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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 15:11

yuriy-bilak1.jpgQuelles vos sources d’inspiration ?

Je suis passionné par la peinture flamande dans laquelle les personnages sont mis en avant avec une certaine culture de la lumière. Cette peinture naturaliste du XIVe et XVe siècles aux figures isolées substitue les mouvements de la vie réelle et ouvre à l’oeil du spectateur les profondes perspectives du monde visible. Les oeuvres de Vermeer, Rembrandt, Van Dyck et Van Eck m’inspirent le plus.

 

Par ailleurs, outre l’art flamand, je suis également sensible aux oeuvres de William Bouguereau pour sa vision de l’onirique, du sacré et de la mythologie, les allégories d’Ingres et les magnifiques clairs obscurs de De la Tour dans lesquels je me reconnais pleinement. Surtout lors de mon travail en studio.

 

J’aime la peinture, mais je ne sais pas peindre, alors j’essaye de peindre à ma manière, avec la lumière. Bien sûr, il est beaucoup plus simple de le faire en studio en créant la lumière voulue, mais il me paraît intéressant d’adapter cette vision de la photographie dans mes reportages également. Par exemple, j’ai beaucoup apprécié de photographier la sortie de la messe de Pâques dans les Carpates en pleine nuit. La scène était éclairée essentiellement par des bougies, comme dans les tableaux de De la Tour. J’ai également ressenti cela lorsque j’ai eu l’opportunité de photographier les mineurs de charbon au fond de la mine, dans cette expérience, la lumière était le plus souvent l’éclairage de leur lampe frontale.

  pacques.jpg

J’aime beaucoup travailler dans mon studio mais ce que j’adore le plus c’est de découvrir des lieux atypiques, insolites et d’imaginer, d’élaborer une photo en fonction d’une thématique. Comme « Lady Godiva », « Jeanne d’Arc », « Gangster ». J’aime mettre en scène.

Comment s’établissent les contacts avec vos modèles ? Qu’est-ce qui fonde votre démarche vers le sujet ?

Mon mode opératoire est toujours le même, mon angle d’attaque est la personne, son vécu, sa culture. Dans un premier temps c’est une rencontre entre deux personnes, deux cultures. Il me faut du temps pour pouvoir découvrir une part de son quotidien et avant que je ne puisse sortir mon appareil photo. Je dois avant tout donner envie à mon interlocuteur de m’accorder une photo, cette image qu’il veut bien m’offrir de lui-même. Avec le temps… une heure, une demi-journée, une journée, cela marche souvent. Sinon, ce n’est pas grave, je n’aime pas voler mes clichés.

 

Pour le sujet, c’est simple, tout suscite ma curiosité. Je pars du principe que chacun de nous a quelque chose d’unique en soi et que certains ont envie de partager, d’offrir, que ce soit en studio, ainsi qu’en reportage. Là encore on peut parler de transmission. Sans cette confiance, la photo n’est pas la même à mes yeux.

 

Pour le choix de la personne, je dirais que l’on se cherche/s’attend l’un l’autre. Je suis toujours étonné lorsque j’y réfléchis, de tous ces milliers de kilomètres parcourus, avion, train, taxi, et marche à pied, là quelque part dans les alpages, les Carpates ou au fond d’une mine, il y a au-delà de l’échange une extraordinaire rencontre photographique. M’attendaient-ils ou pas ?

Comment vous est venue l’idée de vous plonger dans l’univers de la mine ?

 

Dans ma famille, il y a eu un mineur qui a travaillé dans une mine près de Lille et j’en garde un souvenir d’enfance. Des images très marquantes du dur métier qu’ils exercent. J’ai fait ces photos lors de mon « pèlerinage » de 3 ans tout au long de l’Ukraine qui a débuté à Uzgorod et que j’ai terminé dans le Donbass.

Mines-Ilakaka_8699.jpg

La découverte du pays de mes ancêtres a été bouleversante et j’en suis revenu avec beaucoup d’images émouvantes. Où peut-on voir vos œuvres ? Depuis le mois de février 2011 et jusqu'au 27 novembre 2011 au centre minier de Faymoreau (Vendée) sont exposées les photos de mineurs de charbon de la région de Donetsk et de Novovolynsk avec qui j’ai eu la chance de partager le quotidien.

 

"Gueules Noires, mineurs du monde" c’est une exposition collective en grand format en plein air. Fin mai 2011 lors d’un week-end de conférences portant « sur la vie des mineurs », les organisateurs du centre minier m’ont permis d’intervenir et d’échanger sur cette étonnante expérience que j’ai vécue parmi ces hommes. J’ai saisi l’occasion pour inviter lors de ce week-end mon guide/mineur ukrainien, Hennadij, de la région de Donetsk qui a été surpris de l’intérêt que les Français portent à cette profession.

 

Une autre exposition d’une cinquantaine de photos est actuellement en place dans la ville minière de Vouhledar (Donbas), le lieu même où ont été prises les photos exposées.

Que représente pour vous le domaine Tchornohora situé à Rochepaule en Ardèche ?


Cette maison familiale, lieu paisible où se rencontre la diaspora ukrainienne en France est située en Ardèche dans un écrin de verdure qui rappelle les Carpates. Elle a été ouverte par l’association FAVAL, regroupant dès 1974 une partie des émigrés d’origine ukrainienne dont le but était de sauvegarder la culture ukrainienne et de la faire connaître. Reprendre la présidence de Tchornohora est pour moi la continuité de transmission de ces valeurs aux enfants, comme l’ont fait mes prédécesseurs.

 

J’ai la chance de travailler avec une équipe très soudée, volontaire. Nous avons tous la même conviction dans l’implication que nous portons à ce lieu et à ces valeurs culturelles, cela est très plaisant. Nous souhaitons tous continuer à faire vivre cette maison en organisant les retrouvailles des anciens colons, louer ce magnifique lieu pour des événements familiaux, ou même l’ouvrir également en maison d’hôtes.

 

 

Depuis 37 ans, chaque mois de juillet, un séjour est organisé pour les enfants qui vivent trois semaines aux couleurs de l’Ukraine tout en profitant chaque jour de l’air sain, de cette nature généreuse entourée de montagne. Depuis quelques années, on m’a confié l’élaboration du spectacle de fin de séjour pour plus de cinquante enfants âgés de 6 à 17 ans qui chantent, dansent et jouent la comédie avec brio. Ce sont de véritables comédies musicales dans lesquelles j’aime placer des références historiques, littéraires, éducatives et également écologiques.

 

Tout au long du séjour, j’observe ces jeunes participants et j’écris mon scénario en fonction des enfants présents chaque année. C’est un véritable challenge en ce qui concerne le travail de scénariste et metteur en scène. Chaque fois c’est une mise en abyme total, pour moi travailler dans l’urgence est très stimulant et productif. Lorsque j’arrive sur place rien n’est écrit (chaque millésime est une nouvelle histoire) mais je suis aidé lors des soirées à thèmes au cours desquelles les enfants exposent leurs propres idées. Ensuite je brode (au point de croix bien sûr) avec leurs rêves et je rajoute mes fantaisies. Ces spectacles ouvrent l’esprit des enfants et leur curiosité, cela leur fait comprendre le simple fait qu’ils ont chacun leur propre personnalité et qu’il est possible de réaliser ces rêves. J’essaye de transmettre aux enfants l’envie de faire la comédie, de chanter, de danser.

 

J’ai toujours trouvé le milieu de l’éducation rigide et pas très drôle, alors avec les enfants de « Tchornohora » j’essaye de transmettre mon savoir de façon ludique et avec amusement et beaucoup d’humour. Avec mes collaboratrices (Maroussia Jonyk, Anne Jonyk, Nathalie Markarian-Kuzma, Laura Budka) nous essayons d’offrir à chaque enfant cette passion de la culture ukrainienne que nous avons reçue de nos parents, pour que peut-être un jour elle germe en eux. Comme dit une métaphore dont je ne me rappelle plus l’origine, « un enfant c’est comme la flèche d’un arc, quand on la lâche nous ne pouvons plus rien pour elle ». L’impulsion est très importante. Malgré les responsabilités et la fatigue, cette implication nous nourrit intellectuellement. enfants.jpg

 

Cette année, le nom donné au spectacle était « Onze et une ». À la surprise générale, comme chaque année nous avons fait salle comble lors des deux représentations. 300 personnes ont eu le plaisir de voir le spectacle à Rochepaule : 150 personnes des villages avoisinant pour le vendredi 29 juillet et 150 parents et membres des familles d’enfants le samedi 30 juillet. J’ai eu la chance d’avoir entre autres à mes côtés cette année, Mila 6 ans qui a eu une cinquantaine de répliques et qui a joué la comédie telle une professionnelle. L’époustouflante Elisa 8 ans, dans le rôle d’une magicienne avec un jeu interactif, Aurélio 15 ans qui nous a fait une interprétation magistrale de « Suzi » d’Okean Elzy (pour les connaibroderie_houtsoule.jpgsseurs). Je ne peux tous les citer (je m’en excuse d’avance), ce sont des jeunes qui d’année en année me permettent d’être l’heureux témoin de leur évolution. Un vrai bonheur ! Les parents prennent également part à mes créations, les musiciens sont mis à contribution pour les enregistrements des playbacks dans un studio improvisé, d’autres à l’accroche des lumières, costumes, cuisine, etc…


Quelles richesses humaines allez-vous nous faire découvrir ces prochains mois ?


Concernant l’Ukraine, j’ai pour projet en 2012 de mettre en place une exposition sur les mineurs de charbon. La perception que portent beaucoup d’Ukrainiens à ce métier n’est pas la même qu’en France et je souhaite par le biais de ce projet faire évoluer les pensées, car pour avoir vécu le quotidien parmi ces hommes, je peux dire aujourd’hui qu’ils sont à mes yeux de vrais héros. Si ce projet peut faire évoluer la considération envers ces hommes, j’en serai ravi. Je viens d’une famille issue d’une minorité (les Houtsouls, habitants d’une partie des Carpates ukrainiennes) et je m’intéresse beaucoup à toutes les minorités. C’est ce qui a inspiré, en autres, mon projet d’exposition de photos en relief pour les personnes non-voyantes réalisé en 2008.

 

Précédemment, au cours de ma carrière de comédien, j’ai eu l’opportunité de mettre en place un spectacle s’adressant à un jeune public de personnes malentendantes. Je voudrais changer le regard des gens sur cette partie de la population, qui doit faire face au quotidien à une incompréhension ambiante, aussi je pense que nous devons nous qui en avons les moyens leur permettre de vivre tout simplement. Cela peut fonctionner, je l’ai ressenti lors de mon exposition sur les personnes non-voyantes, qui, à ma plus grande joie, a voyagé dans toute l’Ukraine (Kiev, Lviv, Donetsk, Symferopol, Odessa, Tchernivtsi, Dnipropetrovsk). Une prise de conscience du reste de la population, tout simplement (apparition de menus en braille dans les restaurants à Lviv, sonorisation pour non-voyants dans le métro à Kiev…etc.). Ce type d’exposition a pour but de réveiller les consciences, bien au-delà de l’attrait esthétique que peuvent procurer de belles images placées sur des murs.

Enfants_Zafimaniry-9353.jpg

Les idées ne manquent pas, … avis aux « sponsors » et « mécènes » (rire). Cette année, j’ai fait un voyage extraordinaire à Madagascar où j’ai réalisé plusieurs reportages avec différentes minorités là encore. J’ai découvert les « Houtsouls » malgaches (sourire) qui vivent dans les montagnes dans des maisons en bois. Mais ce choix de vie devient de plus en plus difficile à cause de la déforestation intensive entre autres. Alors, ils se résignent et commencent à construire des maisons en terre qui est une tradition perpétuée dans d’autres régions de l’île. Ils font de la sculpture sur bois comme les Ukrainiens et c’est assez curieux de retrouver des similitudes entre des peuples si éloignés géographiquement.

Propos recueillis par Lesya Darricau-Dmytrenko

 

le site d'Youry Bilak

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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 14:41

NTCH-enseigne.jpgLa prestigieuse société scientifique Chevtchenko (Naoukove Tovarystvo Chevtchenko – NTCH), porte le nom du célèbre poète ukrainien Taras Chevtchenko. Sa création remonte à 1873, à Lviv.

 

L’institution a connu un formidable essor jusqu’à la première guerre mondiale. Durant l’entre deux guerres, la domination polonaise freina cet élan mais ne put néanmoins empêcher NTCH de rayonner. En 1939, l'occupation de Lviv par les Soviétiques entraîna la dissolution de la société. Beaucoup de ses membres furent arrêtés, envoyés au Goulag, ou exécutés. Cependant les liens scientifiques se sont avérés plus forts que les persécutions politiques, et les membres de NTCH, dont beaucoup s’étaient exilés, se sont retrouvés au sein des antennes étrangères : aux Etats- Unis, au Canada, en Allemagne, en Australie et en France. Leurs efforts communs ont permis de réaliser plusieurs travaux d’une importance capitale, les plus remarquables étant sans conteste les 14 volumes de l’Encyclopédie ukrainienne.

 

NTCH n’a pu revenir en Ukraine qu’à la fin des années 1980, au moment de la Perestroïka. L’antenne française s’est établie à Sarcelles en 1951, grâce à des dons privés. C’est elle qui a coordonné le travail sur l’Encyclopédie ukrainienne, une oeuvre de référence pour les spécialistes comme pour tous ceux qui cherchent des informations sur l’Ukraine. D’après le nouveau président de l’antenne de Sarcelles, Stéphane Dunikowski, avocat au barreau de Nanterre, la publication de l’Encyclopédie en français compte parmi les nombreux projets de l’organisation. C’est un travail considérable qui impliquera des ressources financières importantes.

 

Stéphane Dunikowski se présente modestement comme un président administratif qui a avant tout pour but de consolider les moyens de l’antenne, de lui permettre de continuer son travail, de rétablir des liens entre scientifiques et d’aider les nouveaux chercheurs à venir travailler en France sur des thématiques ukrainiennes. Il est épaulé par Michel Bergeron, trésorier, et Anne-Marie Dovhanuk, depuis longtemps secrétaire scientifique de la société. D’anciennes équipes de NTCH sont également à leur disposition pour redonner du souffle à l’association.

 

Néanmoins, selon Stéphane Dunikowski, il est nécessaire de s’ouvrir aux nouveaux talents. Ainsi, une première journée portes ouvertes a été organisée à Sarcelles cet automne. Elle a réuni des curieux, des sympathisants et tous ceux qui souhaitaient soutenir NTCH dans ses projets de développement. Le même jour, l’antenne de Sarcelles a lancé une nouvelle initiative : l’association des Ukrainiens du Val-d’Oise a été créée. Selon le président de NTCH, la formation d’associations de ressortissants ukrainiens en France, regroupées en fonction de leur emplacement géographique, permettra de parvenir à une plus grande synergie dans leur travail et les rendre plus efficaces dans leur collaboration avec les administrations françaises.NTCH

par Olga Gerasymenko

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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 15:06

Philippe-Naumiak.jpg

Quand l'association a-t-elle été créée et quels sont ses objectifs ?


L'association a été créée par des Français d'origine ukrainienne afin de mettre en oeuvre tous les moyens de diffusion, de communication, d’information, de recherche et d’études concernant l’Holodomor. L'objectif de l'association est de porter à la connaissance du plus large public français, une information et une expression des plus pertinentes sur l'un des trois génocides européens : le Holodomor ukrainien, chronologiquement placé entre la tragédie de l'Arménie et la Shoah, mais plutôt méconnu, ou mal connu, des Français à l'exception de quelques cercles universitaires.
 
L’Europe reconnaît le Holodomor, l'ONU le commémore, l'Amérique du nord n'a pas de problème d'amnésie depuis plus d'une génération et la France reste muette sur le sujet. Il est temps d'agir tant que vivent les derniers témoins. Nous avons donc contacté une réalisatrice française de films documentaires, Bénédicte Banet. Elle a accepté et a même suggéré d’aller au-delà d’une diffusion à la télévision en visant la création d’un site Internet, dans lequel seraient mis en ligne la totalité des témoignages, des archives recueillis pendant les tournages (y compris ceux qui n’auraient pu être inclus dans le film). La création d’un DVD permettra à tous ceux qui le souhaitent de conserver le film. Ce projet nous séduit mais il implique plusieurs tournages en Ukraine, un énorme travail de traduction, des moyens de promotion et de diffusion. Le budget et très lourd. Tout nous laisse espérer que ce film passera à la télévision, sera projeté en salles, diffusé... et que les médias français soient sensibles au calvaire que l'Ukraine a subi il y a plus de 75 ans. Le Centre Culturel ukrainien de l'ambassade a déjà organisé une première rencontre avec l'équipe de tournage en juin dernier, au cours de laquelle a été projeté un extrait des témoignages déjà recueillis.

Nous organisons le 13 novembre, une nouvelle projection accompagnée d’une exposition de photos et tableaux qui se prolongera durant la semaine. La diffusion d'un tel documentaire, totalement inédit en France, est importante pour les Français d'origine ukrainienne car le déni est... étouffant. Voilà le but de l’association : recueillir toutes les preuves possibles du Holodomor, les traduire et les porter à la connaissance du public, notamment à travers la réalisation d’un film et d’un site internet. Pour cela il est indispensable de recueillir des fonds pour poursuivre et finaliser le travail déjà entrepris.

Que désigne-t-on précisément par le terme Holodomor ?


Sémantiquement ce terme signifie « exténuer par la faim », mais par extension nous pouvons dire « tuer par la famine ». On appelle Holodomor le génocide par la faim des paysans ukrainiens, disons plutôt des Ukrainiens en tant que nation essentiellement paysanne, des années 1932-1933. Néanmoins le processus du Holodomor remonte à l'année 1929 – année noire où la collectivisation violente des campagnes est mise en place, où l’anéantissement de l'élite pensante ukrainienne est effectuée avec la suppression de l'Église orthodoxe ukrainienne, les persécutions religieuses, la liquidation de l'Académie, des intellectuels, des écrivains, la fin de l'ukrainisation et le retour de la russification. Même le Parti Communiste d'Ukraine est purgé de ses éléments trop ukrainiens. Il n'est pas nécessaire d'assassiner toute la population pour qu'il y ait génocide. Staline ne visait pas à exterminer tous les Ukrainiens, et du reste il n'en avait ni les moyens ni la nécessité – il fallait encore des esclaves aux kolkhozes pour labourer la riche Ukraine. Mais il a réussi à briser la nation ukrainienne en tant que telle, à anéantir son identité religieuse, linguistique et culturelle.

Est-il possible de dresser un inventaire des conséquences humaines, démographiques et politiques du Holodomor ? Oui et non. Tout est tellement complexe que l'inventaire est difficilement quantifiable contrairement au génocide arménien par exemple ou au Rwanda. Mais un bilan sur l'état identitaire ukrainien est plus que faisable, il saute aux yeux. Encore maintenant lorsque je franchis la frontière du Zbroutch entre l'ancienne URSS et la Galicie polonaise (et ex-autrichienne) je vois à l'architecture et au comportement des gens plus âgés que j'ai changé de contrées tant la marque de l'histoire soviétique est présente. Certains Ukrainiens de l'ex-Ukraine soviétique présentent encore ce comportement d'éternels écorchés vifs si typiques de l'ancienne société communiste. Ajoutez à ça l'odieux sabir qu'est le sourjyk, ce baratin « petit-nègre » des villes russifiées et déjà la trace du traumatisme apparaît. La campagne donne l'impression d'avoir été balayée par un gigantesque tsunami après lequel on aurait recollé de-ci de-là des morceaux de civilisation ukrainienne. Il existe une nette différence de part et d’autre du Dnipro. La Podolie était polonaise au XVIIIème siècle, elle est restée ethniquement ukrainienne jusqu'à maintenant. Cette russification-soviétisation est l'une des conséquences les plus dramatiques de ce Holodomor.

Un mot sur les chiffres. Les entretiens que nous avons pu avoir avec des historiens font apparaître un bilan des plus probables : pour le pic de la famine allant de l'automne 1932 à la fin du printemps 1933 nous avons une fourchette allant de 3,5 à 4,5 millions de victimes. Les victimes de la collectivisation dès 1929, des réquisitions agricoles dans les kolkhozes entre 1931 et 1932 ainsi que les morts de maladies liées à la famine (occlusions intestinales, sous-alimentation des orphelins, etc...) portent ce chiffre à près de 6 millions. Des centaines de monuments ont été érigés en Ukraine. Le Holodomor est enseigné dans les écoles et quinze mille ouvrages et thèses universitaires ont été rédigées sur le sujet. L'Ukraine entame son deuil.

Le projet documentaire que vous développez relève-t-il de la thématique historique ou s'inscrit-il dans une perspective de sensibilisation mémorielle ?

Tout d'abord il est bon que ce soit une Française de souche qui réalise ce film. Une personne d'origine ukrainienne comme moi aurait eu une vue trop passionnelle et émotive, donc moins objective et oins réaliste des choses. L’intérêt de notre projet réalisé par Bénédicte BANET est d’apporter au-delà des témoignages de survivants et des archives, une vision de l'Ukraine contemporaine des campagnes où s'exposent les stigmates de cette époque : monuments, tombes sur les charniers et autres fosses communes. A celui qui sait voir, et là le défi a été pleinement relevé, l'Ukraine contemporaine expose toujours la souffrance de cette époque. Des interviews de philosophes, historiens, artistes, hommes politiques éclairent cette page de l’histoire ukrainienne et en révèlent l’impact sur l’Ukraine contemporaine.

Beaucoup de témoins ont raconté leur enfance pour dire « plus jamais ça ». Ils sont soulagés et heureux d’avoir apporté cette contribution à l’avenir de leurs enfants. Je dirais que la sensibilisation mémorielle alterne avec la thématique historique, une grand-mère de 103 ans témoigne après les propos d'un philosophe sur le trauma collectif, un barde chante sa complainte avant l'arrivée de mon père dans son village après 73 ans d'absence... Et l'art n'est pas absent de ce documentaire, on peut filmer sèchement les choses ou bien tenter de les transcender...

Je croyais bien connaître l'Ukraine, je l'ai revisitée autrement à travers la caméra.

Quels obstacles et difficultés rencontrez-vous dans votre démarche de recueil des témoignages de survivants ?

Témoigner pour l’histoire… À l’inverse des témoins de la Shoah ou du Rwanda, les derniers témoins du Holodomor n’ont pas, ou peu, le recul et l’analyse des faits. Et cela à cause de plusieurs barrières du souvenir qui expliquent le discours bref ou construit des témoins.

La barrière du temps.
Les témoignages que nos voyages en 2006, 2007, 2008 et 2010 ont permis de recueillir, s’inscrivent soixante-quinze ans après le point culminant de la famine de l’hiver 1932-33. Ces personnes âgées éprouvent des difficultés à se remémorer un événement si lointain, surtout après un tel refoulement de la mémoire et du langage. Pour eux, il ne s’agit pas tant d’évoquer la famine que de raconter leur enfance brisée et de l’extraire des brouillards du lointain passé. Les témoins, enfants ou adolescents à l’époque, n’avaient pas, au moment des faits, une perception d’adultes dans un champ plus réfléchi et plus vaste du temps et de l’espace. Cette vision des choses, liée à la vieillesse et à la distance temporelle, fait que, involontairement, les témoins paraissent, dans leur récit, percevoir le drame d’une façon atténuée. Certaines personnes ont déclaré pouvoir mourir apaisées car elles auront apporté leur témoignage avant de partir vers d’autres Cieux.

La barrière sociale.
Les fermiers ukrainiens, désignés comme « la classe à abattre », n’étaient pas des intellectuels et n’avaient pas un niveau scolaire élevé. Mais ils étaient pleins de bon sens et n’étaient pas non plus des illettrés. Parmi eux, certains ont rédigé par écrit leur témoignage, les autres ont laissé l’interlocuteur le rédiger devant eux. Mais l’élite intellectuelle du village - instituteurs, prêtes, koulaks - qui aurait pu donner des témoignages plus approfondis ont été liquidés. Une autre barrière sociale est notre origine. Vous n’entrez pas comme ça chez une octogénaire ukrainienne pour la questionner à brûle-pourpoint sur son enfance si vous n’êtes pas présenté par une personne de son entourage. Elles n’ont pas conscience de l’importance de leur témoignage.

La barrière du négationnisme d’État.
L’État soviétique a toujours nié l’existence de la famine. En parler pouvait vous valoir une dénonciation et des poursuites pénales. Pire encore, les manuels scolaires et la propagande vantaient la collectivisation et présentaient des images et des films de kolkhoziennes opulentes et joyeuses moissonnant sous les drapeaux rouges de la patrie socialiste. Il s’agissait non seulement d’un déni, mais de l’affirmation d’une situation opposée : « La famine n’a jamais existé et si quelques koulaks ont été condamnés c’est parce qu’ils étaient des saboteurs, des bourgeois nationalistes ! On vit heureux maintenant dans nos campagnes ! » - clamait la propagande politique.

D’autres contextes socioéconomiques se sont greffés sur cette situation du déni d’État. La jeune génération des survivants de la famine a été déracinée, après la guerre, dans d’immenses cités ouvrières aux périphéries des villes. Ici, la soviétisation des masses a été rapide et efficace. Le lien avec l’aïeul du village a été atténué, voire rompu. Ces villes inhumaines soviétiques, où les nouveaux colons russes étaient nombreux et où la survie économique dans la promiscuité des appartements collectifs était abrutissante, ne portaient pas le témoin à entretenir le souvenir et à rédiger quelques notes pouvant devenir des preuves à charge et vous valoir une condamnation…

La barrière du drame ou de l’implicite complicité.
Les rescapés des camps nazis “bénéficient” d’une identification claire de leurs bourreaux, de leurs motivations criminelles et du processus exterminateur. En qualité de victimes ils bénéficient d’une reconnaissance morale et d’une condamnation par l’Histoire non seulement de l’idéologie qui les a opprimés mais également de l’univers concentrationnaire clos qui les a torturés. Il en est partiellement de même pour les rescapés des goulags. Pour les rescapés du Holodomor tout est
plus obscur… Le processus génocidaire du Holodomor s’est non seulement attaqué aux adultes et aux enfants, mais a fait des adultes des complices indirects et involontaires du meurtre dans un de ses aspects les plus abjects. C’est la plus grande victoire des génocidaires. Si en haut de l’échelle les idéologies et les hauts responsables politiques sont identifiables (donc condamnables) en bas de l’échelle il y a des confusions entre la classe des victimes et celle des exécutants. Il s’agit de confusions sous la contrainte qui entraînent des culpabilités : des activistes ont été enrôlés sous la contrainte et parmi eux certains sont devenus des victimes, des parents ont assassiné leurs enfants ou se sont fait délateurs pour survivre… Le survivant éprouve une honte, la honte d’avoir commis un acte violent pour survivre, ou simplement d’être le dernier survivant d’une communauté.

Propos recueillis par Frédéric du Hauvel


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8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 08:37


Le bulletin de Novembre 2011 de Perspectives Ukrainiennes est disponible sur la page Archive des bulletins de Perspectives Ukrainiennes.

 

Au sommaire:
 
p.1 :  Divine Liturgie de Saint Jean Chrysostome dans le rite byzantin, le 20 novembre 2011 en la Cathédrale Notre-Dame de Paris.
p.2-5: Entretien avec Philippe Naumiak, président de l’association HGIR.
p.6: Soixantième anniversaire de la branche française de la société scientifique Chevtchenko
p.7: Odessa transfer, chroniques de la mer Noire.
p.8-12 : Rencontre avec Youry Bilak, photographe, acteur et metteur en scène

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26 octobre 2011 3 26 /10 /octobre /2011 15:57

20111105 Zabouzhko

 

NB:

les Strasbourgeois aurons également le plaisir de rencontrer cette auteure qui fait partie de TOP-10 d'écrivains les plus populaires ukrainiens:

 

 

La Ville de Strasbourg, la Représentation Permanente de l’Ukraine auprès du CdE, la Médiathèque Malraux et les associations Lorraine-Alsace-Ukraine (LAU) et Cercle Economique France-Ukraine (CEFU) organisent, en partenariat avec le GOETHE Institut et l’association MICT, une soirée avec Oksana ZABOUZHKO, écrivaine, poétesse et publiciste majeure dans la littérature ukrainienne contemporaine.
 
Le jeudi 3 novembre à 18h30 à la Médiathèque André Malraux
1 presqu’île André-Malraux, Strasbourg
Salle de conférence, entrée libre
 
Cette rencontre est présentée en clôture du programme culturel de la Présidence ukrainienne du Conseil de l'Europe et sera suivie par un cocktail.
Avec Iryna Dmytrychyn, traductrice, Marie Schoenbock, comédienne, Charlotte Krauss, lectrice d’allemand à l’Université de Strasbourg, et les chanteurs d’Ukraine à Strasbourg
 
Échanges en ukrainien, allemand, anglais et bien sûr, interprétation en français.
 
Une voix féminine forte dans l’espace post-soviétique, Oksana ZABOUZHKO était la première à aborder des sujets inédits et interdits, en dehors de toute portée politique, comme la féminité, la sensualité, la sexualité ... Explorations sur le terrain du sexe ukrainien, publié en 1996, premier best-seller ukrainien, a été traduit en onze langues, adapté au théâtre et demeure toujours une œuvre littéraire de référence.
 
Diplômée de philosophie et de littérature, elle réfléchit à travers ses textes et ses articles dans la presse sur l’identité ukrainienne, l’empreinte de l’histoire, non sans y apporter une touche féministe.
 
Son dernier roman, Musée des secrets abandonnés, reconnu meilleur livre de l’année 2010, est une saga familiale qui croise le destin de plusieurs générations sur fond des péripéties du XXe siècle en Ukraine. Ce roman a été traduit vers l’allemand et a déjà suscité les meilleures critiques dans la presse germanique :
 
 

 "Streitbar, fiebrig, fulminant - mit ihrem 759-Seiten-Roman über die Geschichte der Ukraine im 20. Jahrhundert hat Oksana Sabuschko in ihrer Heimat ein Fenster aufgestossen. Sabuschko wird sie als zweiter Dostojewski gefeiert, hat aber vor allem eine intensive Auseinandersetzung über die gesellschaftlichen Verhältnisse und deren Wurzeln in einer noch immer nicht bewältigten Vergangenheit ausgelöst."

En France, ce livre a déjà été remarqué par certaines figures importantes, comme celle du mathématicien et dissident d’origine ukrainienne Leonid PLIOUCHTCH.


--
Ivanna Pinyak
Présidente de l'Association
CEFU
Cercle économique FRANCE-UKRAINE

www.cefu.fr

ivanna.pinyak at gmail.com

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20 octobre 2011 4 20 /10 /octobre /2011 16:30

CINÉ-CLUB UKRAINIEN -  ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE

Mardi 8 novembre 2011, 19h, à l’Espace culturel de l’Ambassade

22, av. de Messine, Paris 8ème, M° Miromesnil. tel. 01 43 59 03 53

Entrée libre.

 

SÉANCE SPÉCIALE DÉDIÉE AU HOLODOMOR

PAYSAGE APRES LE DÉSASTRE  (ПЕЙЗАЖ ПІСЛЯ МОРУ)

vo

Production : Inspiration Films. Service cinématographique d’Etat, Ministère de la Culture d’Ukraine, 2008, coul. 58 mn.

Scénario : Olga Oungourian, Taras Oungourian, Youriï Terechtchenko

Réalisation : Youriï Terechtchenko

Photographie : Vitaliї Soulyma, Volodymyr Houїevskyi, Artem Sentchylo

Musique : Victor Krysko

Son : Andriї Demydenko

Témoignages : Natalia Dzioubenko-Mace, habitants du village de Velyka Fosnia, région de Jytomyr, Mykola Brytsoun, Yakiv Hrychtchouk, Valentyna Kravtchouk, Oleksiї Kravtchouk, Fedir Kravtchouk, Halyna Ostaptchouk, Olga Tytartchouk, Serhiї Fedorenko.

Genre : documentaire

holodomor 2

 

     Documentaire tourné dans le village de Velyka Fosnia, avec le témoignage central d’un policier qui avait réuni quelques 7000 documents prouvant la mort par la faim en 1933 de 120 habitants du village. Aujourd’hui encore, certains survivants vivent toujours dans une peur postgénocidaire. Évoquée pendant l’office des morts, où un pope énonce les noms des victimes, l’extermination de millions d’êtres humains est lisible sur les arbres généalogiques aux branches décapitées.

 

CIEL, DES INVITÉS (ОЙ ГОРЕ, ЦЕ Ж ГОСТІ ДО МЕНЕ)

vo

Production : Ukrkinokhronika, 1989, coul. 27 mn.

Scénario : Fédir Zoubanytch, Alexandre Koval, Pavlo Fareniouk.

Réalisation : Pavlo Fareniouk

Photographie : Alexandre Koval

Son : Alexandre Moroz

Genre : documentaire 

holodomor 1

     Des cinéastes s’invitent chez une vieille femme qui leur raconte le Holodomor. Dans sa khata de guingois, une radio crachote. Une voix lit un texte de Mykola Khvylovyi Moi, le romantique. Seule survivante de sa famille, la vielle femme commente de temps à autre. Sur les 80 koulaks de son village envoyés en Sibérie, seuls trois revinrent. Il ne restait plus de vache dans les khatas, ni de cochon, seul Staline sur les cloisons. Rentrant un soir du kolkhoze, elle retrouva dans un pot oublié par les voisins la chair salée de son enfant et ses vêtements enfouis dans le jardin.

Lubomir Hosejko

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20 octobre 2011 4 20 /10 /octobre /2011 16:23

CINÉ-CLUB UKRAINIEN -  ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE

Lundi 7 novembre 2011, 19h, à l’Espace culturel de l’Ambassade

22, av. de Messine, Paris 8ème, M° Miromesnil. tel. 01 43 59 03 53

Entrée libre.

 

LA ONZIÈME ANNÈE (ОДИНАДЦЯТИЙ)

vo

Production : VOUFKOU, 1928, 53 mn, nb, muet

Scénario : Dziga Vertov

Réalisation : Dziga Vertov

Photographie : Mikhaïl Kaufman

Montage : Elisaveta Svilova

Genre : documentaire

 Photogramme La Onzième année

 

     En butte à la censure du Goskino moscovite, Dziga Vertov est invité en 1927 par la VOUFKOU à travailler en Ukraine, où il conclut un accord pour la réalisation d’un documentaire célébrant l'industrialisation du pays à travers la construction d'une centrale hydroélectrique sur le Dniepr, l’électrification des campagnes, les charbonnages et fonderies, la société mutant vers le militantisme communiste. Vertov parle de son film comme d’un opus réalisé de manière spontané, sans scénario, dans un langage socialiste cinématographiquement pur où s’entremêlent photographie et surimpressions et où l’emploi d’images doubles qui s’empiètent à différents rythmes, crée la véritable dynamique du film. C’est la première partie du film qui est la plus intéressante, puisqu’elle enregistre sous tous les angles le dynamitage du saut Nenasytets sur le Dniepr. La construction entre 1927 et 1932 de la plus grande station hydro-électrique d’Europe devait inonder les sauts du Dniepr et engloutir à jamais le patrimoine archéologique. À cet effet, le célèbre ethnographe Dmytro Yavornytskyi procéda en toute hâte aux ultimes fouilles de l’île de la Khortytsia qui contenait des trésors sarmates, scythes et cosaques. La superbe image récurrente d’un squelette  scythe reposant en chien de fusil donne le ton au film : le passage de l’ancien au nouveau. Suspecté de formalisme, le film restera le moins connu des trois opus que Vertov réalisera en Ukraine, bien que dix mille spectateurs le virent durant les trois premiers jours de projection.

   Photogramme La Onzième année 3  La Onzième année a aussi une autre histoire. Lorsque Vertov le présenta en Allemagne en mai 1929, la presse l’accusa de plagiat. Vertov aurait emprunté impunément des scènes, tirées du documentaire allemand de Albrecht Viktor Blum et Leo Lania Im Schatten der Maschine (Dans l‘ombre des machines). Vertov resta perplexe parce que le contraire était vrai aussi : son film n'avait pas encore été montré en Allemagne, et avait été dépouillé par Blum et Lania pour leur propre compilation. En effet, l’activiste communiste autrichien Albrecht Viktor Blum avait été engagé par la Volksfilmverband pour réaliser un court métrage sur un scénario de Leo Lania. Ce court métrage devait être un recueil d’extraits de films ukrainiens inédits et de quelques séquences américaines sur la base de 50 à 60 films visionnés. Le film de Blum s’appuyait principalement sur la cinquième partie du film de Dovjenko Zvenyhora (1928) le réalisateur ukrainien lui-même s’était servi dans les stocks shot de ses collègues documentaristes -, et sur la dernière partie du film de VertovLa Onzième année. En réalité, Blum avait intégré dans son propre film, à partir du film de Vertov, 282 pieds (3'50’’ à raison de 20 images par seconde), presque inchangés. Ceci incita Vertov à récuser ces accusations dans la presse, bien que la Commission du Commerce Soviétique voulût étouffer l'affaire pour des raisons politiques. Du point de vue juridique, Vertov considéra l'affaire comme un plagiat et une infraction au copyright. De son côté, Blum déclara que son patron, la Weltfilm, l'avait empêché de citer les sources de son film à cause de la réglementation des quotas d’importation. Pour être déclaré allemand par le Comité de censure, le film devait être libre de toute matière étrangère. Mais autant que Blum, Dziga Vertov avait certainement visionné plusieurs travaux de ses collègues ukrainiens et s’en était approprié certains passages. La construction du barrage sur le Dniepr avait ameuté une foule d’équipes de tournage pour les actualités filmées de l’époque. Le documentaire Dniprohès de Hlib Zatvornytskyi exaltait la première grande édification jamais réalisée en Ukraine. Le réalisateur russe Victor Tourine, qui travailla en Ukraine entre 1924 et 1927, avait inclus des plans du Dniproboud dans son film de production kazakhe Turksib. Arnold Kordioum qui se préparait à tourner son film Le Vent des rapides, anticipa sa fiction avec le documentaire Bétonnage sur le Dniepr. C’est aussi à cette époque que Léonide Mohylevskyi, le futur Léonide Moguy, chef-monteur aux actualités et chroniques filmées de la VOUFKOU, signa à partir de 40 000 mètres de bandes d’actualités archivées ou privées les docus Comment c’était et Documents d’époque. Réalisé onze ans après la prise du pouvoir par les bolcheviks en Ukraine, La Onzième année est un autre exemple pratique de documentaire dans lequel le concept du reportage supplante celui de la propagande.

                  Lubomir Hosejko

 

 

 

 

LA SYMPHONIE DU DONBASS (ENTHOUSIASME)

СИМФОНІЯ ДОНБАСУ (ЕНТУЗІАЗМ)

vo

 

Production : Ukraїnfilm, Studio de Kiev, 1930, 68 mn, muet, nb.

Scénario : Dziga Vertov

Réalisation : Dziga Vertov

Photographie : Boris Zeitline

Musique : Extraits de La Marche de la symphonie du Donbas de Nemyrovskyi et du Premier  mai (Symphonie n°3 en mi bémol majeur) de Dmitri Chostakovitch

Son : Nicolas Tymartsev, Petro Chtro

Genre : documentaire

   La Symphonie du Donbass - Enthousiasme

 En Ukraine, le cinéma sonore apparaît de manière hésitante au début des années 30. Résultant d’une décision politique qui privilégie l’industrie lourde aux dépens de l’industrie légère, le passage du muet au parlant se fera par étapes successives. Sur les quelques 110 longs métrages tournés en Ukraine entre 1930 et 1935, seule une vingtaine sera sonorisée ou conçue sonore selon trois catégories : les films naturalistes ou expérimentaux, les films à illustration ou accompagnement musical, les films de fiction parlant. Expérimental selon la conception théorique vertovienne, La Symphonie du Donbass est considéré comme le premier film sonore ukrainien, tous genres confondus. Appelé aussi Enthousiasme, ce troisième et dernier documentaire de Dziga Vertov tourné en Ukraine connut en 1931 un  succès en Europe occidentale lors du passage de Vertov à Berlin, Hambourg, Breslau, Hanovre, Genève, Bâle, Paris et Londres. Mais une fois de plus le spectateur soviétique ne le suivit pas en raison du caractère expérimental de l’œuvre et sous l’effet défavorable de la critique de son film précédent L’Homme à la caméra. Initialement, dans ce documentaire sur l’industrialisation de la région houillère du Donbass, Vertov devait montrer comment les mineurs avaient voulu et pu atteindre en quatre ans seulement les objectifs que leur fixait le plan quinquennal, mais il s’enthousiasma pour un style lyrique enrichi par l’usage recherché des sons industriels et la musique de Nicolas Timoféiev et Dmitri Chostakovitch. Le son fut enregistré à l’aide de la première station mobile du cinéma sonore conçue par Alexandre Chorine, système encore balbutiant comparé aux techniques américaines ou européennes de l’époque. Le réalisateur et les preneurs de son travaillèrent avec acharnement, au jugé, sans possibilité de vérifier le résultat des enregistrements. Vertov recourut fréquemment aux surimpressions et aux collages aussi bien visuels que sonores. Le résultat fut plus que médiocre. Le réalisateur s’obstinait à user de son outil au maximum et finissait par empêcher toute perception normale de son propos. Lors des projections, il s’occupait lui-même des mises au point sonores, martyrisant les oreilles des spectateurs tant il montait le son des haut-parleurs. Bien que félicité par Charlie Chaplin qui, par sympathie et solidarité, considérait que c’était le meilleur film de l’année, Vertov n’obtint pas le succès escompté. Véritable symphonie du vacarme des machines, avec des enregistrements synchrones de voix humaines tantôt sourdes, tantôt tonitruantes, ce documentaire allait dans le sens du contrepoint sonore qu’inférait la théorie du ciné-œil/ciné-oreille - capter le son sur le vif et le dissocier au minimum de l’image -, mais le résultat fut plus cacophonique que de l’ordre d’une expérimentation avant-gardiste formelle. La bande-image primait sur la bande-son. Opposant l’ancien au nouveau dans un style très proche du reportage, Vertov s’attarda sur les fidèles dans les espaces cultuels qui allaient être désacralisés et repris par les activistes communistes. La séquence de la démolition du bulbe de l’église et son remplacement par l’étoile rouge est en son genre un spectacle visuel rarement égalé. La caméra chancelle face à des titubants ivrognes. Interactive, elle se faufile dans les fanfares militaires, les défilés du komsomol, mais reste contemplative, en contre-plongée frontale, face au secrétaire général du PCU Stanislav Kossior, l’un des futurs responsables du holodomor en Ukraine. De superbes séquences à effet visuel réalisées dans les fonderies rehaussent ce documentaire de commande et de propagande sociale.

                 Lubomir Hosejko  

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 09:23

Wikimédia Oukraïna et Wikimédia France vous propose un concours exceptionnel.

Il s’agit d'un challenge rédactionnel portant sur la création d'articles sur des sujets français pour la version en ukrainien de Wikipédia ainsi que sur la rédaction d'articles en ukrainien pour la version française de Wikipédia.

 
Le concours Automne français se déroulera sur 7 semaines, du 21 octobre au  9 décembre 2011.


Remportez chaque semaine de nombreux cadeaux dont des voyages, des livres électroniques et des netbooks !

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Pour s'inscrire au concours

 

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Організація «Вікімедіа Україна» спільно з організацією «Wikimédia France» проводять конкурс «Французька осінь» на написання статей французької тематики в Українській Вікіпедії та статей української тематики у Французькій Вікіпедії.

 

Конкурс розпочнеться 21 жовтня і триватиме 7 тижнів до 9 грудня.

 

Учасники матимуть змогу отримати цінні призи за результатами кожного з тижнів та за весь конкурсний період. Головні призи — поїздка у Францію, нетбук та електронні книги.

Детальніше тут


Попередня реєстрація тут

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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 09:13

Dans le cadre du jumelage des villes de Marseille et d'Odessa. Avec le soutien de la Ville de Marseille, le Consulat d'Ukraine de Marseille et l'Alliance Française d'Odessa. En présence de Lubomir Hosejko, historien et critique de cinéma, membre de l’Union des cinéastes d’Ukraine.

flyer Hommage cinéma ukrainien Marseille1p.1

flyer Hommage cinéma ukrainien Marseille1p.2

Source

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12 octobre 2011 3 12 /10 /octobre /2011 15:56

Une bande dessinée sur Tchernobyl… Le recueil de Natacha Bustos et Francisco Sánchez, paru en juin 2011 aux éditions Des ronds dans l’O, n’est pas le premier, ni sans doute le dernier. Le sujet est apparemment inépuisable pour les créateurs. Les auteurs, espagnols, ont choisi la forme du roman graphique, qui semble convenir à qui veut parler de l’Ukraine par le biais du dessin. On pense en particulier aux superbes Cahiers ukrainiens d’Igort (Futuropolis, 2010). Le récit de Tchernobyl – la Zone décrit le parcours d’une famille dans les jours qui suivent la catastrophe, une famille qui va peu à peu comprendre que sa terre natale est condamnée, et qu’elle ne pourra jamais y revenir.

 

 La narration est lente, le trait sobre. Il règne dans tout l’album comme une atmosphère pesante, figée, hiératique presque, qui n’est pas sans rappeler certaines scènes des films de Tarkovsky. Puis, brutalement, les auteurs enchaînent les images choc, l’exécution des animaux contaminés dans les rues, la peur des paysans à l’idée que leurs maisons soient détruites. Avant de reprendre un rythme plus posé.

 

La lecture de Tchernobyl – La Zone est prenante, économe en descriptions et en paroles — les dialogues sont rares. Toutefois, il ne faut pas se leurrer, c’est une histoire “soviétique”. En dehors des dernières pages, situées en 2006, l’essentiel de l’histoire se déroule en 1986. L’URSS de l’époque est d’ailleurs fort bien campée.

 

Il y a cependant un “mais”, et il est de taille. En 184 pages, le mot “Ukraine” n’apparaît pas une seule fois. Et pour cause : Youri, l’un des héros, est un Russe. Les “liquidateurs” dont parlent les auteurs sont tous enterrés dans un cimetière de Moscou. C’est encore de Moscou que partent les protagonistes en 2006, quand ils souhaitent se rendre dans la zone interdite, à laquelle ils accèdent sans que l’on sache clairement où ils sont. Dans Tchernobyl – La Zone, les environs de la centrale sont “une terre qui n’appartient plus à personne”, peut-on lire dans la postface. Un avis que ne partagent probablement pas les Ukrainiens et leurs voisins biélorusses.

 

C’est une forme d’exploit que de réussir à traiter la question de Tchernobyl sans citer une seule fois le nom du pays où se dresse ce triste mémorial de la folie nucléaire. Tchernobyl – La Zone vaut quand même que l’on s’y attarde, ne serait-ce que pour sa peinture d’un univers aujourd’hui disparu.

 

Enfin, une ultime remarque. Quand les éditeurs occidentaux comprendront-ils qu’il est ridicule d’agrémenter les titres et sous-titres d’ouvrages traitant d’Ukraine ou de Russie de faux caractères cyrilliques, comme les “N” transformés en “И” et les “R” en “Я” ? Malheureusement, cet album n'échappe pas à la règle et contribue donc à véhiculer les clichés.

par Roman Rijka

 

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