Rémy Garrel est l'âme du projet Dynamo Kiev Francophone, qui anime des réseaux sociaux pour des fans francophones du Dynamo Kiev (Twitter: FCDKfrance). Spécialiste du foot ukrainien, il a répondu à quelques questions que Perspectives Ukrainiennes lui ont posées entre les deux matchs France-Ukraine du barrage qualificatif pour la Coupe du monde 2014.
- Que pensez-vous du match du 15/11 ?
L'Ukraine a fait ce qu'elle savait faire, le plan de Fomenko a marché à la perfection. Les ukrainiens ne se sont pas livrés durant les 45 premières minutes afin de jauger l'équipe de France et de ne pas encaisser de but très tôt. Ne pas se livrer ne veut pas dire ne rien faire et attendre, les « jaune et bleu » ont imposé d'entrée un jeu physique. Un jeu auquel les français ne s’attendaient pas.
En seconde période, l'Ukraine est rentrée sur le terrain pour gagner le match. Yarmolenko et Konoplyanka ont accéléré et posaient beaucoup de problèmes à la défense française. Roman Zozulya va finalement ouvrir le score sur une action collective très bien construite. Ce but symbolise à lui seul le match entier. La maitrise technique et collective des ukrainiens, et pour finir, Zozulya qui bat totalement Samir Nasri dans l'engagement physique pour marquer ce but. Pendant ce temps-là, la prise à deux sur Franck Ribery fonctionne toujours.
Rien à redire sur le second but, la faute de Koscielny est aussi inutile qu'indiscutable. Yarmolenko s'occupera de la punition. La suite on la connait, Koscielny va craquer (comme un week end sur deux lorsqu'il joue avec Arsenal). Le travail de sape d'Edmar va payer et le piège va se refermer. A 10 contre 11 les bleus vont passer tout prés de la correction sur une contre-attaque mal négociée par les ukrainiens en fin de match.
Kucher sera finalement exclu pour équilibrer les comptes. La victoire est totale pour l'Ukraine, sur le plan tactique mais surtout sur l'engagement. Les choix de Didier Deschamps sont je pense discutables, mais ça c'est encore une autre histoire.
- Peu de Français soutenaient l'équipe nationale, qu'en était-il pour le soutien en Ukraine de l'équipe ukrainienne ?
Contrairement à la France, l'équipe d'Ukraine est en pleine ascension depuis près d'un an et n'a rien à se faire pardonner. Le public ukrainien répond présent à chaque match et l'engouement est très grand autour de cette équipe. Les retours que j'ai eu de Kiev sont très encourageants, bien qu'avant la rencontre beaucoup pensaient la France supérieure à l'Ukraine. D'autant que les « jaune et bleu » n'avaient jamais battu la France. Je pense que les fans ukrainiens ont un sentiment de revanche pour l'Euro-2012 où la France avait battu l'Ukraine et où l'arbitrage (Ukraine-Angleterre) avait privé cette équipe de la qualification, au profit des français bien sûr.
- Parlez-nous de l'équipe ukrainienne, en quoi est-elle différente de celle de l'époque de Chevtchenko?
La génération actuelle est bien meilleure. Aujourd'hui des clubs comme Dnipropetrovsk ou le Metalist Kharkiv apparaissent régulièrement en Coupe d'Europe, ce qui permet à ces joueurs d'acquérir une certaine expérience du très haut niveau. Seul Tymochuk n'évolue pas dans le championnat ukrainien, ce qui prouve la qualité grandissante de ces équipes ukrainiennes.
Shevchenko a longtemps été trop seul dans cette équipe, aujourd'hui des joueurs comme Yarmolenko ou Konoplyanka ont parfaitement pris conscience de leur mission. Mykhaylo Fomenko a révolutionné le jeu de l'équipe nationale, les joueurs prennent du plaisir à jouer ensemble et ça se retrouve dans les résultats.
Pour moi, les clés de la réussite de cette équipe sont la tactique mise en place par le coach Fomenko et le travail réalisé par les clubs qui préparent parfaitement ces joueurs aux rencontres de haut-niveau, même les plus jeunes.
- Quel a été le rôle de l'entraineur des Ukrainiens?
Le coach ukrainien ne cesse d'insister sur l'aspect physique du jeu, une composante qui a payé vendredi soir face à la France. Là où certains entraineurs tentent de créer une identité de jeu propre à leur sélection, Fomenko a su mettre ses joueurs dans les mêmes conditions de jeu qu'ils peuvent avoir dans leur club. Andriy Yarmolenko fait avec l'Ukraine ce qu'il fait chaque semaine avec le Dynamo Kiev, et c'est pareil pour les autres.
La principale menace vient des ailes avec une recette très simple mais qui fonctionne. Un gaucher à droite et un droitier à gauche. Konoplyanka et Yarmolenko dribblent, repiquent à l'intérieur et frappent. Simple et efficace.
- Les supporteurs d'Ukraine sont-ils organisés? Récemment ils ont été condamnés par la FIFA - expliquez-nous ce qui s'est passé?
Les supporters ukrainiens sont très bien organisés dans leurs stades, voire dans certaines villes organisés à la manière des sections ultra dans les clubs. Chose que nous ne savons pas faire en France.
Depuis quelques mois la FIFA est en guerre contre les supporters ukrainiens. L'affaire a commencé à la suite du match Ukraine-Saint-Marin à Lviv. Des émissaires sur place de la société anglaise FARE (Football Against Racism in Europe) ont envoyé un rapport à la FIFA pour dénoncer une incitation au racisme. Certains supporters de l'Arena Lviv portaient ce jour-là des maillots de leur club floqués du numéro 88. Numéro qui peut faire référence à la 8ème lettre de l'alphabet, le H. HH pour Heil Hitler. Si je ne me trompe pas, le stade de Lviv est désormais suspendu de tout match international pour les 5 prochaines années.
La FIFA va ensuite s'en prendre à un symbole ukrainien qui est cher aux habitants de Lviv, le drapeau rouge et noir de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne. Un homme est au cœur de ce mouvement patriotique, Stepan Bandera. Véritable héros dans certaines régions d'Ukraine, Bandera restera un homme controversé, accusé d'avoir un temps collaboré avec l'Allemagne nazie. C'est la raison pour laquelle la FIFA se bat pour faire interdire dans les stades ces drapeaux-là (mais pour l’heure la Fédération ukrainienne le refuse).
Propos recueillis par Olga Gerasymenko