de chacun. C’est ainsi que l’Eglise une du Christ s’actualise, se rend visible. « Participer à l’œuvre eschatologique de la création » a des implications très pratiques selon qu’on se trouve en contexte pré-conflictuel, conflictuel ou post-conflictuel. Malheureusement ni en Ukraine, ni en France, aucun Etat, aucun ministère de l’éducation n’a encore reconnu l’utilité de la culture religieuse et convictionnelle au bien public. Il est donc urgent d’agir. C’est l’une des raisons pour laquelle pour ma part j’ai décidé de retourner travailler à Paris, capitale des « lumières », et au Collège des Bernardins en particulier, l’un des laboratoires les plus féconds de la post-modernité.
- 20 ans après l'avènement de l'indépendance ukrainienne, quel rôle exercent les religions dans la définition des identités nationales?
Je crains de dire que certaines « religions » aient perdu beaucoup de leur capital de confiance qu’elles avaient accumulé à l’époque soviétique en raison des persécutions dont elles furent victimes. La religion païenne du matérialisme dialectique en effet ne pouvait souffrir ni les catholiques, ni les orthodoxes, ni les baptistes, ni les témoins de Jéhovah. La chute de l’idéologie marxiste-léniniste a permis aux Eglises de retrouver leur liberté et de s’engager à nouveau dans la vie sociale de la nation ukrainienne. De nombreuses communautés ont été créées, de nombreux édifices religieux ont été construits, de nombreuses initiatives caritatives ont vu le jour.
Bien que ce sujet demanderait à être traité bien plus amplement je crois qu’il est possible de caractériser le rôle des Eglises dans la définition de l’identité nationale de la façon suivante. D’un côté on trouve dans toutes les confessions confondues des chrétiens qui considèrent qu’il faut bien séparer les traditions culturelles présentes en Ukraine pour éviter toute instabilité, toute menace identitaire. Il y a par exemple le synode de l’Eglise orthodoxe ukrainienne dépendant du patriarcat de Moscou, actuellement présidé par l’évêque d’Odessa Mgr Agafanguel, en raison de la maladie de Mgr Volodimyr de Kiev, qui considère que l’Eglise ukrainienne fait partie intégrante du patriarcat de Moscou. De l’autre côté on trouve le patriarcat de Kiev présidé par le métropolite Philarète qui estime que l’Eglise orthodoxe ukrainienne est suffisamment mûre pour disposer d’un statut d’autocéphalie. Dans l’Eglise catholique on trouve la même tension entre l’Eglise catholique de rite romain et l’Eglise catholique de rite byzantin qui ne parviennent pas à trouver un accord sur la façon de gérer ensemble les destinées de l’Eglise catholique en Ukraine. Dans le monde protestant il existe également des tensions très vives entre les courants évangéliques, qui radicalisent souvent les frontières entre le bien et le mal, et les courants réformés, qui ont tendance à les atténuer, sur des questions d’ordre éthique et organisationnelles.
Une approche œcuménique permettrait à ces Eglises de trouver des synthèses aux courants qui les divisent. J’ai exposé dans mon livre « En attendant le concile » mon approche fondamentale sur ces questions. Je ne peux ici répéter mon analyse résolument post-confessionnelle des voies de réconciliation possibles entre les courants zélotes, prosélytes et spirituels à l’intérieur de chaque Eglise. J’aimerais simplement poser ici les trois conditions préalables au dialogue inter-confessionnel. Premièrement il serait tout à fait envisageable de respecter les identités et les niveaux de conscience de chacun si les uns et les autres acceptaient d’adopter une lecture plus historique du passé ukrainien. Deuxièmement il faudrait que l’Eglise soit d’abord comprise par les uns et les autres comme une réalité divino-humaine et non pas seulement comme une institution purement humaine ou purement divine. Enfin troisièmement chaque Eglise doit reconnaître qu’elle est en partie responsable de la division qui existe entre les chrétiens en Ukraine. Rejeter sa responsabilité serait en effet tout à fait contraire au contenu même de la révélation chrétienne.
A partir de là il serait possible de proposer un agenda pragmatique et progressif aux Eglises avec un argumentaire capable de les convaincre que la réunification des chrétiens de l’Eglise de Kiev est tout à fait possible. Toute l’histoire du mouvement œcuménique montre que des chrétiens qui paraissaient divisés ad vitam aeternam sont capables de retrouver une unité profonde dès lors qu’un désir sincère de réconciliation est présent de part et d’autre. Les Eglises protestantes des Pays-Bas, qui étaient divisés sur la doctrine de la prédestination, en témoignent. L’Eglise orthodoxe et l’Eglise catholique aux Etats-Unis, qui étaient divisés sur la question du filioque, en témoignent. L’Eglise catholique et l’Eglise luthérienne qui étaient divisés sur la question de la justification en témoignent. Le premier pas à faire dans cet agenda œcuménique ukrainien consisterait à mon sens à soutenir les entreprises des universitaires appartenant à différentes Eglises réunis au sein de la Société Académique Chrétienne en Ukraine. En septembre 2008 nous étions parvenus avec Constantin Sigov et Oleh Tury à réunir les représentants des Eglises de Kiev (catholiques et orthodoxes) à l’Académie Mohyla pour une discussion portant sur un horizon commun pour l’ensemble des Eglises en Ukraine. Mais cette SACU n’est soutenue institutionnellement et financière par aucune institution ni en Ukraine ni ailleurs dans le monde. Il a fallu interrompre ses activités en attendant des jours meilleurs…
- Autour de quels thèmes s'est établi en Ukraine le dialogue judéo-chrétien ?
Le dialogue judéo-chrétien est encore à mon avis en Ukraine à une phase initiale. Les juifs ont été décimé pendant la deuxième guerre mondiale. Il a fallu que le livre du père Patrick Desbois La Shoah par balles soit traduit en ukrainien en 2011 pour que les Ukrainiens commencent à prendre la mesure de ce qui s’est passé il y a 70 ans. A Kiev l’amitié qui lie Léonide Finberg et Constantin Sigov a donné beaucoup de fruits, par exemple avec les éditions Dukh i Litera. A Lviv Myroslav Marynovytch, vice-recteur de l’Université catholique fait partie de ces intellectuels ukrainiens qui font beaucoup pour lutter contre toute forme d’anti-sémitisme. Nous avons organisé plusieurs conférences judéo-chrétiennes à l’Université catholique d’Ukraine. Je me souviens en particulier du dialogue entre Adèle Dianova, directrice du centre Hessed Arieh de Lviv et le père Antoine Guggenheim du Collège des Bernardins au sujet des voies possibles de réconciliation et de coopération. J’en ai retenu l’idée que la priorité était d’aider les juifs d’Ukraine à se réapproprier leur mémoire. Le temps est également venu de permettre aux Ukrainiens dans leur ensemble à redécouvrir, par la figure de certains justes comme Clément Sheptytsky, à la fois l’ampleur de la tragédie humaine qu’a connue l’Ukraine pendant la dernière guerre mondiale, et la capacité dont dispose chaque individu à l’heure du péril pour sauver toute l’humanité par une attitude de courage et de respect de la dignité de chaque être humain.
- Quelles relations les églises ukrainiennes entretiennent-elles avec l'Islam ?
L’islam est essentiellement présent en Crimée par la présence de plusieurs centaines de milliers de tatars. Ils sont soutenus par les courants ukrainophones favorables à une région autonome de Crimée au sein de la République ukrainienne. Ils représentent en revanche un frein pour les courants pro-russes qui considèrent que la Crimée est une partie intégrante de la « sainte Russie » depuis le mariage du prince Volodymyr à Chersonnèse au IXe siècle. Staline leur était également défavorable puisqu’il les a déportés en une nuit vers l’Asie centrale au moment où les forces allemandes se rapprochaient de la Crimée en 1942. Le dialogue inter-religieux entre chrétiens et musulmans ukrainiens est donc d’abord conditionné par l’horizon politique et historique de la Crimée. Adopter une approche historique et non mythique du passé de la Crimée consiste pour commencer à admettre que la Crimée n’a fait partie de l’Empire russe que pendant un siècle (1854-1954). Ceci ne signifie pas qu’il ne faille pas accorder un statut spécifique à la Crimée, très largement russophone, au sein de la république ukrainienne. Mais cela permettrait si cela était clairement admis par les uns et les autres de rassurer les habitants de Crimée et de les convaincre que les inévitables tensions inter-religieuses ne seront pas exploitées à des fins politiciennes. Le dialogue inter-religieux à mener en Crimée consiste ensuite à parler des préoccupations communes des chrétiens et des musulmans, à savoir les modalités en cours d’adoption à Kiev de la privatisation de la terre en Crimée. Celle-ci seront-elles à l’avantage en premier lieu des habitants de Crimée ? Le dialogue inter-religieux est inséparable d’une prise de conscience post-idéologique de la relation structurelle qui existe entre le théologique et le politique.
Propos recueillis par Frédéric du Hauvel
CINÉ-CLUB UKRAINIEN
ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE
Mardi 6 mars 2012, 19h, à l’Espace culturel de l’Ambassade, 22, av. de Messine, Paris 8ème, M° Miromesnil. tel. 01 43 59 03 53. Entrée libre.
MARS FROID (ХОЛОДНИЙ БЕРЕЗЕНЬ)
vostf
En présence du réalisateur et avec le concours d’Arkeion Films
Production : Studio d’Odessa, 1987, 102 mn, coul.
Scénario : Alexandre Gorokhov
Réalisation : Igor Minaiev
Photographie : Volodymyr Pankov
Décors : Anatoliï Naoumov
Musique : Anatoli Dergatchev
Interprétation : Maxime Kisselev, Andrei Toloubeiev, Loudmyla Davydova, Mykola Tokar, Andriї Loubimov, Igor Aitov, Mykola Bandouryn, Dima Smirnov, Volodia Golovaniov, Anton Minaiev, Serhiї Bourtiak, Natalia Ostrikova, Olga Petrenko, Gleb Sochnikov, Igor Yefimov
Genre : comédie dramatique
Récompense : Prix de la Meilleure réalisation au Festival Pansoviétique en 1988
Synopsis
Un adolescent arrive dans une petite ville de province pour y faire ses études dans une école technique. Dans l’internat dirigé par un directeur tolérant, respectueux du corps enseignant et de ses élèves, l’ambiance générale tourne très vite au vinaigre. Une classe ayant formé un clan tient tête aux profs.
Opinion
Repéré dès son film de fin d’études La Mouette, Igor Minaiev apparaît comme un cinéaste exigeant, mûr pour de solides projets. Mais sa carrière semble compromise à la suite d’un court métrage réalisé pour la Mosfilm, L’Horizon argenté, d’après un récit d’Eugène Houtsalo, vite rangé dans un tiroir. Le Studio d’Odessa lui offre une seconde chance en 1985 pour un autre court métrage, Le Téléphone. Privé du droit d’exercer pleinement son métier, Minaiev attendra 1987 pour tourner son premier long métrage, Mars froid, l’année où la Commission des conflits auprès de l’Union des cinéastes de l’URSS décide de réhabiliter les œuvres mises au placard. Ce film et celui qui suivra, Rez-de-chaussée, dans lesquels il incarne parfaitement l’esprit de la perestroïka, lui vaudront deux sélections à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, en 1988 et 1990. Issu d’une génération arrêtée en plein élan, Minaiev revendique son appartenance à un courant traditionnel, nourri des exemples de la Nouvelle vague française, des premiers grands films de Tarkovski ou de Kontchalovski, et considère la dissidence comme un concept purement esthétique.
Mars froid est l’histoire saisissante d’un directeur d’école technique et de ses élèves, dont certains délinquants ont été liés au milieu criminel. Comme pour la plupart des premiers films, le scénario avait été imposé par la direction du Studio d’Odessa, mais Minaiev réussit à changer cette comédie en drame, en la remaniant de fond en comble, ce qui quelques années auparavant aurait été considéré comme un acte subversif. Le film s’interroge sur les bienfaits de la méthode d’autogestion des élèves à l’aune du système pédagogique d’Anton Makarenko et de son approche portant sur la sensibilisation des élèves aux relations humaines. L’établissement n’est pas une maison de redressement destinée à réinsérer des mineurs posant des problèmes de discipline et de petite délinquance, plutôt une institution dont le fonctionnement est basé sur l’autogestion et un style de vie facilitant les expériences et les changements. À travers un récit riche en séquences, le réalisateur livre une caricature du système pédagogique soviétique, à commencer par l’inévitable séance du bizutage du nouveau venu. L’adolescent vient étudier dans l’établissement dans le seul but de retrouver sa petite amie, elle-même dans un internat de jeunes filles tout proche, et de la demander en mariage. Le relâchement général ambiant est dû au rapport de forces existant entre le personnel éducatif et l’ensemble d’une classe formant un clan, une équipe, dont le principe est basé sur la solidarité, la non-dénonciation, le rejet de tout accommodement. Le caractère du directeur est apparemment conciliant, mais au fur et à mesure que les événements changent en défaveur de l’institution, il s’affermit. Il menace de livrer à la justice l’élève Zintchenko qui a commis un méfait et est accusé de vol de magnétos. En revanche, son collègue Nicolas Mykytiouk, dont le rôle est superbement interprété par Mykola Tokar, est un véritable maître charismatique, éducateur sympa parfois spartiate, allant même jusqu’à braver l’inspection académique. La séquence de l’excursion des élèves à Poltava, pendant laquelle une éducatrice inspirée fait l’éloge de Pierre le Grand à la bataille de 1709 contre les Suédois, est révélatrice de la mentalité pédagogique de l’époque. Cependant, les élèves ne se bousculent pas face au monument, et ne pensent qu’à draguer des lycéennes présentes. Si on la compare à une séquence semblable dans le film Le Pissenlit en fleur d’Alexandre Ihnatoucha, tourné cinq ans plus tard, cette ballade touristique reste quelque peu décalée, sans pour autant heurter la fierté grand-russienne. Sur le plan technique, où l’on découvre sa passion pour les effets de lumière, le réalisateur émaille volontiers le film de fermetures et d’ouvertures à l’iris, technique délaissée, mais pas obsolète pour une comédie dramatique crânement réalisée.
Lubomir Hosejko
Née en Ukraine en 1965, Anna Shevchenko est la première étudiante de « l’Ukraine indépendante » à obtenir une bourse pour intégrer l’université de Cambridge et la première femme d’origine étrangère devenue membre de l’Oxford & Cambridge Club. Parlant couramment sept langues, dont le français, Anna a servi d’interprète lors de nombreuses rencontres gouvernementales. Elle a par ailleurs, écrit deux guides culturels ; l’un sur l’Ukraine, l’autre sur la Russie.
Son premier roman Héritage, publié aux Editions «First » a paru en France en octobre 2011. Aujourd’hui Anna vit et travaille en Grande Bretagne.
Pourquoi vous avez écrit ce roman ? Quelle était votre source d’inspiration ?
Ce livre est dédié à mes grands-parents. Un des personnages féminins – Sara Samoilivna - a été directement inspiré par ma grand-mère. Dans le chapitre 3, j’ai utilisé le journal de guerre de mon grand-père, Fedir Shevchenko (1914-1996), un grand historien et archiviste ukrainien.
J’ai toujours écrit, même si cela m’a été longtemps interdit, car mon grand-père était considéré comme dissident à l’époque soviétique. Ma famille a beaucoup insisté pour que j’écrive ce roman, pour que j’exprime enfin ma pensée.
J’ai d’abord publié (en anglais) un guide sur l’Ukraine, sa culture et ses coutumes (Anna Shevchenko. Ukraine - Culture Smart ! : Essential Guide to Customs and Culture, aux Editions KUPERARD, Grande Bretagne). Cet ouvrage est considéré comme la première publication au monde abordant l’étude de la mentalité ukrainienne ; il a déjà connu 5 rééditions. (Il parait que Vladimir Poutine l’a lu avant d’entamer des négociations avec les Ukrainiens !)
Ce roman, Héritage, m’a « trouvée ». C’est le récit de rêves nationaux. Il s’agit du trésor des cosaques (mythique ou pas), qui aurait été déposé à la Banque d’Angleterre au XVIII siècle. Ce trésor serait devenu un « héritage » incroyable de 150 milliards. J’ai imaginé ce qui pourrait se passer si quelqu’un réclamait cette somme aujourd’hui. Ce livre n’est pas uniquement une chasse aux trésors et une intrigue politique. C’est plus que cela. Ce livre est un hommage à mon grand-père, qui a écrit son journal intime pendant la guerre. Je l’ai trouvé très émouvant, poignant et l’ai utilisé dans mon roman. C’est aussi un hommage aux trois générations de mes compatriotes : la génération de la guerre, la génération de l’époque du « dégel » des années 60 et ma génération. Après quelques années de liberté à la mort de Staline, le système s’est renfermé à nouveau. Pour moi, cette dernière génération est « perdue ». Quant à ma génération, je la considère non seulement « perdue », mais « tuée, cassée ». Nous avons grandi dans une société se référant à des valeurs soviétiques qui ont ensuite disparu. Alors, nous nous sommes retrouvés dans une société sans valeurs. Certaines personnes se sont suicidées ou sont devenues alcooliques ou ont encore décidé de partir, comme moi.
Au-delà de mon histoire personnelle, pour mon roman pendant deux ans, j’ai fait de nombreuses recherches. Entre autres, je me suis rendue au château privé d’un descendant de cosaque ukrainien devenu général de l’armée française au XVIII siècle. Par ailleurs, j’ai consulté des archives russes et ukrainiennes et bien sûr, celles de la Banque d’Angleterre.
Je pense que cette intrigue politique qui débute au XVIII siècle intéressera les lecteurs français. L’histoire se répète aux XIX et XX siècles. Mon roman est inspiré de faits réels et de témoignages de personnes ayant vécu dans les années 60. L’épisode sur l’hôpital psychiatrique pour les prisonniers politiques en est un exemple.
Les nombreuses redites et symboles sont les témoins d’une histoire qui non seulement se répète, mais se venge. Cela me semblait très important à mettre en évidence.
J’ai choisi trois personnages féminins pour incarner les différentes époques de l’histoire de l’Ukraine : Sofia, Oksana et Kate. C’est Oksana qui symbolise l’Ukraine qui a survécu, mais qui a été privée de son identité.
Ce livre est très personnel. Qu’est-ce que vous avez ressenti lorsque vous l’avez terminé?
J’ai été soulagée… Lorsque le roman a été publié, j’ai ouvert la première page et quand j’ai vu ma dédicace à mes grands-parents, j’ai été très émue. J’ai compris que j’avais accompli quelque chose d’important car le souvenir de mes grands-parents aujourd’hui décédés, m’est très cher…
Quand j’ai écrit ce roman qui est resté dix ans dans mon tiroir, je n’avais pas l’intention de le publier car il me semblait qu’un sujet sur l’Ukraine n’intéresserait personne en Grande-Bretagne. Pourtant je l’avais écrit directement en anglais.
Lorsque mon premier livre – le Guide sur l’Ukraine - est sorti, mon fils m’a encouragé à publier « Héritage ». A ma grande surprise, le livre a rencontré un succès. Récemment en France, j’ai vu dans un kiosque à la gare que mon livre était parmi « les meilleures ventes » !
Le roman « Héritage » (le titre original - « Bequest ») - a été écrit directement en anglais. Pourquoi ?
Mon roman est destiné à des lecteurs étrangers. Une journaliste britannique a écrit dans son article que j’avais réussi à donner une leçon claire et concise sur l’histoire ukrainienne. Mon objectif principal était de faire découvrir l’Ukraine aux lecteurs étrangers. Je voulais vraiment susciter chez eux, un intérêt pour mon pays.
Vous travaillez actuellement sur votre deuxième roman. Quel est son sujet ?
Il s’agit de la conférence de Yalta en février 1945. L’histoire se déroule entre Odessa et Yalta, dans une période allant de la guerre à nos jours. C’est un nouveau regard sur cet événement historique. Comme pour mon premier roman, j’ai travaillé dans les archives, notamment à Odessa. Cet ouvrage sera publié bientôt en Grande-Bretagne.
Propos recueillis par Olena Yashchuk Codet
Genre: Drame
Date de sortie : 28 mars 2012
Réalisé par : Michale BOGANIM
Avec : Olga Kurylenko, Andrzej Chyra
Durée : 1h48min
Pays de production : France
Distributeur : Le Pacte
Prix: Prix du public - Long métrage européen,
Festival Premiers plans d'Angers 2012
Premier long métrage de fiction cinématographique de la réalisatrice franco-israélienne Michale Boganim : La terre outragée (The Land of Oblivion). Remarquée avec son documentaire Odessa…Odessa (Forum de la Berlinale 2005 et Grand Prix du jury au Sundance), la cinéaste s’attaque avec La terre outragée à une coproduction franco-germano-polonaise retraçant les conséquences irréversibles de l'accident à la centrale de Tchornobyl en 1986. Au casting figurent Olga Kurylenko, Vyacheslav Slanko, Serguei Strelnikov, le Français Nicolas Wanczycki, le Polonais Andrzej Chyra, Illya Iosifov, Vyacheslav Kurbasov, Natalya Tkachenko, Tatiana Rasskazova, Nikita Emshanov, Marina Bryantseva et Dmitry Surzhykov.
Le film est une fiction dont la catastrophe de Tchernobyl constitue l’arrière-plan. Un événement qui aura en tant que tel des incidences sur la vie intime des personnages. Leur impossibilité d’aimer et de vivre normalement. Leur rapport à leur lieu d’origine, leur arrachement si brutal qui les transforme au fil du temps en errants… C’est aussi un film sur l’après Tchernobyl, un enfer moderne peuplé de démons invisibles qui a été transformé en zone interdite, mais où certains habitants continuent à vivre ou à travailler… Un film sur le rapport à son lieu d’origine quel qu’il soit, même s’il est radioactif.
Le scénario démarre en avril 1986 à Prypiat, une ville proche de la centrale nucléaire de Tchernobyl, quelques jours avant l’explosion. Un enfant Valery et son père, physicien à la centrale, plantent un arbre. Anya et Piotr célèbrent leur mariage, au milieu d’une clairière paisible. La fête est brutalement interrompue et Piotr, pompier volontaire, doit se rendre sur les lieux d’un incendie… La jeune femme ne le reverra pas !
Mais cependant, Anya revient pour faire visiter le site, pendant que d’autres reviennent cultiver leur jardin empoisonné, au risque de mourir eux aussi. Mais rien ne peut les
séparer de cette terre qui les a vus naitre.
Ce premier long-métrage franco-germano-polonais sélectionné pour la compétition des longs métrages européens montre l’après catastrophe nucléaire : des populations que l’on tient dans l’ignorance du danger, l’armée qui débarque dans les fermes dans des scènes qui ressemblent à des rafles. Les militaires tuent les animaux, embarquent les paysans sans explication. L’atome a plus de prix que ces hommes en symbiose avec la nature depuis des siècles.
Les séquelles de Tchernobyl y sont pleinement exposées, nous obligeant à imaginer ce à quoi pourrait ressembler l'avenir du nucléaire.
Même si le film se base sur des faits réels, dans un univers hostile, la réalisatrice, Michale Boganim, a voulu amener une touche de poésie, ce qui sépare le film d’un simple documentaire. Elle fait des pauses sonores pour mieux traduire le silence de cette partie du monde, toujours interdite. « Ce qui est le plus impressionnant sur place, c’est le silence. Tout semble figé, même la nature. C’est très impressionnant ». Malgré tout, elle redonne de la vie dans cette zone sinistre, comme la première fleur qui repousse après la tempête.
Si le message politique est inévitable, la catastrophe de Tchernobyl étant le résultat de la déliquescence de l’empire soviétique, la réalisatrice s’est surtout intéressée au côté humain. « Les risques sont invisibles et pourtant bien réels et malgré tout certains ne veulent pas partir, c’est qui m’a donné envie de faire ce film ».
Pour cela l’équipe de tournage a obtenu toutes les autorisations administratives, « très compliquée » souligne la réalisatrice, car le lieu est encore radioactif. « Nous étions très surveillés, car ce n’était pas bien vu que l’on aille tourner dans cette zone et en plus il faisait très froid (-20°) ».
Un film sur un mal invisible qui devrait avoir un retentissement dans une France qui compte 58 réacteurs…
Le bulletin de Février 2012 de Perspectives Ukrainiennes est disponible sur la page Archive des bulletins de Perspectives Ukrainiennes.
Au sommaire:
p.1: Le mois de février dans l’histoire
p.2: Interview d’Anna Shevchenko, auteur du roman « Héritage »
p.3: « LA TERRE OUTRAGEE », retour sur un mal invisible…
p.4:"Les Fiancées d’Odessa" de Janet Skeslien Charles
"L'Etat soviétique contre les paysans Rapports secrets de la police politique (Tcheka, GPU, NKVD) 1918-1939" de Nicolas Werth, Alexis Berelowitch
CINÉ -CLUB UKRAINIEN - ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE
Mardi 7 février 2012, 19h, à l’Espace culturel de l’Ambassade, 22, av. de Messine, Paris 8ème, M° Miromesnil. tel. 01 43 59 03 53. Entrée libre.
AU DEVANT DU RÊVE (МРІЇ НАЗУСТРІЧ)
vostf
Production : Studio d’Odessa, 1963, 64 mn, coul.
Scénario : Olès Berdnyk, Ivan Bondine, Mykhaïlo Karioukov
Réalisation : Mykhaïlo Karioukov, Otar Koberidze
Photographie : Olexiї Herassymenko
Décors : Youriї Chvets, Oscar Feltsman, Vano Mouradeli
Musique : Edouard Artemiev
Son : Edouard Hontcharenko
Interprétation : Nicolas Timoféiev, Otar Koberidze, Laryssa Hordeїtchyk, Boris Borissionok, Nicolas Volkov, P. Chmakov, Alexis Guenesine, Léonid Tchinidjants, Semen Kroupnyk, Oleksiї Korotioukov, Viatcheslav Voronine, Vitold Janpavlis, Peter Kadr, Vassyl Viekchyn
Genre : fantastique, anticipation
Synopsis
Après avoir entendu un chant venu de la Terre, les habitants de la planète Centuria décident d’y envoyer un vaisseau spatial, proposant ainsi la première rencontre intergalactique. Mais le vaisseau subit une avarie sur Phobos, une lune de Mars. Les Terriens entreprennent alors une périlleuse mission de secours pour aller à la rencontre des extraterrestres. Mais le vol se complique, une seconde mission part ravitailler le vaisseau.
Opinion
Sorti sur les écrans deux ans après l'expédition de Youri Gagarine, Au devant du rêve de Mykhaïlo Karioukov et Otar Koberidze est le second film de science fiction du cinéma ukrainien, quatre ans après Le Ciel appelle, réalisé par le même Mykhaïlo Karioukov en binôme avec Alexandre Kozyr. Projectionniste de formation puis opérateur spécialisé dans le domaine des effets spéciaux, Mykhaïlo Karioukov ne livra que ces deux longs métrages en tant que réalisateur sur la fin de sa carrière. Deux œuvres mythiques alliant fascination pour la technologie et poésie, réalisées dans des décors futuristes splendides. L’une et l’autre doivent beaucoup au décorateur Youriï Chvets qui, à travers des trucages mécaniques et des maquettes au rendu très réaliste, privilégia une vision particulièrement soignée des reliefs planétaires, ainsi qu’à l’ingénieur du son Edouard Hontcharenko, dont le travail fut considéré comme avant-gardiste.
Le scénario de Au devant du rêve n’est autre que l’adaptation du récit d’anticipation Le Cœur de l’univers d’Olès Berdnyk, auteur populaire de romans de science fiction et futur dissident, co-fondateur du Groupe ukrainien de Helsinki. À cette époque, l’URSS et les USA se livrent à une compétition sans merci dans la course à l’espace. La rivalité culturelle, notamment dans le domaine du Septième art, est à l’image de cet enjeu. Dans le cas de Au devant du rêve, les cosmonautes soviétiques ne se déroutent pas pour sauver des astronautes américains en détresse, mais pour une rencontre intergalactique avec des habitants d’une planète inconnue. Face à des scientifiques sceptiques, ils apparaissent ici comme des sauveurs de l'Univers prodiguant un message pacifiste. Bien qu’il tende au space-opéra regorgeant de séquences spatiales contemplatives, ce film détonne par l’absence totale de l’apesanteur.
À la lecture des scénarios, les analogies entre les films de science-fiction soviétiques et américains paraissent évidentes. Il est vrai que le cinéma hollywoodien s’empara ouvertement des films ukrainiens L’Appel du ciel et Au devant du rêve de Mykhaïlo Karioukov, comme de ceux du cinéaste russe Pavel Klouchantsev. Le producteur Roger Corman, spécialiste du recyclage des films soviétiques, acheta les droits dans le but de les adapter au goût du public américain. C’est ainsi que le débutant Francis Ford Coppola réalisa la version américaine de L’Appel du ciel en ajoutant même des monstres martiens (Battle Beyong the Sun - La Bataille au-delà du soleil), et que Curtis Harrington reformata Au devant du rêve (La Planète de sang - Planet of Blood). Par ailleurs, on note des ressemblances flagrantes dans Alien de Ridley Scott avec Au devant du rêve : les cosmonautes découvrent un vaisseau extraterrestre échoué en plein désert martien et pénètrent dans l’aéronef. Dans les deux films, la découverte se fait de la même manière. Vêtus de leur combinaison, les équipages se dirigent vers l’épave. Des caméras intégrées filment de manière subjective ce qu’ils voient. Les explorateurs s’engagent à bord du vaisseau à travers un couloir aux apparences de boyau puis pénètrent dans une grande pièce circulaire où siège au centre une extraterrestre figée aux étranges commandes de son engin. Dans Au devant du rêve, l’alien centurian se révèle être une charmante spationaute, et non plus une créature humanoïde fossilisée. En pleine tempête, l’équipage l’évacue, mais faute de place dans le vaisseau terrien, un des humains se sacrifie pour qu’elle survive. Otar Koberidze qui fait ses premiers pas de metteur en scène interprète ici le rôle du cosmonaute se sacrifiant.
Dans son ensemble, le cinéma ukrainien a produit des films de science fiction de manière épisodique. On retiendra Sous la constellation des Gémeaux (1978) et Mission stellaire (1982) de Boris Ivtchenko, Le Retour de l’orbite (1983) d’Alexandre Sourine. On s’étonnera aussi qu’aucun des romans des spécialistes du genre, comme Volodymyr Vladko, Dmytro Bouzko, Mykola Dachkiev et notamment Vassyl Berejnyi, ne fut porté à l’écran.
Lubomir Hosejko
C’est un homme persifleur, un poète désœuvré. Il peut paraître ordinaire. Il sait tout…ou presque. Sa tête est comme une valise pleine d’informations et de connaissances.
Il est né en 1952 à Ivano-Frankivsk. Pendant les années 1974-1981, soupçonné par l’état soviétique d’activités antisoviétiques (et non sans raison comme il le dit lui-même), Vinitchouk n’était pas publié. Par conséquence, il a testé beaucoup de métiers dans sa vie. Il a travaillé en tant que manutentionnaire, peintre-décorateur ou assistant de laboratoire. Depuis 1991, il collabore au journal Postup, puis Post-Postup, dont il devient rédacteur en chef.
Youri Vinitchouk est écrivain, traducteur (anglais, langues celtes et slaves), poète, éditorialiste et rédacteur en chef du journal Post-Postup (selon Vakhtang Kipiani, c’est une édition emblématique de l’âge d’or du journalisme ukrainien). Par ailleurs, il écrit pour le théâtre, rédige une anthologie de la prose ukrainienne gothique, ainsi que des contes ukrainiens littéraires. En 2005, son livre «Les jeux printaniers dans les jardins d`automne » est reconnu comme le meilleur roman ukrainien selon la BBC.
Ses livres sont publiés en Grande Bretagne, au Canada, aux Etat Unis, en Argentine, en Allemagne, en Croatie, en République Tchèque, en Serbie, en Russie, en Pologne, au Japon, en Biélorussie. En France, n’est publié que son conte pour les petits et les grands «Le plus brave des petits cochons».
Actuellement, Youri Vinitchouk se prépare à publier deux anthologies des poètes ukrainiens perdus dans la tourmente de la répression politique. Parmi eux Sava Bozko, Grygori Kosynka, Mychailo Lozynski.
D`ou vient cet amour des contes ?
C`est plutôt la foi, la croyance en les contes. C`est inexplicable. Les contes m’accompagnent toute ma vie. Depuis l’enfance j’en suis fou. La moitié de ma bibliothèque sont des contes des quatre coins du monde, environ deux mille volumes en différentes langues.
Dans votre œuvre il y a beaucoup de biographies, et vous, comment êtes vous devenu écrivain ?
Dans les années 80, quand je ne pouvais pas publier mes propres livres, j`écrivais alors pour moi et mes amis. Si ce système politique n’avait pas existé, j’aurais pu écrire beaucoup plus. Mon envie d`écrire est née de la lecture. Si je m`étais trouvé seul sur une île inhabitée, j`aurais écrit pour moi-même. Dans ma vie j`ai vu beaucoup de choses intéressantes et je n`ai pas encore tout décrit.
Dans les années 80 vous avez publié vos propres livres comme des traductions. La critique, les censeurs n`ont pas vu ce subterfuge?
J`étais obligé de travailler de cette façon. Autrement ce n`était pas possible d’être publié. Toutes mes mystifications s’exerçaient à haut niveau. Ils ne les ont pas comprises.
Aujourd`hui c`est une autre époque. On peut dire que la critique n`existe plus. Il n y a pas de critiques sur les livres. Souvent ce ne sont que louanges. Or la critique doit être caustique, mordante. Dans les années 80, le feuilleton était le genre le plus populaire. Moi-même je flagellais ces graphomanes dans tous les journaux. Maintenant ? Tout est lisse. Tout le monde est bon .Tout le monde est doué et plein de talent. Je m`ennuie à lire toutes ces odes laudatives. Et donc je ne les lis pas.
Combien de temps dédiez-vous à l`écriture et où puisez-vous votre inspiration ?
Quand je suis inspiré, je peux écrire du matin au soir. Mais, bien sûr, je m`arrête, je fais une pause, je prépare un repas. Quelquefois je n’arrive pas écrire. Dans ces moments je traduis ou prépare les articles. J`avoue beaucoup de lacunes ; il y a les années perdues où je ne pouvais pas publier tout ce que je voulais.
Pour retrouver l’inspiration je prends un livre qui pourrait m`influencer et je le lis une heure. L`inspiration vient d’elle-même. C`est comme charger une batterie. Je ne presse pas mes personnages, je peux les couver longtemps sans réfléchir au sujet, juste quelques lignes. Ainsi Malva Landa fut écrit par morceaux en dix ans.
Quels sont les auteurs qui vous ont influencé ?
C’est surtout Bohumil Hrabal. Je ne traduis que des auteurs qui me sont proches. Parfois il me semble que c`est moi qui écrit à tel point que nos styles se ressemblent. Hrabal est surtout intéressant pour son langage. Il maîtrisait la langue parlée, la langue du peuple.
Son personnage parlait en tchèque. La langue tchèque sonnait dans ses textes mise dans la bouche de personnages de toutes les couches sociales. C`est très important et c`est comme ça que ça se passe dans tous les pays développés.
Chez nous, notre pays était longtemps esclave et asservi, et même aujourd’hui, notre langue ukrainienne n`est pas dûment valorisée dans tous les milieux de la société. Par exemple nos stars sportives ne la maîtrisent pas.
Parmi mes auteurs préférés on peut évoquer Borges, Cioran, Landolfi, Blanchot, Bukowski, Lorrens Darrell, Paul Bowles, Youriy Kossatch, Igor Kostecky… Depuis longtemps je suis abonné au journal littéraire polonais «Littérature na sviecie». On peut dire qu’il a formaté mes gouts littéraires. Dedans il y a toutes les nouveautés de l’édition. Un numéro entier est consacré à chaque nouveau lauréat de prix Nobel de littérature.
Actuellement vous travaillez sur un roman où vous parlez du Lviv d’antan. C`est un roman historique ou une histoire romanesque ?
Non, il n`est pas historique, même si toutes les actions se déroulent à Lviv dans les années 1930-40. Dans mon texte je donne une description de la défense de la ville, en septembre 1939, où les Allemands ont assiégé la ville. Lviv a tenu neuf jours ... jusqu`à ce que les bolcheviks l’attaquent par derrière. Je pense que c`était une époque héroïque. A grand mon regret, aujourd`hui, les habitants de Lviv ne sont pas conscients de ça. Mais dans mon roman, il s`agit d`abord de relations humaines.
Propos recueillis par Liana Benquet
En France, on peut lire Post-Postup à Paris,
dans la bibliothèque ukrainienne Symon Petlura
(6, rue de Palestine, 75019, Tél/Fax. 01 42 02 29 56 )
Toute équipe de Perspectives Ukrainiennes vous souhaite une heureuse et prospère année 2012!
Le bulletin de Janvier 2012 de Perspectives Ukrainiennes est disponible sur la page Archive des bulletins de Perspectives Ukrainiennes.
Au sommaire:
p.1: Le mois de janvier en histoire
p.2: Entretien avec Youri Vinitchouk, écrivain, rédacteur en chef du mensuel Post-Postup
p.3: 3 questions à David Chabin, fondateur de Club Ukraine
p.4: Journal (1918-1920) de Nelly Ptachkina;
Ukraine, 20 ans de Renaud Rebardy, François Rivard, Roman Rijka
Le jardinier d'Otchakov d'Andreï Kourkov
p.5: Soirée littéraire: présentation du livre Noël, le Mystère
p.6: Exposition "Féminité slave"