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12 janvier 2013 6 12 /01 /janvier /2013 23:22

emmanuel-lepage.jpgQuand et comment êtes-vous tombé dans la marmite de la BD ?


Je n’ai jamais imaginé faire autre chose! Je crois que ce désir de faire de la bande dessinée m’a toujours habité. Très tôt j’ai commencé à faire des planches de bandes dessinées et ça s’est accéléré après ma rencontre à 13 ans avec un des maîtres de la bande dessinée d’alors: le dessinateur de Spirou. Ce n’était pas le dessin qui m’intéressait avant tout mais de raconter des histoires PAR le dessin. J’ai publié dès mes 16 ans dans de petites revues locales et publie mon premier bouquin avant vingt ans. La bande dessinée c’est ma vie!

 

Pourquoi avez-vous fait le choix d'un récit de voyage et non d'une fiction pour aborder le drame de Tchernobyl ?


Je suis allé à Tchernobyl en 2008 a la demande d'une association pour témoigner sous forme d’un carnet de voyage de la catastrophe 22 ans après. Un carnet de voyage est sorti fin 2008 et les droits ont été reversés aux bénéfices de l’association " les enfants de Tchernobyl". J’ai eu envie de prolonger cette expérience sous forme d'une bande dessinée tant ce voyage m’avait bouleverse. J’étais d’abord parti sur une fiction. Plus précisément j’imaginais un accident nucléaire en France et je décrivais la vie 22 ans après. En fait je déplaçais le drame de Tchernobyl en France. Je voulais faire prendre conscience des conséquences d’un accident nucléaire dans un pays ou ce choix du tout nucléaire est présenté comme sûr. Je voulais penser l’impensable. Puis est arrivé Fukushima et soudain ma fiction était rattrapée par la réalité. C’est imposé à moi alors le récit en bande dessinée de mon voyage en Ukraine voici bientôt cinq ans.

 

Quelles sont les forces et les faiblesses de la bande dessinée pour traiter de sujets tragiques ?


Tout est possible en bande dessinée. On peut tout raconter. Contrairement à un documentaire je peux imaginer les images qui me manquent, plonger dans l’histoire, dans ma propre histoire et combler par l’imaginaire les chaînons manquants.

Couv-Printemps-Tchernobyl-web.jpg

Quel regard portez-vous sur le film de Michale Boganim "La terre outragée" ?


J’ai bien aimé et je trouve intéressant que la fiction se porte sur le drame de Tchernobyl. Une fiction permet d'incarner les personnages, les rendre plus proches de nous, entrer en empathie. Bien sûr certaines choses, après être allé sur place sont interprétées, mais quand on raconte une histoire il faut parfois "tricher" pour dire le réel mais je crois ce film juste.

 

Plus d'un quart de siècle après le drame de Tchernobyl, prélude à l'implosion de l'URSS, quelle lecture avez-vous de la citation de Voltaire : "L'Ukraine a toujours aspiré à être libre" ?


Je crois qu’il y a encore du chemin à faire pour accéder à cette liberté à laquelle votre pays aspire face à ce géant fascinant et dévorant qu’est la Russie. Mais depuis la révolution orange, vous avez mené un combat salutaire, même si ce n’est pas simple et que vous n’êtes pas à l'abri de retours en arrière. Comme dit Guevara: "Les révolutions sont des combats toujours perdants, mais toujours renaissants". Les dictateurs n’éteignent jamais l’espérance.

 

Propos recueillis par Frédéric du Hauvel

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10 décembre 2012 1 10 /12 /décembre /2012 00:02

Marioupol-copie-1.jpgPourquoi le choix d’une telle ville et qu’est-ce qui vous a amenés à introduire dans cette histoire pleine d’usines gigantesques des histoires de vie ?

 

Nous voulions faire un film sur l’industrie car nous sommes tous les deux fascinés par les objets et les paysages industriels. Pourquoi Marioupol ? Marioupol est une ville à l’est de l’Ukraine, dans la région très industrialisée de Donbass. En plus, Marioupol se trouve en bord de mer, et toute cette production passe par le port de Marioupol. Le fil conducteur du film c’est l’usine, mais une fois sur place, nous avons laissé l’histoire se construire librement à travers les gens que nous avons eu l’occasion de rencontrer. Nous voulions percevoir pour ensuite transmettre ce que dégage la ville. La guerre y tient une grande place. Les monuments commémoratifs sont omniprésents. On en entend encore beaucoup parler et pas seulement de la part des personnes âgées. Donc, c’est au fil des rencontres que nous avons construit le film.

 

Quelles étaient les conditions de tournage ?


On ne nous a pas laissés rentrer facilement dans les usines. Nous avons été surveillés tout au long de notre séjour de deux mois. Les services spéciaux voulaient peut être s’assurer que nous n’étions pas de Greenpeace. Nous étions sous surveillance classique, derrière le dos. D’ailleurs, nous ne l’avions même pas remarqué, jusqu’à ce qu’on nous apprenne que notre appartement avait été visité en notre absence. Ils ont fouillé notre ordinateur. Cela ne nous a pas vraiment effrayés, mais c’était plutôt désagréable. Cela dit, nous avions quelques craintes vis-à-vis des gens avec qui nous étions en contact. Mais tout s’est bien passé, car nous sommes restés dans le cadre des « gentils filmeurs », nous n’avons rien fait de mal, nous n’avons pas essayé de pénétrer dans des endroits interdits. Deux policiers nous ont raccompagnés à l’aéroport. Comme s’ils voulaient s’assurer qu’on soit bien partis et qu’on ne reviendrait plus jamais.

 

Comment êtes-vous passés de Pripiat à Marioupol ?


Il n’y a pas vraiment de continuité. Entre le film sur Tchernobyl et celui sur Marioupol, nous avons réalisé le film Rouge Nowa Huta en Pologne. Cela nous intéresse de travailler dans des endroits improbables, pas forcément attirants au premier regard. Le but est de donner aux habitants de ces régions la chance de s’exprimer.

 

Avez-vous d’autres projets de films avec une thématique sidérurgique ?

 

Oui, nous avons des idées. Pour notre prochain film, nous voudrions partir à Norilsk, ville industrielle et passionnante au nord de la Russie. Mais nous n’avons pas encore de budget. Pour l’instant, ce projet est mis de côté. En plus, en ce moment, il n’est pas simple de tourner en Russie. En attendant, nous réalisons des films de plus courte durée.

Le thème de l’écologie marque la fin du film. Est-ce que les habitants de Marioupol ont conscience de cet aspect ?

Nous n’avions pas pour but de faire un film sur la pollution. C’est vrai que la fumée envahit la ville, et même si parfois on ne la voit pas, on la sent. C’est le quotidien des habitants de Marioupol. Les gens en parlent mais avec un sentiment de gêne. Les deux usines emploient 75 000 personnes. Tous disent que c’est leur pain. Un arrêt serait dramatique. Quant aux investissements dans des filtres et autres moyens de limiter la pollution, à l’heure actuelle ce n’est pas la priorité du propriétaire. C’est pour cela qu’on en parle tout à la fin, avec la même gêne, en quelque sorte.

 

Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marqués ?

 

Tous les Marioupoliens que nous avons rencontrés et qui n'apparaissent pas forcément dans le film ont été importants à nos yeux. C'était une expérience très belle car nous avons toujours été très bien reçus. Le contact était simple et chaleureux, les gens étaient curieux de notre démarche et toujours prêts à nous parler ou à nous aider. Et nous voulons surtout rendre hommage à Tatiana Tereshenko, qui a été d'un soutien essentiel durant notre séjour et qui est à présent une amie très chère. Les témoignages d'Elvira et de Valentyna sur la guerre étaient très émouvants bien sûr, de même que la rencontre avec les enfants de Piligrim. Le jour de la fête de Marioupol était aussi un moment exceptionnel. C'était très beau de voir presque toute la ville réunie, toutes ces personnes, ces visages, qui avaient préparé depuis des mois ce défilé. Et puis nous sommes très reconnaissants au Port commercial de Marioupol car nous avons rarement pu filmer un lieu de travail et d'activités avec un tel accueil. Nous pourrions continuer à faire la liste car toutes les rencontres étaient belles. En réalité cette question est très difficile car elle suppose de faire un choix et nous en sommes incapables, car toutes les personnes rencontrées étaient importantes.

 

Propos recueillis par Valentyna Coldefy

 

Blandine Huk est co-auteur du film « Métal Marioupol », présenté en novembre dernier à la maison des Cultures du Monde. Ce film rigoureux, qui comporte une certaine dimension fantastique, se tisse à différents niveaux. On approche la ville à travers ses hommes et ses usines, en rentrant dans leur mémoire. Un jeu s’opère entre présent et passé, présence et absence. Blandine Huk a déjà tourné en Ukraine avec Frédéric Cousseau « Pripiat », un film ayant pour thème le drame de Tchernobyl. 

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30 octobre 2012 2 30 /10 /octobre /2012 23:04

soiree_acuf-apgef.jpg

L’Association des cadres ukrainiens en France et l'APGEF (Association des Polonais des Grandes Ecoles Françaises) organisent une soirée commune.


L’objectif de cette rencontre est le développement, dans un esprit d’ouverture, de liens d’amitié et de solidarité entre les membres de l’ACUF et de l’APGEF dans le cadre de la clôture d’une année où l’Ukraine et la Pologne ont accueilli le championnat d’Europe de football 2012.

 

La soirée s'articulera autour d'un cocktail et d'animations scéniques, conviviales et ludiques, dont nous vous réservons la surprise. 

 

quand : le mercredi 28 novembre 2012 à 19h30

où : au Centre Culturel Ukrainien du 22, avenue de Messine 75008 Paris

 

 

 

ATTENTION: Le nombre de places étant limité, seuls les participants pré-inscrits seront admis à la soirée.


Afin de confirmer votre inscription écrivez avant le 14 novembre par e-mail à cadresukraniens at yahoo.fr et envoyez votre participation de 10 euros par chèque à l'ordre de l'ACUF (adresse vous sera confirmée par e-mail). Le réglement de votre participation doit nous parvenir pour le 16 novembre au plus tard.  

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1 octobre 2012 1 01 /10 /octobre /2012 00:00

Olexiy-Avramenko.jpgQuelle a été la genèse du projet ?

 Le début du projet remonte à l’année 2007, lorsque l’idée de la création d’un livre électronique est apparue pour la première fois. Notre activité principale, ainsi que celle de nos partenaires, était l’édition. Nous avons décidé ensemble d’aborder les choses différemment et de créer notre propre appareil qui permette de lire des livres en format électronique. Bien évidemment, ce marché était déjà saturé, nous avons donc choisi de nous distinguer de la concurrence par le contenu et la qualité de nos applications. Nous avons constitué un groupe d’informaticiens-programmeurs qui ont créé le Pocketbook. Cet appareil est un produit entièrement ukrainien : son design, ses applications, et jusqu’au choix des composants. Il est toutefois produit en Chine, comme les appareils de nos concurrents. En quelques années, nous sommes devenus leaders sur le marché des pays de l’ex-Union Soviétique et nous vendons le Pocketbook dans 24 pays du monde, la France incluse. Mais l’appareil lui-même n’a pas de valeur sans contenu. En décembre 2008, nous avons créé notre premier site de vente de livres électroniques, Bookland. Deux ans plus tard, nous avons pris la décision de le moderniser et avons ouvert le site-plateforme Obreey en octobre 2011.

 

Comment établissez-vous votre catalogue ?

Nous travaillons en collaboration avec des maisons d’édition ou directement avec des auteurs. Pour le moment, nous privilégions les maisons d’édition car ellesdisposent déjà de listes d’auteurs, des licences nécessaires etc. Toutefois, quelques auteurs connus et reconnus en Ukraine, comme Irène Rozdoboudko ou Andriy Kokotukha publient leurs oeuvres directement chez nous. En ce moment, nous travaillons sur la nouvelle plateforme Obreey Authors à destination des nouveaux auteurs qui se lancent. Aujourd’hui sur notre site on trouve environ 600 000 titres en 17 langues, c’est la plus grande boutique de livres électroniques en ligne dans les pays de l’ex-Union Soviétique. 200 000 titres sont en anglais, 300 000 en d’autres langues européennes, 40 000 en russe et seulement 3 000 en ukrainien… Mais ce nombre est en constante augmentation. Nous avons attiré des auteurs ukrainiens à succès : Sergiy Zhadan, Irène Rozdoboudko, Lada Louzina…

 

Quelle est la spécificité du marché ukrainien du livre électronique ?

Nos maisons d’édition ont du mal à gagner de l’argent et sont, par conséquent, très frileuses. En Ukraine, le livre en ukrainien est très peu soutenu par l’Etat, ce qui permet à certains acteurs du marché d’importer des livres en russe dans des conditions favorables. Il existe pour l’instant une seule chaîne de librairies qui vend des livres uniquement en langue ukrainienne : les librairies «Є» (« Ye »). En réalité, le livre électronique peut s’avérer très rentable pour les maisons d’éditions, car il exclut les frais d’impression et de logistique, qui pèsent lourd sur le prix d’un livre en papier. Mais l’obstacle principal au développement de ce nouveau marché est bien évidemment le piratage. Il est extrêmement difficile pour une boutique en ligne légale de proposer une liste de titres aussi exhaustive que celle des sites-pirates, car nous devons payer des licences tandis que les « pirates » ne payent rien. Nous travaillons sans relâche sur la protection de nos fichiers, car le format Adobe est facilement piraté. Les sites-pirates gagnent de l’argent grâce à la publicité et ils scannent des textes pour les mettre en ligne gratuitement. Un autre défi de taille est de fidéliser le lecteur. Un lecteur moyen dans les pays occidentaux a compris, dans sa majorité, qu’il faut payer pour un contenu électronique. En Ukraine, 3% des lecteurs achètent le contenu et 97% recherchent la gratuité. Je vais vous donner quelques exemples très parlants. Nous avons obtenu les droits exclusifs pour le dernier livre de Yuri Andrukhovych («Лексикон інтимних місць»). Le livre en papier coûtait 112 UAH (11,20 €).Nous avons proposé le texte en format électronique pour la moitié de ce prix. Mais un site-pirate a mis en ligne le texte gratuitement et nos ventes se sont écroulées. Nous avons alors renégocié le prix avec la maison d’édition. La nouvelle proposition a été imbattable : 1,11 €, soit dix fois moins cher que le prix initial. Ce livre est resté notre meilleure vente ! Un autre exemple. Nous avons lancé un projet social spécial : « Un livre en 24 heures ». 24 écrivains ont écrit chacun une nouvelle. Des illustrateurs les ont illustrées, des rédacteurs les ont corrigées, des informaticiens les ont mises en ligne, tout cela en 24 heures. Les textes étaient gratuits, mais nous avons encouragé nos lecteurs à faire un don pour des oeuvres caritatives. Les médias ukrainiens ont couvert cette action, le livre a été beaucoup téléchargé, mais les dons ont été rares…

 

Propos recueillis par Olena Yashchuk

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31 août 2012 5 31 /08 /août /2012 23:52

Philippe-de-Suremain.jpgQuand et comment avez-vous décidé d'embrasser une carrière diplomatique ?

Très tôt, cette ''autre Europe" jadis si proche et devenue si lointaine m'a intrigué : mon grand-père, diplomate lui aussi m'en avait décrit la terrifiante et énigmatique réalité au-delà du rideau de fer. L'attrait pour la littérature puis la langue russe m'ont conduit à Langues'O où j'ai appris ensuite le roumain, que j'ai approfondi à l'Université de Bucarest en 1964 - très rude mais instructive expérience que j'ai voulu poursuivre plus avant. Le Quai d'Orsay était un choix d'évidence pour le nomade que j'étais et c'est quelque 25 ans, sans compter le Moyen-Orient, que j'aurai consacré à cette région pour aboutir à ma demande en Ukraine, où j'ai pris racine.

 

Depuis quand présidez-vous l'Association Française des Etudes Ukrainiennes ?

C'est à mon retour de Kiev en 2005 que je me suis vu proposer la présidence de l’A.F.E.U ; je n'ai pas résisté. L'attachement que j'éprouvais pour l'Ukraine et mon souhait de faire partager mon intérêt pour un pays si riche à tous égards et pourtant si méconnu m'ont incité à relever le défi. Qu'un diplomate succède à des universitaires aussi remarquables que Daniel Beauvois, fondateur de l'A.F.E.U. et Michel Cadiot pour poursuivre leur action avait un sens ; Hors de toute obédience politique ou autre, cette association vise à permettre à tous ceux qui portent attention à l'Ukraine, et en particulier à ceux qui l'étudient sous ses aspects les plus variés, de se rencontrer, de s'exprimer en toute liberté et de faire connaître les enjeux qu'elle représente. Expérience utile, certainement, stimulante assurément malgré les moyens modestes dont elle dispose : elle répond à une véritable nécessité.

 

Si l’Ukraine a remporté le double défi organisationnel et médiatique de l’Euro 2012 en raison, notamment, d'immenses investissements, comment, selon vous, le pays va-t-il gérer le retour à la réalité ?

De l'Euro 2012, les dirigeants ukrainiens n'ont sans doute pas tiré le bénéfice politique escompté, faute d'avoir réussi à détourner l'attention des média et opinions à l'étranger des procès en cours contre l'opposition. Il n'empêche que cette manifestation, par son organisation et son impeccable déroulement, a été une incontestable réussite. Les Ukrainiens se sont retrouvés dans une atmosphère de ferveur et de cohésion troublée par aucun incident et les supporters étrangers ont été séduits par cette ambiance festive et la chaleur de l'accueil qui leur a été partout réservé. Le Krechtchiatik en fête ne sera pas oublié de sitôt. Reste à espérer que ce n'est pas là une parenthèse refermée : les Ukrainiens se sont à nouveau montrés prêts à faire cause commune.

 

Au regard de l'acharnement dont est victime Ioulia Timochenko ainsi que des dégradations avérées des droits de l'homme et des libertés fondamentales, considérez-vous l'intégration européenne de l'Ukraine comme un horizon de plus en plus lointain ?

Nul ne conteste l'appartenance de l'Ukraine à l'Europe. Mais ce feuilleton politicojudiciaire entrave dans l'immédiat l'évolution en cours dans les faits et surtout les esprits, qui devrait permettre à un pays d'un tel potentiel sur le plan humain, riche en ressources naturelles et carrefour stratégique au coeur de l'Europe, d'en devenir la clé de voûte. Le défi est considérable : tout à la fois édifier un Etat de droit sur les ruines de l'administration soviétique, restructurer une économie désorganisée, consolider une identité à partir d'une diversité culturelle et régionale qui en constitue justement la richesse. Il y faut du temps alors qu'il y a urgence et nulle part la transition post-soviétique n'est aisée. A l'heure où des choix décisifs sont à prendre, il y faut l'adhésion de la population. Et donc gagner sa confiance par l'instauration d'une démocratie qui permette le développement à long terme avec le souci de l'intérêt général à l'abri de la corruption.

 

Voltaire a mis en exergue l'aspiration de l'Ukraine à la souveraineté tandis que Victor Hugo et Théodore Géricault ont célébré la gloire de Mazeppa, héros de l'indépendance. Comment expliquez-vous la fascination de ces grands hommes pour la cause ukrainienne ?

Voltaire, Victor Hugo, Géricault, et d'autres seraient à citer, ont été des visionnaires qui ont su discerner au-delà des contingences du moment les évolutions qui en profondeur affectaient l'évolution de notre continent et remettaient en cause "le concert européen" et l'équilibre précaire des puissances. L'émergence de forces nouvelles et du fait national qui a touché l'Ukraine ne leur a pas échappé et ils ont pressenti les enjeux que comportait ce phénomène inédit. Ils ont dévoilé le dessous des cartes.

 

Pierre Beregovoy est le plus illustre des Français d'origine ukrainienne, que vous inspirent son parcours et son engagement politique ?

Pierre Beregovoy aura été une figure exemplaire et populaire au meilleur sens du terme. L'exceptionnel parcours de ce fils d'émigré marqué par ses origines ukrainiennes ne lui a rien fait perdre de sa grande modestie ni renoncer à ses convictions et ses engagements. Nul cynisme dans sa démarche, soucieux qu'il était de l'intérêt général. Un homme d'Etat doué de discernement et d'une grande humanité dont la disparition avait suscité même à l'étranger une vive émotion.

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31 août 2012 5 31 /08 /août /2012 23:39

herve-maurey.jpgQuand et comment avez-vous décidé d'embrasser une carrière politique ?

Très tôt, j’ai eu à cœur de participer à « la vie de la cité ». Je suis ainsi devenu à 21 ans conseiller municipal de mon village en Normandie. Après avoir cessé toute activité politique pendant une quinzaine d’années en raison de mon implication dans l’entreprise que j'avais créée, j’ai ressenti à nouveau le besoin de m’engager au niveau local puis national.

 

Depuis quand présidez-vous le groupe France-Ukraine au Sénat ?

Je préside le groupe France-Ukraine du Sénat depuis le dernier renouvellement sénatorial, soit depuis le 25 septembre 2011. A l’issue de ces élections, les responsabilités au sein du Sénat ont été réparties entre les sénatrices et sénateurs. C’est ainsi que j’ai succédé à la présidence de ce groupe d’amitié à mon collègue Raymond Couderc.

 

Pourriez-vous nous présenter le groupe France-Ukraine, ses objectifs ainsi que les principaux axes autour desquels se structure son activité ?

Les groupes interparlementaires d’amitié ont pour rôle de créer et développer une relation de confiance avec nos collègues parlementaires des pays concernés, et de nous faire mutuellement bénéficier de nos expériences par des rencontres, des échanges, et par la mise en place de coopérations. Ils permettent de mieux connaître la situation des pays avec lesquels des relations parlementaires ont été instaurées, et favorisent le rayonnement de notre pays, notamment en matière économique, commerciale et culturelle. Le groupe d’amitié France-Ukraine du Sénat a donc pour but de rapprocher les parlementaires ukrainiens et français, mais également de permettre aux sénateurs d’être actifs dans le domaine de la diplomatie parlementaire. Il se tient alerté des évolutions économiques et politiques en Ukraine et souhaite que la France accroisse ses relations avec ce pays.

 

Si l’Ukraine a remporté le double défi organisationnel et médiatique de l’Euro 2012 en raison, notamment, d'immenses investissements, comment, selon vous, le pays va-t-il gérer le retour à la réalité ?

Si les retards pris initialement dans les travaux d’infrastructures ont pu faire naître des craintes quant au bon déroulement de cette compétition, il apparaît a posteriori que l’Ukraine a bel et bien remporté le défi organisationnel qui se posait à elle. D’un point de vue médiatique, cet évènement a permis de parler de l’Ukraine au-delà de la seule compétition sportive. Quant au retour à la réalité, il est dans les mains de l’Ukraine. A elle de transformer ce coup de projecteur en une véritable dynamique économique, touristique, en profitant notamment des lourds investissements infrastructurels engagés.

 

Que vous inspire l'acharnement judiciaire dont est l’objet Ioulia Timochenko ?

 La question de la détention de Madame Timochenko soucie fortement les membres du groupe d’amitié. Ils ont d’ailleurs reçu à leurs demandes l’ambassadeur d’Ukraine en France pour le lui dire. Au-delà, ce jugement doit interpeller l’Europe. Le procès de Mme Timochenko, qui est aujourd’hui le plus médiatisé, ne doit pas masquer un problème plus large. Le pouvoir ukrainien actuel semble décidé à lutter contre son opposition hors du champ démocratique, notamment en privant ses principaux leaders de concourir aux prochaines élections.

 

Dans ce contexte, considérez-vous l'intégration européenne de l'Ukraine comme un horizon de plus en plus lointain?

 L’Ukraine semble faire face à un vrai tiraillement. Partagée entre un souhait de rapprochement avec l’Europe et sa proximité de fait avec la Russie, l’Ukraine ne pourra rêver d’Europe qu’après avoir tourné le dos aux pratiques actuelles de son gouvernement qui ne permet pas à l’opposition de participer librement au jeu démocratique. Si des coopérations renforcées avec l’Union Européenne sont souhaitables, un processus d’adhésion à l’Union implique un nombre de pré-requis importants auxquels l’Ukraine ne semble pour le moment pas disposée à se conformer.

 

Voltaire a mis en exergue l'aspiration de l'Ukraine à la souveraineté tandis que Victor Hugo et Théodore Géricault ont célébré la gloire de Mazeppa, héros de l'indépendance. Comment expliquez-vous la fascination de ces grands hommes pour la cause ukrainienne ?

 L’Ukraine fascine les grands hommes car son histoire en a fait l’enjeu d’Etats et d’Empires rivaux pendant des siècles. Malgré cette lutte d’influence dont elle a tour à tour été l’objet ou le prétexte, elle a su tracer sa voie, faisant de la langue ukrainienne un outil de revendication. La renaissance de la culture ukrainienne au XIXème siècle, et les censures dont elle a fait l’objet, en est un exemple particulièrement intéressant.

 

Pierre Beregovoy est le plus illustre des Français d'origine ukrainienne, que vous inspirent son parcours et son engagement politique ?

 Son parcours est exemplaire à plus d’un titre. C’est un engagement sans faille au service de la France à qui il a consacré sa vie, des heures difficiles de la résistance jusqu’à Matignon. Qu’un fils d’immigré, fraiseur à 16 ans, gravisse un à un les échelons pour atteindre les plus hautes responsabilités de l’Etat honore notre République et montre qu’elle sait encourager les talents, d'où qu'ils viennent, et favoriser leur épanouissement et leur réussite. C’est ce que je retiens de ce parcours qui, je crois, constitue encore aujourd’hui un exemple.

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29 juillet 2012 7 29 /07 /juillet /2012 23:11

Iryna ZvarytchPouvez-vous nous retracer en deux mots l’histoire du football féminin en Ukraine ? 

L’histoire officielle du football féminin ukrainien commence à partir de la création de la Fédération de football ukrainienne (FFU) en 1991. Depuis cette année-là, le championnat et la Coupe des équipes féminines sont devenus des compétitions annuelles. Huit équipes participent au championnat national. Les vainqueurs représentent l’Ukraine au championnat des clubs européens – la Ligue des Championnes.


Existe-t-il des joueuses professionnelles en Ukraine ?

 Les 8 équipes du Championnat national sont des équipes professionnelles. Les footballeuses ont le statut de joueuses professionnelles et se trouvent donc dans la base de la FFU. Par ailleurs, le football amateur bénéficie également du soutien des officiels. Ainsi, en Ukraine, il existe un certain nombre de compétitions réservées aux équipes amatrices féminines comme aux enfants (parmi les compétitions les plus réputées on peut évoquer « Offrons la joie aux enfants », « Es-tu le futur champion olympique », « Les jeux sportifs paysans », « Les enfants – un espoir olympique »).

 

Comment les fillettes sont-elles sélectionnées pour une carrière professionnelle ?

 En Ukraine, il existe un calendrier des compétitions pour les fillettes de différentes tranches d’âge. Les sélectionneurs des clubs professionnels fréquentent régulièrement ces compétitions et opèrent leur sélection.


Quel regard portent les proches des filles sur leurs choix de devenir footballeuse ?

 La grande majorité des Ukrainiens est convaincue que le football est un sport masculin ; c’est une des raisons qui font que l’entourage et les familles des filles ne comprennent pas qu’il puisse s’agir de leur futur métier et de leur destin. Cela provoque souvent des disputes entre les parents et les adolescentes. Mais plus tard, si la fille persévère et obtient ses premiers succès, les perspectives devenant plus concrètes, les familles acceptent le choix de leurs enfants, commencent à fréquenter activement les matchs et deviennent les supporteurs les plus ardents.


Le football féminin a-t-il autant de succès auprès des spectateurs que le football masculin ?

Aujourd’hui, en Ukraine on observe une augmentation de l’intérêt pour le football féminin. Cela se vérifie surtout dans les régions occidentales et les villes où le football masculin est bien développé. C’est à Tchernihiv que le football féminin est le plus développé. Son équipe locale « Léguenda » est une des favorites du championnat ukrainien et l’équipe nationale est toujours chaudement soutenue par les fans de Tchernihiv. Actuellement, on observe une extension géographique des matchs de l’équipe nationale – nos derniers matchs se sont déroulés à Sébastopol en Crimée, où nous avons commencé à gagner des supporteurs.


Comment la société accueille-t-elle le phénomène du football féminin ? La presse en parle-t-elle aussi volontairement que du sport masculin ?

 Le dernier championnat du Monde de football en Allemagne a suscité en Europe un grand intérêt pour ce sport. L’Ukraine n’a malheureusement pas participé à cet événement sportif, mais cela n’a pas empêché la presse ukrainienne de soutenir cet intérêt envers le football féminin. Les unes des périodiques le plus populaires ont commencé à parler du championnat national : les classements y sont désormais publiés, on y parle des meilleures joueuses du championnat, etc. D’ailleurs, en 2011, dans le cadre de la campagne médiatique dédiée au 20ème anniversaire de la FFU, les journalistes devaient sélectionner les personnalités du monde du football ukrainien les plus importantes. 3 footballeuses figurent sur cette liste.


Les stars du football féminin bénéficient-elles du soutien des sponsors et de contrats publicitaires ?

 Le football féminin ukrainien n’en est qu’à ses débuts et à ses premiers succès. Nous n’avons pour l’heure ni sponsor, ni contrat publicitaire. Mais, compte tenu de l’accroissement de la popularité du football féminin, on peut supposer que ce n’est qu’une question de temps.


Les footballeuses ukrainiennes jouent souvent à l’étranger. Dans quels clubs et qu’est-ce qui les empêche d’évoluer à la maison ?

 Les footballeuses ukrainiennes jouent dans toutes les équipes russes (huit équipes) ainsi que dans le FC Medic (Pologne). Le niveau du championnat ukrainien n’est pas aussi élevé qu’en Russie. Je pense que c’est surtout une question de moyens et d’investissements !

 

Propos recueillis par Olga Gerasymenko

 

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10 juin 2012 7 10 /06 /juin /2012 17:17

jerome-dubus-conseiller-nc-du-17eme-au-conseil-de-paris-268.jpgPour quelle raison avez-vous déposé un vœu relatif à la situation de Ioulia Timoshenko au conseil de Paris ?

 J’ai eu la chance de rencontrer Ioulia Timochenko lors d’une visite qu’elle effectua en France en tant que Premier Ministre. Elle avait souhaité rencontrer des chefs d’entreprise français pour les encourager à investir en Ukraine. Elle avait fait forte impression grâce à son charisme et à sa volonté. Sa condamnation à sept années d’emprisonnement de manière totalement injustifiée a été un grand choc : il fallait réagir et montrer que Paris, considérée comme la capitale des Droits de l’Homme, ne pouvait rester indifférente devant cette profonde injustice. Ces deux raisons m’ont incité à déposer ce vœu.

 

Comment cette initiative a-t-elle été accueillie, d'une part par le Nouveau centre, parti dont vous êtes secrétaire national, d'autre part par les différents groupes politiques du conseil de Paris ?

 Cette initiative a été très bien accueillie par les différents groupes politiques du Conseil de Paris puisque ce vœu a été voté à l’unanimité. Les élus ont bien senti qu’il ne s’agissait pas d’une affaire politicienne mais bien d’un problème de liberté, qui transcende les courants politiques ; Il s’agissait de manifester notre opposition déterminée au sort réservé à Ioulia Timochenko et au-delà à l’ensemble des opposants qui sont aujourd’hui injustement emprisonnés. Je pense notamment à Monsieur Lutsenko.

 

Au regard des dégradations avérées des droits de l'homme et des libertés fondamentales, considérez-vous que l'Ukraine est encore une démocratie ?

 Les opposants sont clairement privés de liberté d’expression, voire de liberté tout court. Certains ne pourront pas être candidats aux élections législatives d’octobre puisqu’ils ont été privés de leurs droits civiques. Dans ces conditions, la démocratie est bafouée puisque le pluralisme politique ne peut plus s’exercer. L’Ukraine est devenue une démocratie « canada dry » : elle en a encore vaguement l’apparence mais son exercice est devenu impossible. La dégradation s’accélère de jour en jour sans parler de la corruption qui est une autre forme de déni de la démocratie, plus économique mais néanmoins très présente.

 

Quelle attitude se doivent d'adopter les dirigeants européens, et notamment français, face au pouvoir ukrainien  ?

 Le nouveau gouvernement français doit adopter une position très ferme vis-à-vis du régime ukrainien actuel. Il ne peut pas tolérer le maintien de la situation actuelle. Il doit peser de tout son poids politique pour obtenir la condamnation immédiate de la part de l’ensemble des pays européens, assortie éventuellement de sanctions diplomatiques, voire économiques. Ces condamnations ont prouvé, par le passé, qu’elles pouvaient avoir une influence décisive sur l’évolution de tel ou tel régime qui bafouait la démocratie. L’Union Européenne doit parler d’une même voix et doit parler rapidement : c’est sa vocation et c’est son rôle.

 

Plus de deux décennies après l'implosion de l'URSS, quelle lecture avez-vous de la citation de Voltaire : " L'Ukraine a toujours aspiré à être libre " ?

 Voltaire avait raison et il est vraiment dommage que nous soyons encore aujourd’hui au XXIème siècle obligé de défendre la liberté dans ce pays. Il y a une histoire commune entre l’Ukraine et la France qui ne peut laisser indifférent le peuple français. L’Ukraine a payé par le passé un lourd tribut à la soviétisation de son territoire : des millions de morts ; un univers concentrationnaire terrible ; une économie détruite par une idéologie absurde puis l’invasion allemande. Ce pays qui a de nombreux atouts notamment économiques, doit rapidement retrouver un fonctionnement démocratique normal, gage de liberté et de prospérité pour son peuple.

 

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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 22:41

Votre étude sur la genèse et les rouages de la répression stalinienne en Ukraine s'articule autour des parcours de deux intellectuels ukrainiens : Serhiy Efremov et Mykhailo Hrouchevsky. Pour quelles raisons vous paraissent- ils emblématiques ?

 

Le choix de ces deux intellectuels tient à plusieurs raisons: Hrouchevsky est naturellement emblématique aujourd'hui de l'histoire de l'Ukraine, tant il a de l'importance dans les milieux intellectuels ukrainiens et tant son approche historienne est l'une des premières à élaborer une histoire autonome de l'Ukraine. Nous souhaitions, Yuri Shapoval et moi-même, partir d'un personnage central du monde académique ukrainien mais aussi soviétique à partir de son retour en URSS. De plus, lorsque j'ai commencé à travailler avec Yuri Shapoval, ce dernier avait déjà rassemblé (et partiellement publié) cet immense ensemble d'archives sur la surveillance de Hroushevsky. Il est vrai qu'alors, nous ne pensions pas mettre au centre de l'analyse Efremov, moins connu même s'il s'agit d'une grande personnalité intellectuelle (et politique) de l'Ukraine. Mais il est moins emblématique. Je l'avais personnellement "croisé" au détour d'une recherche antérieure qui portait sur les statisticiens soviétiques, car certaines déclarations d'Efremov lors de son procès avaient été reprises lorsque les statisticiens soviétiques furent mis en accusation en 1937 (sans qu'il n'y ait aucune relation directe). Cependant, cette personnalité s'est très vite imposée dans notre recherche, tant son parcours croise celui de Hroushevsky et que la relation entre les deux hommes, en pleine montée du stalinisme, apparaissait exemplaire de la distance mais aussi de l'étroite articulation entre monde académique et monde politique. Qui plus est, les sources devenaient pour l'historien particulièrement fascinantes, puisqu'on disposait non seulement des sources de surveillance, de l'instruction des enquêtes contre Hroushevsky et Efremov, du procès de l'Union pour la libération de l'Ukraine (SVU), dont Efremov était le personnage centrale, mais aussi du journal que ce dernier rédigea presque quotidiennement jusqu'à son arrestation. Le croisement entre toutes ces sources offrait une opportunité assez exceptionnelle pour comprendre tous les mécanismes en oeuvre. Un autre personnage, moins central, de cette histoire, Durdukovskij, aurait d'ailleurs pu prendre plus de place, car nous avions identifié qu'il avait aussi rédigé un journal, évoqué dans le procès de la SVU. Mais nous ne l'avons pas retrouvé. Ces choix se sont avérés finalement très adéquats ; Hroushevsky et Efremov sont emblématiques de l'histoire du monde scientifique et intellectuel face au pouvoir bolchevique, puis à la montée de la dictature stalinienne. Leur relation avec le monde politique est emblématique de la relation complexe entre science et politique. Leur mise en cause et les affaires et procès dans lesquels ils sont impliqués et sont même les acteurs centraux, sont emblématiques de la logique policière du pouvoir stalinien, en particulier à partir du Grand tournant. L'un et l'autre n'ont pas la même relation aux bolcheviks, même s'ils participent à la vie académique durant la période étudiée : Hroushevsky cherche sans doute plus le compromis, est en relation plus directe avec le pouvoir, alors qu'Efremov apparaît plus radical dans ses choix, même s'il participe entièrement aux destinées de l'Académie des sciences d'Ukraine. La mise en perspective de ces deux personnages permet de comprendre beaucoup aux diverses formes de relation entre pouvoir politique et pouvoir scientifique.

 

Quelle a été au début des années 20 la stratégie bolchevique vis a vis de l émigration et des élites ukrainiennes ?

 

Elle a été double : d'une part, il y avait bien entendu une grande méfiance, non pas tant vis à vis de ce qu'ils écrivaient, mais de ce qu'ils pouvaient représenter comme force un peu organisée, comme réseau de connaissances hostile a priori aux bolcheviks. Il fallait donc les mettre sous surveillance d'un côté, et essayer de développer, au sein du monde scientifique, des tensions qui fragilisent le pouvoir d'opposition que ces élites pouvaient constituer. Cependant, et c'est l'un des paradoxes, au début des années 20, les bolchéviks avaient un réel respect pour la science (le communisme se voulait une approche scientifique du monde et de la société) et un respect pour la connaissance. Du coup, ils n'ont pas voulu simplement écarter ces élites, mais s'appuyer sur elles et les ont laissées travailler, même si ce travail a été ponctué de conflits parfois violents, et qu'elles étaient sous surveillance. Reste la dimension nationale de la politique bolchevique des années 1920. Ils ont réellement cherché à promouvoir les élites nationales et les langues, à déléguer une partie du pouvoir à ces élites, mêmes s'ils s'en méfiaient. Enfin, bien qu'ils aient de fait expulsé certains intellectuels, en particulier en 1922, cette politique ne fut pas de grande ampleur, car ils se méfiaient plus encore de la reconstitution d'une force intellectuelle en exil, que d'une force qu'ils pouvaient surveiller, contrôler, déplacer, en URSS.

 

A quel moment et dans quel but précis la GPU met-elle en place un dispositif de surveillance politique policière à l'encontre du monde scientifique ukrainien ?


Cette surveillance se met en place très tôt, et est déjà développée en 1922, même si elle se renforce nettement à partir de 1926. En ses débuts, et jusqu'à la fin des années 1920, l'objectif de cette surveillance est assez routinier et cherche à connaître les faits et gestes d'une élite dont on se méfie. Il n'y a pas à l'époque véritablement d'objectif répressif direct, mais simplement celui de connaître les réseaux sociaux qui se constituent au sein du milieu de l'académie, les tensions entre groupes, ce qui se dit, les rencontres, etc. Il s'agit aussi d'impliquer des scientifiques en leur imposant de collaborer avec le nouveau pouvoir et de fournir des informations. Certains le choisissent probablement par engagement, d'autres par opportunismes, d'autres y sont probablement contraints, par diverses formes de pressions. Mais cela est un moyen d'introduire des failles dans le milieu scientifique. Les bolchéviks jouent ainsi des ambitions de chacun, de leurs convictions, etc. Se conjuguent ainsi une vision terriblement policière et une vision politique d'hostilité aux élites, ici en l'occurrence scientifiques.

 

Comment s’élaborent les accusations et selon quel processus se déclenchent les mécanismes inquisitoriaux ?


Lors de la répression qui débute avec l'arrestation d'un proche d'Efremov, puis d'Efremov lui-même, les enquêteurs reexaminent les documents de la surveillance tous rassemblés dans les dossiers personnels des principaux scientifiques. Ils procèdent à une relecture policière et criminelle de documents qui relèvent essentiellement d'un quotidien du savant: une réunion de travail devient réunion où se constituent des plans anti-soviétiques. Un groupe de savants qui sont proches et solidaires, dans les conflits intra-académiques, deviennent cellule ou comité central d'un parti contre-révolutionnaire. Les voyages en province sont interprétés comme des missions de prospection pour la mise en place de filiale de partis. Ce sont donc essentiellement les groupes de proches et les assemblées ou réunions qui sont visés et renommés, réinterprétés, en des termes politiques et criminels (parti contre-révolutionnaire, etc.). Il est intéressant d'observer que, dans les premiers rapports issus de cette surveillance, cette interprétation n'est pas présente. Il faut attendre la grande offensive de 1929 pour qu'elle apparaisse et que policiers, instructeurs des affaires criminelles imaginaires, juges et procureurs relisent ces documents avec ce nouveau regard. La méfiance policière habituelle, présente dès le début, se transforme en interprétation criminelle. Les mécanismes inquisitoriaux passent alors par les interrogatoires, où la pression physique et psychologique est particulièrement forte sur les inculpés. L'enquêteur cherche à faire dire à l'inculpé, en terme criminel, des faits qui ne le sont pas. Durant l'interrogatoire, le registre du quotidien se transforme peu à peu en un registre politique contre-révolutionnaire et donc criminel. D'une certaine manière, les accusés peuvent "avouer" plus facilement, puisqu'ils n'inventent pas des faits, des réunions, des groupes d'amis, mais sont conduits progressivement à relire cela avec le regard que leurs imposent ceux qui les interrogent. La forme des aveux est particulièrement typique de cela (nous parlons dans notre livre d'aveu-désaveu), qui consiste à avouer tout en disant que cet aveu est une construction imaginaire.

 

Quels ont été les soubassements et les enjeux des procès de l'Union pour la Libération de l'Ukraine (SVU) et du Centre National Ukrainien (UNC) ?

 

On peut considérer qu'il y en a deux : l'un est clairement une attaque frontale contre les élites, destinées à rompre les liens de solidarité qui apparaissent comme autant de liens pouvant conduire à des oppositions, des résistances, etc. Le pouvoir stalinien est particulièrement sensible à tout groupe constitué qui peut apparaître comme un obstacle à un pouvoir total. A ce titre, la succession de procès entre 1929 et 1934 environ, en est la preuve. Toutes ces affaires, qui passent ou non par un procès public, touchent aussi bien les ingénieurs (procès des ingénieurs des mines de Chakhty), les scientifiques ukrainiens (procès de la SVU), puis biélorusses et kazakhes (sous la forme de deux procès qui sont construits exactement sous la même forme et selon les mêmes procédés que le procès de la SVU), les économistes des commissariats centraux ou les responsables industriels (procès des mencheviks, procès du parti industriel, etc.), les milieux académiques (affaire des académiciens ou affaire Platonov, affaire du Centre national ukrainien, qui s'élargit quelques années plus tard à l'affaire du parti national de Russie). L'instruction de toutes ces affaires passe souvent par une tentative de démontrer l'existence de réseaux, locaux, nationaux ou qui couvrent plusieurs républiques soviétiques. Les élites sont visées. Dans le cas de la SVU ou de l'UNC, de quelques autres encore, se rajoute un changement dans la politique nationale de l'URSS, un coup d'arrêt à une politique, mise en place par Lénine, qui consistait à des formes diverses de mise en avant des élites nationales, des cultures et sociétés nationales : la structure administrative avait été élaborée sous ce principe, les langues nationales devenaient, localement, langues officielles, les élites nationales avaient souvent un accès privilégié aux positions de pouvoir. L'affaire de la SVU peut être considérée comme la première qui marque un retournement de cette politique, une stigmatisation violente de tout ce qui est appelé "nationalisme". A ce titre, que ce retournement touche d'abord l'Ukraine n'est pas anodin, ni étonnant : les élites nationales ukrainiennes sont parmi celles qui ont le plus saisi cette opportunité pour se développer et affirmer leur autonomie. L'Ukraine a aussi été au centre de tensions, autour de cette politique, entre les diverses populations vivant sur son territoire. Enfin, l'Ukraine est essentielle pour l'URSS comme réservoir de grain, dont l'exportation devait permettre de soutenir l'importation des équipements nécessaires pour l'industrialisation accélérée au fondement du 1er plan quinquennal et du grand tournant stalinien. Cette conjugaison de facteurs conduit Staline à vouloir, dès 1929, soumettre les élites ukrainiennes, et plus généralement contrôler totalement l'ensemble du territoire ukrainien, pour mener à bien sa politique d'industrialisation massive, cela conduisant à la tragique famine de 1933. Pour autant, en 1929, la dimension nationale de la politique répressive stalinienne n'est pas encore dominante, comme je viens de le souligner. Il faut vraiment attendre la Seconde guerre mondiale, pour que l'obsession d'une relation étroite entre appartenance nationale ou ethnique et loyauté ou déloyauté domine toute les autres.

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21 avril 2012 6 21 /04 /avril /2012 17:35

boganimbis.jpg- Pourquoi et comment êtes-vous devenue réalisatrice?
J'ai d'abord fait de la photographie, j'ai ensuite intégré une école de cinéma, la National Film School de Londres. J'aspirais à réaliser des films conjuguant un ancrage dans un contexte historique, politique ou social avec une dimension esthétique affirmée...


- Pourquoi le choix d’une fiction et non d’un documentaire sur un sujet si sensible que la catastrophe de Tchernobyl ?
Je voulais raconter une histoire d’amour sur fond de catastrophe, je ne souhaitais ni une reconstitution historique, ni un pamphlet contre le nucléaire, mon ambition était de raconter l’invisibilité de la catastrophe à travers des destins personnels... Montrer un aspect humain, se placer du point de vue des gens, dans l'avant et l’après catastrophe. Seule la fiction me permettait une telle démarche.


- Quelles ont été vos sources d'inspirations et influences cinématographiques ?
Tout le cinéma russe et ukrainien de Dovjenko à Tarkosvki, ainsi que Hiroshima mon amour ou encore Pluie noire. Je me suis aussi inspirée des livres La Supplication de Svetlana Alexievitch et La Route de Cormac McCarthy... J'ai par ailleurs recueilli de nombreux témoignages sur la catastrophe.


- Comment êtes-vous parvenue à convaincre Olga Kurylenko de participer à ce projet ?
Olga a lu le projet et a adoré le scénario... elle voulait absolument faire le film, elle est ukrainienne et c’est une histoire dont elle se sent proche. Je pense qu’elle est parfaite pour le rôle. Elle a su donner une autre image que celle de la James bond girl....


- Quelle place occupent les pays d’Europe orientale, et notamment l'Ukraine, dans votre filmographie?
Je suis issue d’une famille ukrainienne ayant émigré il y a trois générations. J'ai déjà réalisé un film Odessa...Odessa ! qui traitait de la communauté juive d Ukraine. On verra pour mon prochain film...

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