CINÉ-CLUB UKRAINIEN - ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE
Mardi 4 octobre, 19h, à l’Espace culturel de l’Ambassade
22, av. de Messine, Paris 8ème, M° Miromesnil. tel. 01 43 59 03 53
Entrée libre.
ANDRIECH (АНДРІЄШ)
avec le concours d’Arkeion Films
Production : Studio de Kiev, 1954, 63 mn. coul.
Scénario : Emilian Boukov, Hryhoriї Koltounov, Serhiї Laline,
d’après le conte éponyme de Emilian Boukov
Réalisation : Yakiv Bazelian, Serge Paradjanov
Photographie : Souren Chakhbazian, Vadim Verechtchak
Décors : Victor Nikitine, Oleg Stepanenko
Son : Mykola Medvediev
Montage : Varvara Bondina
Musique : Igor Chamo, Grigoriu Tirceu. Orchestre du Ministère de la culture de la RSS d’Ukraine, sous la direction de Constantin Simeonov
Directeur de production : Naoum Vaintrob
Interprétation : Kostia Russu, Nodar Chachik, Loubov Sokolova, Kirill Chtirbu, Yevhen Ureke, Dominique Darienko, Robert Vizyrenko-Klavine, Tryfon Gruzine, Giuli Tchokhonelidze
Genre : conte épique et féérique
Synopsis
Le jeune berger Andriech emmène son troupeau dans les pâturages. Il y rencontre le chef des bergers, Vainovan, qui lui offre une flûte magique dont le son procure plaisir et joie à tous ceux qui l’écoutent. Mais la musique éveille la colère du mauvais génie Tchornyi Viter. Celui-ci enlève la belle fiancée de Vainovan et déclenche un terrible orage sur la région qui emporte bêtes et hommes. La jeune femme et le troupeau sont transformés en statues de pierre dans la caverne du sorcier. Andriech parvient à s’en approcher pour rendre la vie à son troupeau, mais Tchornyi Vykhr déjoue son plan et le pétrifie à son tour. Aidé de ses amis, Vainovan, le bon génie, vole au secours d’Andriech au moment où l’ignoble sorcier est sur le point de s’emparer de la flûte magique.
Opinion
Andriech est la version longue de Conte moldave, film de fin d’études de Paradjanov coréalisé au VGIK avec Yakiv Bazelian, avec la même distribution et la même équipe technique. Le film annonce le mode de récit de prédilection de Paradjanov en lui donnant libre cours à la magie et au merveilleux, à ses recherches et son goût pour les puissances visuelles propres à l’univers du conte épique et féérique. La mise en scène est étayée par une dramaturgie théâtralisée penchant volontiers vers l’opéra, et n’évite pas l’écueil des canons imposés des films soviétiques de l’époque, notamment le ballet folklorique. Les décors sont entièrement créés en studio, hormis les séquences pastorales et celle de la lande incendiée, superbement filmée. Saturée de ralentis, surimpressions, transparences, d’effets spéciaux, de couleurs et maquillage outré, cette réalisation qui n’attira sur elle ni l’intérêt du public ni celui de la critique, porte déjà l’empreinte du surréalisme magique qui marquera l’œuvre du futur grand maître. En général, celui-ci interdisait à son entourage de regarder ses films antérieurs aux Chevaux de feu, sauf Andriech, et affirmait qu’il aurait pu tourner son chef-d’œuvre bien plus tôt. Visiblement, le travail du jeune opérateur Souren Chakhbazian inspirera le futur opérateur des Chevaux de feu Youriï Illienko. Déjà, certains cadrages, certains mouvements de caméra, par rotation ou par translation, s’opposent clairement à la photographie statique prônée par Paradjanov et codifient les fondements et la modélisation esthétiques des Chevaux de feu. Filmer de cette manière était peu courant à l’époque, au vu de la production de 1954.
Nés, l’un en 1924, l’autre en 1925, Paradjanov et Bazelian décéderont tous deux en 1990, à quelques jours d’intervalle.
Lubomir Hosejko
UN HOMME DANGEREUSEMENT LIBRE (НЕБЕЗПЕЧНО ВІЛЬНА ЛЮДИНА)
suivi d’une intervention de Lessia Matsko, cinéaste
Production : Cinémathèque Nationale d’Ukraine, Ministère de la Culture d’Ukraine, 2004, 52 mn. coul.
Scénario : Serhiї Trymbatch
Réalisation : Roman Chyrman
Photographie : Edouard Tymline
Animation : Radna Sakhaltouiev, Artem Sakhaltouiev
Son : Igor Barba
Montage : Artem Sakhaltouiev
Directeur de production : Elena Potapova
Genre : documentaire
Parmi la quarantaine de documentaires sur Serge Paradjanov réalisés à ce jour, Un Homme dangereusement libre de Roman Chyrman est celui qui a cerné le plus la personnalité et le génie du cinéaste. Jusque là, les documentaires précédents n’étaient que panégyriques, celui de Chyrman montre le regard ironique de Paradjanov sur le monde et le refus total du pouvoir soviétique. C’est le premier film sur Paradjanov tourné dans l’esprit du maître arménien, artiste introverti et extravagant dans l’imaginaire comme dans le réel.
Conçu sur un ton humoristique, le film mise sur l’ironie, l’autodérision, la mystification et les fantasmes du metteur en scène. Personnage carnavalesque, il est croqué non pas comme un martyre ou une victime du régime soviétique, mais comme un individu original, plein de paradoxes. Le titre du film lui-même a été soufflé au réalisateur par Roman Balaїan, cinéaste et fils spirituel de Paradjanov.
Ponctués d’inserts, de collages, de dessins réunis de manière ironique, suivant chronologiquement la vie du maître, le film égrène en parallèle des extraits des Chevaux de feu, Le Premier gars, Une fleur sur la pierre, Natalia Oujvij, Sayat Nova, Achik Kerib. Puis le verbe surplombe l’image avec les interviews de son épouse Svitlana Chtcherbatiouk, du poète et scénariste Ivan Dratch, des actrices Alla Demydova et Sofiko Tchiaourelli, du directeur du Musée Paradjanov à Erevan, Zaven Sargsian et du photographe Youri Metchitov. Ses amis considéraient souvent ses récits et discours supérieurs à ses films, et ses anecdotes antistaliniennes toutes plus absurdes les unes que les autres. Il parle de Fellini qui a marqué son univers baroque, de son film Amarcord, du comédien Marcello Mastroianni, de son aversion pour les livres. Paria et cosmopolite refusant le terme de dissident, il clame néanmoins : « Je suis un Arménien, né à Tbilissi, j’ai croupi dans les prisons russes pour nationalisme ukrainien ».
Lubomir Hosejko
Le bulletin de Septembre 2011 de Perspectives Ukrainiennes est disponible sur la page Archive des bulletins de Perspectives Ukrainiennes.
Au sommaire:
- Communiqué de l’Union des Ukrainiens de France.
- Entretien avec Igor Baranko, lauréat du prix Ukraine Europe 2011.
- Centenaire de la naissance de Giorgio Scerbanenco.
- « Gueules noires, mineurs du Monde », une exposition photo au Centre Minier de Faymoreau (Vendée).
- Festival « Париж як він є » à Kyiv du 13 septembre au 10 octobre 2011.
Le Diplôme UKRAINE-EUROPE est un prix annuel remis par le portail Ukraine-Europe.org, la première source francophone consacrée à l’Ukraine, fondée en 1995. Il est décerné à des talents ukrainiens qui, par leur travail, diffusent et popularisent la culture ukrainienne à l’étranger, plus particulierement en Europe.
Le diplôme Ukraine-Europe 2011 est décerné à Igor Baranko, à l’occasion de la sortie du premier volume de son album « Maxime Osa » en ukrainien (cet ouvrage a déjà été publié en français, polonais et russe) et dédié au 20ème anniversaire de l’Indépendance de l’Ukraine.
La rencontre permettra de poser des questions à l’auteur et ses collègues, des dessinateurs-graphistes de premiere ligne, Oleksiy Tchebykin et Maxym Palenko. Le studio d’annimation « Tchervoniy sobaka » présentera une vidéo des bandes dessinés des auteurs.
Cette rencontre permettra de faire connaissance avec la situation et les acquis des bandes- dessinées ukrainiennes.
Quand: 18/08/2011, à 18h
Où: Librairie "YE" (rue Lyssenka 3, Kyiv, Ukraine)
CINÉ-CLUB UKRAINIEN - ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE
Mardi 13 septembre, 19h, à l’Espace culturel de l’Ambassade
22, av. de Messine, Paris 8ème, M° Miromesnil. tel. 01 43 59 03 53
Entrée libre.
LES AVENTURES DU SERGENT TSYBOULA
(ДАЧНА ПОЇЗДКА СЕРЖАНТА ЦИБУЛІ)
vf
avec le concours d’Arkeion Films
Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1979, 77 mn. Coul.
Scénario : Pavlo Avtomonov, Vitaliї Chounko, Mykola Litous, d’après le récit de Pavlo Avtomonov L’Autographe du sergent Tsyboula.
Réalisation : Mykola Litous, Vitaliї Chounko
Photographie : Victor Politov
Décors : Edouard Cheїkine, Mykola Terechtchenko
Son : Anatoliï Tchornootchenko
Musique : Ivan Karabyts
Montage : Roman Lorman
Interprétation : Serhiї Ivanov, Volodymyr Olexienko, Mykhaïlo Kokchenov, Nadia Smyrnova, Volodymyr Tchoubarev, Mykhaïlo Lvov, Nina Reous, Stepan Olexenko, Serhiї Svietchnykov, Marguerite Krynytsyna, Boris Sabourov, Mykola Litous, Yevhen Majouha
Genre : Comédie
Synopsis
De retour d’une expédition de diversion dans les lignes allemandes, le sergent Tsyboula est de nouveau envoyé dans l’arrière-front ennemi. Il a pour ordre d’acheminer aux partisans des médicaments, vivres et explosifs. Ayant pris les feux ennemis pour des signaux du maquis, Tsyboula atterrit chez l’ennemi. Bernant ses poursuivants, il fait prisonnier un officier supérieur et réussit à s’emparer d’un train blindé pour rejoindre les siens.
Opinion
L’héroïsme individuel ou collectif qui agrémente les films de guerre des années 70 demeure une caractéristique formelle de la cinématographie soviétique. Cependant, bien qu’au service de la conjoncture politico-militaire brejnévienne, l’amour pour la patrie laisse parfois place à l’humour tout court. Les images doivent divertir et faire oublier la guerre froide et les rigueurs des futurs conflits militaires. C’est le cas des Aventures du sergent Tsyboula (Partie de campagne du sergent Tsyboula), comédie loufoque de Mykola Litous, réalisée en binôme avec Vitaliї Chounko, relatant les exploits d’un éclaireur parachuté en zone ennemie. Le rôle du sergent est interprété par Serge Ivanov, comédien attitré des Studios Dovjenko de Kiev qui s’est fait connaître dans les célèbres comédies dramatiques de Léonide Bykov Seuls les anciens vont au casse-pipe (1973) et Une deux, les soldats marchaient (1976). Dans Les Aventures du sergent Tsyboula, Ivanov forme un duo comique avec Mykhaïlo Kokchenov, un policier empoté, Gergalo, caricaturé pour la circonstance de manière non moins sympathique. Tous deux sont exposés à des situations saugrenues mais finalement amusantes. Dans ce comique de guerre, le réalisateur Mykola Litous s’applique à détourner les codes du genre, qui exalte les violences spectaculaires, et à livrer une vision affadie de l’armée d’occupation. Le film fait penser à La Grande Vadrouille de Gérard Oury et davantage encore au film de Robert Lamoureux Où est donc passée la Septième compagnie, distribués à l’époque en Union Soviétique. Avec La Mercedes en cavale (1980) de Youriï Lachenko, autre film-poursuite accumulant les exploits des Soviétiques infiltrés dans les lignes allemandes, il permet d’éponger les mauvaises recettes occasionnées par la programmation de mélos sirupeux, indiens ou égyptiens. La même année, Serge Ivanov ajoute occasionnellement son nom au registre pathétique du cinéma de guerre dans le film de Vadim Lyssenko Détachement à destination spéciale. Après une carrière émaillée de succès populaires dans plus d’une cinquantaine de films, il crée en 1991 une unité de production indépendante et réalise Lune de miel, une comédie sur le banditisme ambiant. Véritable star de la stagnation brejnévienne, Serge Ivanov décédera subitement en janvier 2000.
Lubomir Hosejko
Le bulletin de Juillet-Août 2011 de Perspectives Ukrainiennes est disponible sur la page Archive des bulletins de Perspectives Ukrainiennes.
Au sommaire:
- 20 ans de l'Indépendance d'Ukraine:
20 questions à M. Oleksandr Kupchyshyn, Ambassadeur d’Ukraine en France
20 questions à M. Jacques Chevtchenko, Président de l’Union des Français d’Origine Ukrainienne
Le bulletin de Juin 2011 de Perspectives Ukrainiennes est disponible sur la page Archive des bulletins de Perspectives Ukrainiennes.
Au sommaire:
- Informations associatives
- Cinq questions à Emmanuel Ruben et à Roman Rijka
- Rencontre avec TSITSIA,auteure-compositrice-interprète
- Entretien avec avec Irina Tymczyszyn, juriste à Londres, co-fondatrice de l’Ukrainian-British City Club
- Les Scythes, une étude de Iaroslav Lebedynsky.
CINÉ-CLUB UKRAINIEN - ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE
22, av. de Messine, Paris 8ème, M° Miromesnil. tel. 01 43 59 03 53
Mardi 7 juin, 19 h. Entrée libre.
LA CROIX DE PIERRE ( КАМІННИЙ ХРЕСТ )
vostf
copie restaurée en 2010
Projection suivie d’un débat animé par Jean-Bernard Dupont-Mylnyczenko, professeur agrégé d’histoire, auteur de Les Ukrainiens en France, éd. Autrement, 2007
Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1967, 82 mn, nb.
Réalisation : Léonide Ossyka
Scénario : Ivan Dratch
Photographie : Valeriï Kvas
Décors : Mykola Rieznyk
Musique : Volodymyr Houba
Son : Sophie Serhienko
Interprétation : Danylo Iltchenko, Boryslav Brondoukov, Kostiantyn Stepankov, Vassyl Symtchytch, Kateryna Mateїko, Boris Savtchenko, Ivan Mykolaїtchouk, Antonina Leftiї, Olexiї Atamaniouk
Récompense : Prix de la meilleure photographie décerné à Valeriï Kvas, Prix du meilleur rôle masculin à Boryslav Brondoukov au Festival Pansoviétique de Leningrad, 1968. Premier Prix décerné à Léonide Ossyka au Festival de l’art orthodoxe l’Orante d’Or, Kiev, 1995.
Synopsis
Accablé d’impôts, Ivan Didoukh a trimé toute sa vie. Au sort de paysan abruti par l’alcool et le travail sur une terre rocailleuse où règnent la loi du silence et une justice sommaire, il préfère, pour lui et ses fils, le destin d’immigrant qui ira creuser sa tombe au Canada. Pour réunir l’argent nécessaire au voyage, il vend tout ce qu’il possède. Détroussé pat un voleur, il décide de le tuer.
Opinion
Revigorée par sa vitalité créatrice, la production cinématographique ukrainienne de 1968 est, contre toute attente, peu représentée au IIIème Festival pansoviétique. Seuls Calme Odessa de Valeriï Isakov et La Croix de pierre de Léonide Ossyka font le chemin de Leningrad où se tient le festival. Les distinctions qu’obtient le film d’Ossyka - Prix de la meilleure photographie et du meilleur rôle masculin – témoignent du travail en profondeur qu’effectue la nouvelle vague ukrainienne. Or, le langage poétique du jeune réalisateur, la beauté plastique des paysages filmés par Valeriï Kvas ne sont pas pour autant les surgeons paradjanoviens que d’aucuns voient d’un mauvais œil, car sortis du même sanctuaire géographique. Le film aurait été inconcevable en couleur, tant sa violence dramatique, son naturalisme virulent et son graphisme ascétique induisaient l’emploi du noir et blanc. L’idée du film naît à l’époque où foisonne une littérature appelée « prose rurale », inspirée par les migrations répétées des Russes et des Ukrainiens. Les premiers arrivent massivement en Ukraine, les seconds partent en Crimée ou vont défricher les terres vierges en Asie Centrale. C’est donc en opposition à ce chassé-croisé qu’apparaît l’intérêt vital d’affirmer leurs racines et leur culture.
Tiré de deux nouvelles de Vassyl Stefanyk, La Croix de pierre est par essence cinématographiquement préconçu en amont du scénario, au même titre que l’étaient les nouvelles de Kotsioubynskyi pour Les Chevaux de feu, les quelques infidélités faites au récit par le scénariste Ivan Dratch ne faisant que renforcer la portée sociale du film qui s’inspire d’un fait authentique, le départ, en 1912, vers le Canada du premier Ukrainien de la région, Ivan Akhtemiїtchouk. Quelques années auparavant, une tentative avait été faite en vue d’un documentaire sur Vassyl Stefanyk par la réalisatrice Laryssa Chepitko, qui parcourut les Carpathes. L’histoire se passe dans les Carpathes, d’où partent, comme de toutes l’Europe des misères, des milliers de paysans vers le Nouveau Monde. Ossyka chante l’abandon de la terre nourricière, thème central de l’œuvre de Stefanyk, et sublime le tragique en choisissant d’une manière expressément noire, la résignation sans espoir. Ici, tout est traité avec des longueurs diffuses, des travellings fluides, le plus souvent latéraux, des champs-contrechamps alternant gros plans et plans d’ensemble. Le dialogue est concis dans un dialecte houtsoule coloré. Hormis Danylo Iltchenko (Ivan Didoukh) et Boryslav Brondoukov (le voleur), Vassyl Symtchytch (Georges), Ivan Mykolaїtchouk (Ivan, fils), Boris Savtchenko (Mykola), Kostiantyn Stepankov (Mykhaïlo) et Antonina Leftiї (la belle-fille), tous les acteurs sont des non-professionnels du village de Roussiv et de Sniatyn. La caméra de Valeriï Kvas affectionne la terre aride et s’attarde volontiers sur les visages sortis tout droit de portraits de manants, bossus, borgnes et éclopés, croqués à la manière d’un Bruegel. Saisissantes la photographie et la dramaturgie de la scène précédant la mort du voleur, empruntée au tableau de Rembrandt Le Retour du fils prodigue. Alors que Paradjanov ou Illienko (La Nuit de la Saint-Jean) se servent de la couleur pour rehausser la métaphore, c’est vers un graphisme au style compassé qu’Ossyka se tourne pour activer la fonction visuelle. La croix que traîne le vieux Ivan jusqu’au sommet de la montagne, sépulture du voleur, est d’un exceptionnel rendu photographique, entretenu par sa force biblique. Formant une symétrie avec Les Chevaux de feu de Paradjanov autour d’un axe ethnographique et ritualiste, La Croix de pierre souligne, dans le même temps, son antinomie avec La Terre de Dovjenko, une terre où l’homme, tout aussi mortel, fusionne avec la nature, riche et généreuse. On retrouve encore cette analogie dans la scène culminante de la danse, où Didoukh et sa femme exécute une polka face à un public stupéfait. Dans le courant poétique du cinéma ukrainien, la danse remplit essentiellement une fonction plastique et dramatique. Tel fut le cas pour la danse de Vassyl dans La Terre, pour Ivan et Maritchka dans Les Chevaux de feu, de Dana et Orest dans L’Oiseau blanc marqué de noir de Youriï Illienko. Elle est accompagnée obligatoirement par une musique symphonique mâtinée de variations folkloriques, écrites par des compositeurs de renom, tels Valentin Sylvestrov, Léonide Hrabovskyi, Vitaliї Hodziatskyi et, principalement, Volodymyr Houba. Auteur de musiques de film assorties à une culture régionale, Volodymyr Houba en a signé en près de cinquante ans plus d’une centaine.
C’est à partir de La Croix de pierre que se dégagera l’impression d’une sorte de réserve carpathique nationale dans le cinéma ukrainien, louée pour des œuvres de plus en plus personnelles, auxquelles s’associent les décorateurs Reznyk, Novakov ou Yakoutovytch. Dès sa sortie, le film servira de matériau de cours pour la célèbre école de cinéma de Lodz en Pologne. C’est encore à partir de ce film-culte que le critique polonais Janusz Gazda appellera la nouvelle vague ukrainienne des années soixante « École poétique de Kiev », école qui aujourd’hui encore a ses émules.
Lubomir Hosejko
Le bulletin de Mai 2011 de Perspectives Ukrainiennes est disponible sur la page Archive des bulletins de Perspectives Ukrainiennes.
Au sommaire:
- Agenda culturel
- Trois questions à Charles Tordjman, directeur du festival Passages
- Représentations exceptionnelles à Metz de Vlad Troïtskyi et de la troupe du théatre Dakh
- Igor Gaïdaï se révèle au public lorrain avec un projet intitulé Ensemble
- Autour de la mer Noire, géopolitique de l’espace pontique
- Cinq questions à Alexandre Panarin, chargé de communication de l’association Echanges Rhône-Alpes Ukraine
- Journal de la Vie absente, un journal portait signé Denise Kawun
- Ivan Kawun, peintre français d’origine ukrainienne
Comment l'idée d'écrire un roman ayant pour toile de fond la catastrophe de Tchernobyl vous est-elle venue ? Nous savions que 2011 serait le 25e anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, et nous avons pensé que c’était un moment propice pour sensibiliser les enfants et les adolescents à ce drame et à ses conséquences. Nous nous rappelons ce moment terrible, nous étions nous mêmes de jeunes adultes, et on nous rassurait en nous disant que le nuage radioactif s’était arrêté aux frontières de la France… Comme si la radioactivité se souciait de frontières ! Ce mensonge reste encore matière à triste plaisanterie 25 ans plus tard pour tous ceux qui l’ont entendu… Quant aux enfants actuels, nombreux sont ceux qui, en France, n’ont jamais entendu le nom de Tchernobyl.
Comme si tout cela n’était plus que du passé sans intérêt. Or nous savons bien que les conséquences sont encore là, et bien là.
Comment avez-vous procédé pour vous documenter ? Nous avons consulté les archives de la presse écrite française, une vidéo tournée en URSS au moment de la catastrophe et dont la diffusion avait été interdite à l’époque ; nous avons lu La supplication, le célèbre recueil de témoignages de Mme Alexievitch, et les photos et textes de Igor Kostine… Ça a été un travail d’investigation long et passionnant. Nous en avons appris beaucoup sur les détails de l’affaire.
A quelles difficultés avez-vous été confrontées ? Il fallait que tout, dans le roman, soit vraisemblable. C’est pourquoi l’intrigue se passe dans la France actuelle. Nous ne voulions pas nous lancer dans un roman qui se passerait dans une Ukraine actuelle (nous ne la connaissons pas suffisamment pour être à l'aise en l’évoquant de trop près). Certaines difficultés peuvent paraître inattendues : nous avons fait appel à une professeur de russe pour que les fautes de français d’un des personnages principaux soient réalistes. Pour valider les détails techniques ayant trait au nucléaire, nous avons aussi demandé la caution d'un ingénieur spécialisé dans le nucléaire. Enfin, nous voulions mettre en scène une intrigue vivante qui ne donne pas dans le pathos ni dans le moralisme facile. Passer entre les écueils…
Quel message souhaitiez-vous faire passer ? Bien sûr, Tchernobyl c’est du passé. Mais c’est aussi le présent des populations qui vivent autour du site. Plus largement, c’est une sourde menace dont on ne parle que quand les choses se gâtent, comme lors des grands incendies de l’été dernier, qui pouvaient remettre en circulation dans l’atmosphère des particules radioactives enfouies dans le sol. Et l’état du sarcophage qui recouvre le réacteur endommagé, qu’en savons-nous exactement ? Tchernobyl peut donc aussi devenir notre futur, malheureusement. D'autant qu'une nouvelle catastrophe vient de se produire au Japon... Être un citoyen à part entière, c'est d'abord savoir ce qui se passe. Sinon, comment peser les choses, comment réagir ?
Cette année l'Ukraine commémorera le 25e anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl mais aussi les 20 ans de la proclamation de son indépendance, que cela vous inspire-t-il ? Le 25e anniversaire est l’occasion de sensibiliser les enfants aux avantages et aux inconvénients des centrales nucléaires, le plus objectivement possible. C’est aussi pourquoi notre roman comprend un dossier documentaire à la fin. Il est un moment de recueillement, de souvenir, mais aussi de réflexion nécessaire. Quant à l’indépendance de l’Ukraine, de ce point de vue, on ne peut qu’espérer que ce pays tout neuf aura les moyens de prendre soin de toute sa population, de la terre contaminée dont elle a hérité, et de ce monument en ruines qui menace de se réveiller si on n’est pas suffisamment vigilants.
Pascale Perrier et Sylvie Baussier, ont chacune un site personnel.
Nous vous invitons à aller les découvrir :