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17 mars 2012 6 17 /03 /mars /2012 14:53

- Quelles ont été les grandes étapes du parcours de Joseph Roth, depuis Brody jusqu’à Paris et comment s’expliquent les incertitudes biographiques qui entourent ses jeunes années ?


Dans un de ses premiers romans, La Fuite sans fin, Joseph Roth retrace le parcours d’un soldat autrichien qui, parti de la captivité en Russie, finit par échouer sur une place parisienne, selon un inexorable mouvement de l’Est vers l’Ouest. Comme souvent, c’est avec une saisissante prémonition de son propre destin que Roth raconte l’itinéraire de ce personnage. Né à Brody (alors en Galicie austro-hongroise) en 1894, il passe son enfance et son adolescence dans cette même ville, avant d’entamer des études universitaires à Lemberg / Lviv et à Vienne. Les incertitudes biographiques sur les jeunes années de Roth (sa période galicienne) s’expliquent à la fois par l’absence de documents (on ne dispose que de quelques-unes de ses lettres écrites à l’époque, de quelques photographies et de quelques témoignages recueillis ultérieurement par son biographe, David Bronsen) et par la tendance de l’écrivain à la mystification (il donnera les témoignages les plus fantaisistes et les plus contradictoires sur son lieu de naissance, l’identité de ses parents et cherchera souvent à brouiller les pistes). Pendant les années de guerre, Roth est envoyé au front pour réaliser des reportages sur les combats, et c’est sûrement en partie à ce moment que se dessine sa vocation de journaliste. Revenu à Vienne après la Première Guerre mondiale, il se lance dans le journalisme où son sens de l’observation et de l’analyse font merveille. Vienne, faut-il le rappeler, n’est désormais plus que la capitale d’un État qui compte à peine six millions d’habitants, et la situation économique de l’Autriche d’après-guerre fait que les débouchés professionnels qui s’offrent à un jeune journaliste ambitieux et talentueux comme l’est Roth ne sont pas suffisants. Il part donc pour l’Allemagne et sera pendant une dizaine d’années, jusqu’au tout début de l’année 1933, un des journalistes les plus cotés de la République de Weimar. Ces années sont aussi celles où s’affirme son écriture romanesque, qui toujours se développera en parallèle avec son activité de journaliste, ces deux pans de sa création se nourrissant véritablement l’un de l’autre. Envoyé par la Frankfurter Zeitung faire des reportages à travers l’Europe, Roth voyage en Italie, en Russie soviétique, en Albanie, en Yougoslavie, retourne épisodiquement en Galicie, et surtout il découvre Paris au milieu des années 1920. C’est un véritable « coup de foudre » dont il ne se remettra jamais, il écrit des pages exaltées sur Paris et aussi sur le midi de la France. La période « allemande » de Roth s’achève brutalement au tout début de l’année 1933 : avec l’accession d’Hitler au pouvoir, l’écrivain, qui depuis toujours a compris l’ampleur du danger que représentait le national-socialisme pour l’Europe, pour la civilisation, pour l’humanité, prend le train pour Paris et y passera les six années qui lui restent à vivre, s’installant successivement dans deux hôtels de la rue de Tournon. Cette période parisienne (1933-1939), dans laquelle Roth continue à mener de front sa carrière de journaliste (il écrit désormais pour des journaux d’exilés) et celle de romancier (les chefs-d’œuvre se succèdent) est marquée par un scepticisme et un désespoir croissants, causés tout autant par l’échec de sa vie privée que par le contexte politique européen (l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938 lui donne pour ainsi dire le coup de grâce). L’alcoolisme qui l’accompagne depuis des années ne cesse de s’aggraver, et Roth meurt en mai 1939 à l’hôpital Necker à la suite d’une crise de delirium tremens. De l’immensité des plaines galiciennes, de la vastitude de l’empire austro-hongrois au quartier du Sénat à Paris, dans lequel il a aimé vivre et écrire, et qu’il surnommait affectueusement sa « République de Tournon », l’espace n’a cessé de se rétrécir autour de cet homme à l’identité complexe et multiple : écrivain autrichien, journaliste allemand, Parisien d’adoption, cosmopolite convaincu, perpétuel exilé et déraciné.

http://www.laprocure.com/cache/couvertures/9782021024142.jpg- Quelle fut la genèse de Job. Roman d’un homme simple que vous avez tout récemment traduit ?


L’écriture du roman Job se situe à une période de la création littéraire rothienne qu’on peut considérer comme un tournant. Auparavant, Roth a écrit ce qu’on appelle en allemand des « Zeitromane », c’est-à-dire des romans qui se consacrent à la description et à l’analyse des problématiques contemporaines, de la physionomie de l’époque actuelle. Roth s’est illustré dans ce type de romans, donnant un tableau très pertinent des tendances de fond de l’Autriche de la Première République et de l’Allemagne de Weimar. Avec Job, il tourne définitivement la page de cet univers romanesque centré sur le monde contemporain et les métropoles de l’espace germanique pour aborder des thématiques qui lui tiennent à cœur, et dont il a sûrement été amené à réévaluer l’importance qu’elles ont pour lui grâce à l’essai Juifs en errance qu’il a écrit en 1927, et qu’on peut par certains aspects considérer comme une étude préparatoire à l’écriture de Job : je veux parler des thématiques liées au monde juif traditionnel, à l’univers du judaïsme d’Europe centrale et orientale qu’il a côtoyé pendant l’enfance et dont il veut donner une image juste, informée, précise, éloignée des clichés et des préjugés qui avaient souvent la vie dure. Il y a chez lui comme une urgence (de nature personnelle, mais aussi politique : Roth observe depuis le milieu des années 1920 la montée du national-socialisme en Allemagne avec une inquiétude d’une immense clairvoyance) à parler de ce monde juif et peut-être aussi, pour celui qui est devenu un journaliste occidental vivant dans les grandes villes de la modernité triomphante (Berlin, Paris), une manière de renouer avec les contrées géographiques, affectives et spirituelles de l’enfance. Job est publié en 1930. Deux ans après, Roth va se tourner, avec La Marche de Radetzky, vers un autre univers lié aussi pour lui à l’enfance : celui de la monarchie austro-hongroise. À partir de là, le monde juif d’Europe de l’Est et l’univers de la monarchie impériale et royale vont être au centre de sa création narrative, avec les espaces qui leur sont liés, qu’il évoquera de manière suggestive (les plaines, forêts, lacs, bourgades et villes de Galicie ou de Volhynie).

- Quels sont les parentés littéraires, proches et lointaines, de l’œuvre de Joseph Roth ?


Joseph Roth est un écrivain qui affirme lire très peu. Mais si l’on va au-delà de cette affirmation un peu provocatrice, on parvient tout de même à déceler dans son œuvre des traces de la lecture de grands auteurs, ou tout au moins des parentés indéniables. Ce que l’on peut dire de manière générale, c’est que Roth n’est pas un écrivain tourné vers les expérimentations formelles de la modernité (même s’il s’essaie un temps à l’esthétique de la « Nouvelle Objectivité »), mais qu’il regarde essentiellement en direction du passé et notamment du XIXe siècle. Dans la littérature de langue allemande, il faut ainsi penser au grand auteur dramatique autrichien Franz Grillparzer, et au plus éminent représentant de la symbiose judéo-allemande, Heinrich Heine, qui un siècle avant Roth fera lui aussi le choix de l’émigration en France. On note aussi une prédilection pour les grands auteurs du XIXe siècle français comme Stendhal ou Flaubert. Mais aussi des parentés nombreuses avec les grands écrivains russes comme Tolstoï. Et il ne faut pas oublier l’importance de toute la tradition narrative de l’univers littéraire yiddish, dont on trouve tellement de résonances dans l’œuvre de Roth. L’auteur de Job et de La Marche de Radetzky est un écrivain qui croit fondamentalement au plaisir de la narration et qui a très certainement appris son métier auprès des grands « conteurs » européens du XIXe siècle.

- Quels sont les personnages emblématiques de l’œuvre romanesque de Joseph Roth ?


Le monde romanesque de Roth est majoritairement masculin. Cela est sûrement lié à la prédominance de l’arrière-plan historique de la Première Guerre mondiale dans ses premiers romans, qui mettent en scène des « Heimkehrer », c’est-à-dire des soldats qui reviennent du front et découvrent au lendemain de la Grande Guerre des sociétés occidentales modernes dont ils n’ont pas les codes. Avec Job et La Marche de Radetzky, les personnages emblématiques vont devenir d’un côté les juifs de l’est avec leurs formes de piété et d’existence traditionnelles, et d’un autre côté les serviteurs de l’empire austro-hongrois, les officiers et les fonctionnaires au service de l’empereur François-Joseph. Mais ce qui l’intéresse plus que tout, c’est de montrer le surgissement, au sein d’existences en apparence banales, d’une étincelle qui va faire basculer l’existence de ces personnages : dans Les Fausses Mesures, un contrôleur des poids et mesures, incarnation d’un ordre rigide, s’éprend d’une belle tzigane et succombe aux sortilèges du monde bigarré et interlope dont elle est issue ; dans Le Marchand de corail, un modeste artisan et négociant juif s’abandonne au désir inextinguible de découvrir les océans et leurs fonds marins. Le monde des romans et nouvelles de Roth est une véritable « comédie humaine » avec beaucoup de personnages hauts en couleur et toujours attachants.

- Quelle lecture faites-vous de cette citation de Joseph Roth qui remonte à 1924 : « La Galicie est dans la solitude du bout du monde, et cependant elle n’est pas isolée ; elle est proscrite, mais non coupée du reste de l’univers » ?


Roth se place sans doute ici dans la perspective « autrichienne » : dans l’empire austro-hongrois, qu’il a connu dans son enfance et son adolescence, la Galicie était la province la plus éloignée par rapport à Vienne, elle était la marge, la périphérie par rapport à la capitale des Habsbourg. Limitrophe de l’empire russe, elle semblait ouvrir sur un espace infini et essentiellement rural, des terres à perte de vue. Sur son compte couraient aussi nombre de préjugés (on en faisait volontiers une région arriérée, aux conditions de confort et d’hygiène très rudimentaires). Roth a souvent pris la défense de ces régions orientales en mettant en évidence la beauté mélancolique de leurs paysages, mais aussi la richesse, la profondeur, la dignité éthiques et spirituelles de leurs populations (il suffit de penser aux évocations des soldats et paysans ruthènes ou à celles des juifs de l’Est dans son œuvre romanesque). Il ne faut pas oublier que la Galicie a aussi été un foyer important du renouveau spirituel juif et notamment du hassidisme. Enfin, pour un écrivain issu de la minorité germanophone de Brody, il y a aussi la conviction que l’enseignement délivré par les établissements scolaires de Galicie transmettait un important bagage culturel et humaniste, et que les juifs de l’Est ayant bénéficié de cet enseignement, comme lui, étaient les véritables dépositaires de l’humanisme allemand. Il écrit ainsi dans Juifs en errance : « Pour le juif de l’Est, l’Allemagne est par exemple encore et toujours le pays de Goethe et de Schiller, de ces écrivains allemands que n’importe quel jeune adolescent juif désireux d’apprendre connaît mieux que le lycéen allemand qui arbore la croix gammée. » Dans l’œuvre de Roth se construit ainsi toute une dialectique du centre et de la périphérie, Vienne étant ainsi associée à la superficialité d’une culture élégante et frivole, tandis que c’est en Galicie qu’on trouve une profondeur humaine, éthique, spirituelle qui fait toute la dignité de ses habitants –dont l’Europe des grandes métropoles occidentales gagnerait à s’inspirer. Il y a là toute une mythologie personnelle qui a souvent conduit Roth à rêver pour l’Europe centrale d’une symbiose harmonieuse de l’élément slave, de l’élément autrichien et de l’élément juif.

 

Propos recueillis par Frédéric du Hauvel

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10 mars 2012 6 10 /03 /mars /2012 17:27

04avril.jpgComment avez-vous eu l’idée de créer cette chorale en 1997 quels ont été les moments forts de la chorale depuis 15 ans ?

 

C'est au cours d'une rencontre entre copains au sein de l'entreprise dans laquelle je travaillais comme informaticien à Saint Quentin en Yvelines qu'est née cette envie de créer un groupe vocal. Au début c'était presque une blague, un défi car aucun d'entre nous n'avait déjà chanté. Puis au fur et à mesure des répétitions c'est devenu un vrai projet qui a pris forme peu à peu avec le désir d'accéder à une culture musicale jusque là inconnue. En 1998 sous la baguette de notre premier chef de choeur Dominique Simonet, nous avons chanté les Carmina Burana de Carl Orff : un vrai succès et surtout un grand plaisir qui nous a incités à aller plus loin dans la découverte de nouveaux répertoires. Deux ans plus tard Hélène Spasky, d'origine russe, est devenue notre chef de choeur. En 2000 sous sa baguette, c'est la diversité du répertoire populaire et orthodoxe russe notamment, qui fut appréhendé lors d’un concert réalisé avec l'orchestre de balalaïkas « Saint Georges ». En 2001 Offenbach fut à l’étude. Achoriny s’est associé avec une compagnie de danse et un orchestre de la ville pour créer un spectacle original : « Le rêve d’OFFENBACH » qui fut présenté au théâtre de la ferme de BEL EBAT à Guyancourt en 2003. Puis en 2005 une comédie, « BALADE MUSICALE », a été créée sur le thème « cabarets du monde ». Suivra en 2006 la réalisation d’un polar chanté, « PASTEL en EAUX TROUBLES » qui fut présenté à la salle JACQUES BREL de Montigny dans le cadre du festival de théâtre amateur. En avril 2007, Hélène nous a présenté Vasyl Borys, d'origine ukrainienne, et c'est sous sa baguette  que avons renoué définitivement avec la musique slave.

 

Quelle est votre répertoire de prédilection ?

En fait la nature des évènements auxquels nous participons constitue l'ossature de notre répertoire. Si nous donnons un concert de Noël, nous allons étudier des chants de musique sacrée, si nous faisons un concert en entreprise nous mettrons plutôt l'accent sur des chants festifs accompagnés à l'accordéon. Lorsque nous avons décidé d'aller en Ukraine il nous a semblé opportun de faire connaître le répertoire de la renaissance française. La composition du choeur (choeur mixte slave, choeur d'hommes, choeur renaissance mixte) influe aussi sur le choix des chants. Aujourd'hui nous avons choisi d'approfondir deux thèmes : la "musique slave" et la "renaissance française"

 

Comment vous est venue l’idée de faire des rencontres et des échanges avec des chorales étrangères qui chantent le répertoire ukrainien ?

La musique participe de la culture d'une nation et nous avons souhaité mieux l'appréhender en rencontrant soit des Ukrainiens, soit d'autres choristes qui avaient une démarche similaire à la nôtre pour donner plus de sens à notre entreprise. Il faut dire aussi que Vasyl en resituant la musique dans son contexte géographique nous a donné envie d'aller voir de plus près ce pays. Aucun choriste ne connaissait l'Ukraine ; cela a donc été la découverte totale d'un pays accueillant et convivial. La rencontre avec d'autres chorales a été excellente à telle enseigne que nous avons accueilli en 2011 le choeur "Boyan" de Lviv.

 afficha41.jpg

Quels concerts sont prévus ces prochaines semaines ?

 Les 24 et 25 mars nous donnerons des concerts à Trappes, puis au Essarts le roi avec le Quatuor "Contact" de Dolyna, et le choeur Lysenko de Bunnik en Hollande. Le 13 mai ACHORINY participera au festival des chorales à Prunay en Yvelines, puis le 23 juin à la fête de la musique à Guyancourt et à Trappes.

 

Comment voyez-vous l’avenir de la chorale ?

A moyen terme nous travaillons à la réalisation d'un échange avec un choeur canadien de Toronto ainsi qu'une rencontre entre plusieurs chorales à Dolyna en Ukraine. Par ailleurs ACHORINY  entend pérenniser sa dynamique. Administrativement, il faut renouveler le personnel dirigeant pour que de nouveaux projets voient le jour. ACHORINY est une chorale d'amateurs et dans amateur, il y a le mot aimer, aussi je crois que techniquement il faut faire aimer davantage les répertoires slaves et renaissance pour révéler les richesses culturelles qu'ils recèlent.

Propos recueillis par Lesya Darricau-Dmytrenko

 

 

 

 

 

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2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 15:18

Soiree-Ilchenko_invit.jpg

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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 08:41

http://www.soufanieh.com/2008.04.UKRAINE/Programme_final/image004.jpg- Quel bilan dressez-vous de votre action à la tête de l'institut œcuménique de l'Université catholique d'Ukraine ?


L’Institut d’études œcuméniques a été créé au sein de l’Université catholique d’Ukraine en juin 2004 par le père Ivan Dacko, prêtre grec-catholique ukrainien, et moi-même, laïc chrétien orthodoxe français, en vue de pacifier les relations entre les différentes Eglises en Ukraine et de proposer de nouvelles formes de témoignage commun des chrétiens en Ukraine et dans le monde. Nous avons dès le premier jour avec Borys Gudziak recteur de l’UCU choisi de créer une institution dont la logique serait avant tout une logique de l’amitié. Sept ans plus tard je me réjouis de voir tous les fruits qu’ont produit tous les réseaux d’amitié qui se sont constitué très vite en Ukraine et dans le monde autour de notre projet.
A l’époque je me souviens que le patriarche Alexis II de Moscou remuait ciel et terre pour convaincre l’ensemble des Eglises Orthodoxes du danger que représentait pour lui le retour à Kiev du chef de l’Eglise grecque-catholique ukrainienne Mgr Lubomyr Husar. L’Eglise russe considérait alors que l’Eglise dite « uniate » était une erreur historique absolue et que son rattachement en 1946 à l’Eglise Orthodoxe du Patriarcat de Moscou n’était qu’un juste retour des choses. Une atmosphère de méfiance réciproque régnait en raison de ce contentieux au sujet du pseudo-synode de Lviv de 1946 (qui n’a jamais été un synode pour l’Eglise grecque-catholique dont tous les évêques se trouvaient alors en prison) et d’une absence de dialogue entre les Eglises grecque-catholique et orthodoxe vieille de plusieurs décennies.
Je me réjouis que grâce à la création de l’Institut d’études œcuméniques au sein de l’université catholique d’Ukraine, la situation se soit depuis lors sérieusement détendue. Lors de l’intronisation du nouveau patriarche de l’Eglise grecque catholique ukrainienne Mgr Sviatoslav Schevchuk à Kiev au printemps 2011 toutes les Eglises Orthodoxes ont participé à la cérémonie et l’ont félicité. Il n’était plus question de rupture du dialogue œcuménique. A Lviv également grâce aux nombreux liens de sympathie que nous avons lié avec les évêques des différentes Eglises, et notamment Mgr Augustin de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou nous avons pu lancer en juin 2008 un projet commun à toutes les Eglises, les Semaines Sociales Œcuméniques ukrainiennes. Nous préparons en septembre la 5e édition de cette manifestation qui dispose maintenant d’un réseau national avec des antennes à Odessa, à Kiev, à Dnipropétrovsk, etc. Nous avons également participé à la commission régionale d’enseignement de l’éthique chrétienne dans les écoles publiques de la région de Lviv. Grâce à nos donateurs nous avons pu également financer la création de plusieurs manuels œcuméniques d’enseignement de l’éthique chrétienne. Ces ouvrages ont reçu la griffe du ministère de l’éducation nationale et sont aujourd’hui diffusés à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Nous avons lancé également le premier journal œcuménique ukrainien Dukhovnist en langue russe et en langue ukrainienne. Nous nous sommes pour cela associé à un grand quotidien national Vyssoki Zamok qui publie notre journal sur son site internet en supplément mensuel. Ces initiatives ont je le crois encouragé la création par le maire de Lviv d’un Conseil des Eglises chrétiennes de Lviv en avril 2011 qui permet désormais à ces Eglises de se rencontrer et de se parler régulièrement
Nous avons aussi réalisé un film documentaire sur le pseudo-synode en langues russe, ukrainienne, française et anglaise qui a mis fin à l’ignorance de la plupart des ukrainiens au sujet de ce rattachement forcé de l’Eglise grecque catholique à l’Eglise Orthodoxe russe. J’ai publié dès 2005 un livre d’entretiens avec le cardinal Husar qui a été publié en anglais, français en ukrainien et qui a permis de mieux comprendre la position complexe et en même temps profondément réconciliatrice de l’Eglise grecque catholique dans le paysage œcuménique. J’ai également publié un livre (En attendant le concile, Paris Cerf, 2011, qui va paraître cette année en russe et en ukrainien) qui présente tous les tenants et les aboutissants du paysage religieux en Ukraine et en en Russie.
Nous avons lancé un mastère en études œcuméniques en partenariat avec l’université d’Etat de Lviv et formé plusieurs dizaines de maîtres en œcuménisme. Aujourd’hui l’Institut œcuménique de Lviv est devenu l’unique institut d’études œcuméniques diplômant tant dans le monde catholique que dans le monde orthodoxe. Nous disposons également d’un prestigieux mastère d’enseignement à distance des études œcuméniques en langue anglaise et ukrainienne qui n’a pas d’équivalent ailleurs dans le monde. Nos anciens élèves sont aujourd’hui des journalistes spécialisés dans les questions religieuses, des professeurs d’éthique chrétienne ou des accompagnateurs sociaux. Je me réjouis chaque jour d’apprendre toutes leurs initiatives. Par exemple c’est une de nos anciennes étudiantes Olessia Stogny qui est en charge de l’organisation du concours annuel « Reporters d’espoir » qui est le principal concours à destination des journalistes en Ukraine et qui favorise un esprit d’informations porteuses de solution et non d’angoisses.
Tout ceci n’aurait pas été possible sans la générosité de nombreux donateurs et sans le soutien de personnalités importantes du monde œcuménique, je ne peux toutes les citer mais j’aimerais tout de même mentionner nos présidents d’honneurs, Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, Mgr Antoni Sharba, archevêque de l’Eglise orthodoxe ukrainienne aux Etats-Unis, Mgr Lubomyr Husar, archevêque majeur de l’Eglise grecque catholique ukrainienne, et le pasteur Konrad Raiser, ancien secrétaire général du Conseil Œcuménique des Eglises. Grâce au soutien de tous, et en particulier en France de L’Arche et de l’œuvre d’Orient, nous disposons maintenant d’un capital qui nous permet de financer de façon stable et pérenne un tiers de notre budget annuel.
Je pourrais parler très longtemps de toutes nos entreprises qui furent toutes passionnantes. Il suffit de se connecter à notre site internet en langues ukrainienne, russe, anglaise, et française pour découvrir toutes les initiatives que nous avons eues (http://www.ecumenicalstudies.org.ua/ ). Mais ma plus grande joie c’est d’avoir constitué une équipe ukrainienne, dynamique et pluri-confessionnelle capable de continuer aujourd’hui les activités de l’Institut sans que ma présence soit nécessaire au quotidien. Je reste cependant directeur émérite de l’Institut, membre du conseil d’administration de l’Institut et professeur permanent de l’Institut d’études œcuméniques.
http://www.ecumenicalstudies.org.ua/sites/default/files/imagecache/node-gallery-display/rawgallery/11.03.10_studentu_MPEN_VP_16.jpg
- Comment le mouvement œcuménique est-il-perçu en Ukraine ?


C’est une question qui demanderait une réponse complexe et différenciée. Globalement on peut dire que en Ukraine occidentale, jusqu’à Kiev, l’œcuménisme est une réalité connue dans ses grands traits qui dispose aujourd’hui d’un a priori favorable. Les gens se souviennent de l’engagement en faveur de l’unité du métropolite grec catholique Sheptitsky, qui considérait que la frontière entre les chrétiens ne passent pas entre les confessions mais entre ceux qui croient que l’Eglise est une et ceux qui ne croient pas. Ils gardent la mémoire du métropolite orthodoxe Tikhon de Kiev pour qui les murs qui séparent les Eglises « ne peuvent pas monter jusqu’au ciel ». Tandis qu’en Ukraine orientale l’œcuménisme est perçu comme un « -isme » inconnu suscitant un a priori négatif. La position des Eglises est elle-même différente. L’Eglise grecque catholique fait de l’œcuménisme une priorité absolue, tandis que l’Eglise orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou se prononce souvent par la voix de certains de ses évêques (comme Mgr Agafangel d’Odessa) contre le mouvement œcuménique. L’Eglise catholique romaine est favorable à l’unité des chrétiens dans l’esprit de « Ut unum sint ». De même l’Eglise arménienne et les Eglises protestantes sont pour la plupart en faveur de prières communes pour l’unité et de diaconies menées en commun.
Mais il faut s’entendre quand on parle d’œcuménisme. L’œcuménisme n’est pas une idéologie. Ce n’est pas un concept univoque détaché de son contexte. J’ai rencontré en Ukraine des chrétiens très sympathiques qui étaient hostiles à toute tension vers l’unité avec d’autres chrétiens tout simplement parce que leur priorité, dans leur univers post soviétique, était d’abord de retrouver leur propre identité catholique, protestante ou orthodoxe. Il n’y a rien d’anti-œcuménique dans cette posture si elle conduit vers une réappropriation de sa foi en Jésus-Christ. Inversement j’ai rencontré à Kiev, à Chicago ou à Paris des Ukrainiens s’unir toutes appartenances ecclésiales confondues dans la commémoration de la tragédie du Holodomor qui a fait plus de 6 millions de victimes dans les années 1932-33. Ici l’unité ne signifiait pas une perte d’identité mais un désir de partager ensemble sa peine, de prier ensemble pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus. Dans les deux cas l’appartenance au mouvement pour l’unité des chrétiens commence par une posture de retour sur soi et d’humilité par rapport à ses propres limites. Si on définit l’œcuménisme de la sorte alors on comprend que les Ukrainiens sont en très grande majorité favorables à l’œcuménisme. L’échec des grands récits idéologiques du XXe siècle leur a permis en effet de renouer avec la conviction qu’un Dieu personnel, unique et trinitaire, est la source de leur propre liberté.
Le travail qui reste à faire cependant à mon avis, en Ukraine comme dans beaucoup d’autres pays de tradition byzantine, c’est de renouer avec une attitude positive à l’égard de l’histoire. Car l’œcuménisme n’est pas seulement un état d’esprit c’est aussi une science, une science humaine ignorée tout comme les nouvelles sciences de la paix, mais une science authentique. Cette science trans-disciplinaire, que la puissance publique pourrait au moins reconnaître sous l’intitulé de « culture religieuse et convictionnelle » ne s’improvise pas, elle s’enseigne et elle s’apprend. Elle dispose d’un corpus de textes de référence très important et s’appuie sur un certain nombre de compétences et de techniques très précises.
Elle repose sur le plan théologique sur cette constatation, à la fois basique et révolutionnaire. Le christianisme est une religion de l’incarnation qui intime à l’homme de participer à l’œuvre divine eschatologique de création. Il ne suffit pas de proclamer en se croisant les bras que l’Eglise est la Maison du Père, le Corps du Christ et le Temple de l’Esprit Saint. Il faut aussi un engagement personnel et communautaire, créatif et patient, risqué et confiant de chacun. C’est ainsi que l’Eglise une du Christ s’actualise, se rend visible. « Participer à l’œuvre eschatologique de la création » a des implications très pratiques selon qu’on se trouve en contexte pré-conflictuel, conflictuel ou post-conflictuel. Malheureusement ni en Ukraine, ni en France, aucun Etat, aucun ministère de l’éducation n’a encore reconnu l’utilité de la culture religieuse et convictionnelle au bien public. Il est donc urgent d’agir. C’est l’une des raisons pour laquelle pour ma part j’ai décidé de retourner travailler à Paris, capitale des « lumières », et au Collège des Bernardins en particulier, l’un des laboratoires les plus féconds de la post-modernité.

- 20 ans après l'avènement de l'indépendance ukrainienne, quel rôle exercent les religions dans la définition des identités nationales?


Je crains de dire que certaines « religions » aient perdu beaucoup de leur capital de confiance qu’elles avaient accumulé à l’époque soviétique en raison des persécutions dont elles furent victimes. La religion païenne du matérialisme dialectique en effet ne pouvait souffrir ni les catholiques, ni les orthodoxes, ni les baptistes, ni les témoins de Jéhovah. La chute de l’idéologie marxiste-léniniste a permis aux Eglises de retrouver leur liberté et de s’engager à nouveau dans la vie sociale de la nation ukrainienne. De nombreuses communautés ont été créées, de nombreux édifices religieux ont été construits, de nombreuses initiatives caritatives ont vu le jour.
Bien que ce sujet demanderait à être traité bien plus amplement je crois qu’il est possible de caractériser le rôle des Eglises dans la définihttp://www.dukhovnist.in.ua/images/stories/news_photo/1.jpgtion de l’identité nationale de la façon suivante. D’un côté on trouve dans toutes les confessions confondues des chrétiens qui considèrent qu’il faut bien séparer les traditions culturelles présentes en Ukraine pour éviter toute instabilité, toute menace identitaire. Il y a par exemple le synode de l’Eglise orthodoxe ukrainienne dépendant du patriarcat de Moscou, actuellement présidé par l’évêque d’Odessa Mgr Agafanguel, en raison de la maladie de Mgr Volodimyr de Kiev, qui considère que l’Eglise ukrainienne fait partie intégrante du patriarcat de Moscou. De l’autre côté on trouve le patriarcat de Kiev présidé par le métropolite Philarète qui estime que l’Eglise orthodoxe ukrainienne est suffisamment mûre pour disposer d’un statut d’autocéphalie. Dans l’Eglise catholique on trouve la même tension entre l’Eglise catholique de rite romain et l’Eglise catholique de rite byzantin qui ne parviennent pas à trouver un accord sur la façon de gérer ensemble les destinées de l’Eglise catholique en Ukraine. Dans le monde protestant il existe également des tensions très vives entre les courants évangéliques, qui radicalisent souvent les frontières entre le bien et le mal, et les courants réformés, qui ont tendance à les atténuer, sur des questions d’ordre éthique et organisationnelles.
Une approche œcuménique permettrait à ces Eglises de trouver des synthèses aux courants qui les divisent. J’ai exposé dans mon livre « En attendant le concile » mon approche fondamentale sur ces questions. Je ne peux ici répéter mon analyse résolument post-confessionnelle des voies de réconciliation possibles entre les courants zélotes, prosélytes et spirituels à l’intérieur de chaque Eglise. J’aimerais simplement poser ici les trois conditions préalables au dialogue inter-confessionnel. Premièrement il serait tout à fait envisageable de respecter les identités et les niveaux de conscience de chacun si les uns et les autres acceptaient d’adopter une lecture plus historique du passé ukrainien. Deuxièmement il faudrait que l’Eglise soit d’abord comprise par les uns et les autres comme une réalité divino-humaine et non pas seulement comme une institution purement humaine ou purement divine. Enfin troisièmement chaque Eglise doit reconnaître qu’elle est en partie responsable de la division qui existe entre les chrétiens en Ukraine. Rejeter sa responsabilité serait en effet tout à fait contraire au contenu même de la révélation chrétienne.
A partir de là il serait possible de proposer un agenda pragmatique et progressif aux Eglises avec un argumentaire capable de les convaincre que la réunification des chrétiens de l’Eglise de Kiev est tout à fait possible. Toute l’histoire du mouvement œcuménique montre que des chrétiens qui paraissaient divisés ad vitam aeternam sont capables de retrouver une unité profonde dès lors qu’un désir sincère de réconciliation est présent de part et d’autre. Les Eglises protestantes des Pays-Bas, qui étaient divisés sur la doctrine de la prédestination, en témoignent. L’Eglise orthodoxe et l’Eglise catholique aux Etats-Unis, qui étaient divisés sur la question du filioque, en témoignent. L’Eglise catholique et l’Eglise luthérienne qui étaient divisés sur la question de la justification en témoignent. Le premier pas à faire dans cet agenda œcuménique ukrainien consisterait à mon sens à soutenir les entreprises des universitaires appartenant à différentes Eglises réunis au sein de la Société Académique Chrétienne en Ukraine. En septembre 2008 nous étions parvenus avec Constantin Sigov et Oleh Tury à réunir les représentants des Eglises de Kiev (catholiques et orthodoxes) à l’Académie Mohyla pour une discussion portant sur un horizon commun pour l’ensemble des Eglises en Ukraine. Mais cette SACU n’est soutenue institutionnellement et financière par aucune institution ni en Ukraine ni ailleurs dans le monde. Il a fallu interrompre ses activités en attendant des jours meilleurs…

- Autour de quels thèmes s'est établi en Ukraine le dialogue judéo-chrétien ?


Le dialogue judéo-chrétien est encore à mon avis en Ukraine à une phase initiale. Les juifs ont été décimé pendant la deuxième guerre mondiale. Il a fallu que le livre du père Patrick Desbois La Shoah par balles soit traduit en ukrainien en 2011 pour que les Ukrainiens commencent à prendre la mesure de ce qui s’est passé il y a 70 ans. A Kiev l’amitié qui lie Léonide Finberg et Constantin Sigov a donné beaucoup de fruits, par exemple avec les éditions Dukh i Litera. A Lviv Myroslav Marynovytch, vice-recteur de l’Université catholique fait partie de ces intellectuels ukrainiens qui font beaucoup pour lutter contre toute forme d’anti-sémitisme. Nous avons organisé plusieurs conférences judéo-chrétiennes à l’Université catholique d’Ukraine. Je me souviens en particulier du dialogue entre Adèle Dianova, directrice du centre Hessed Arieh de Lviv et le père Antoine Guggenheim du Collège des Bernardins au sujet des voies possibles de réconciliation et de coopération. J’en ai retenu l’idée que la priorité était d’aider les juifs d’Ukraine à se réapproprier leur mémoire. Le temps est également venu de permettre aux Ukrainiens dans leur ensemble à redécouvrir, par la figure de certains justes comme Clément Sheptytsky, à la fois  l’ampleur de la tragédie humaine qu’a connue l’Ukraine pendant la dernière guerre mondiale, et la capacité dont dispose chaque individu à l’heure du péril pour sauver toute l’humanité par une attitude de courage et de respect de la dignité de chaque être humain.

- Quelles relations les églises ukrainiennes entretiennent-elles avec l'Islam ?


L’islam est essentiellement présent en Crimée par la présence de plusieurs centaines de milliers de tatars. Ils sont soutenus par les courants ukrainophones favorables à une région autonome de Crimée au sein de la République ukrainienne. Ils représentent en revanche un frein pour les courants pro-russes qui considèrent que la Crimée est une partie intégrante de la « sainte Russie » depuis le mariage du prince Volodymyr à Chersonnèse au IXe siècle. Staline leur était également défavorable puisqu’il les a déportés en une nuit vers l’Asie centrale au moment où les forces allemandes se rapprochaient de la Crimée en 1942. Le dialogue inter-religieux entre chrétiens et musulmans ukrainiens est donc d’abord conditionné par l’horizon politique et historique de la Crimée. Adopter une approche historique et non mythique du passé de la Crimée consiste pour commencer à admettre que la Crimée n’a fait partie de l’Empire russe que pendant un siècle (1854-1954). Ceci ne signifie pas qu’il ne faille pas accorder un statut spécifique à la Crimée, très largement russophone, au sein de la république ukrainienne. Mais cela permettrait si cela était clairement admis par les uns et les autres de rassurer les habitants de Crimée et de les convaincre que les inévitables tensions inter-religieuses ne seront pas exploitées à des fins politiciennes. Le dialogue inter-religieux à mener en Crimée consiste ensuite à parler des préoccupations communes des chrétiens et des musulmans, à savoir les modalités en cours d’adoption à Kiev de la privatisation de la terre en Crimée. Celle-ci seront-elles à l’avantage en premier lieu des habitants de Crimée ? Le dialogue inter-religieux est inséparable d’une prise de conscience post-idéologique de la relation structurelle qui existe entre le théologique et le politique.

Propos recueillis par Frédéric du Hauvel

 

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14 décembre 2011 3 14 /12 /décembre /2011 18:36

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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 15:11

yuriy-bilak1.jpgQuelles vos sources d’inspiration ?

Je suis passionné par la peinture flamande dans laquelle les personnages sont mis en avant avec une certaine culture de la lumière. Cette peinture naturaliste du XIVe et XVe siècles aux figures isolées substitue les mouvements de la vie réelle et ouvre à l’oeil du spectateur les profondes perspectives du monde visible. Les oeuvres de Vermeer, Rembrandt, Van Dyck et Van Eck m’inspirent le plus.

 

Par ailleurs, outre l’art flamand, je suis également sensible aux oeuvres de William Bouguereau pour sa vision de l’onirique, du sacré et de la mythologie, les allégories d’Ingres et les magnifiques clairs obscurs de De la Tour dans lesquels je me reconnais pleinement. Surtout lors de mon travail en studio.

 

J’aime la peinture, mais je ne sais pas peindre, alors j’essaye de peindre à ma manière, avec la lumière. Bien sûr, il est beaucoup plus simple de le faire en studio en créant la lumière voulue, mais il me paraît intéressant d’adapter cette vision de la photographie dans mes reportages également. Par exemple, j’ai beaucoup apprécié de photographier la sortie de la messe de Pâques dans les Carpates en pleine nuit. La scène était éclairée essentiellement par des bougies, comme dans les tableaux de De la Tour. J’ai également ressenti cela lorsque j’ai eu l’opportunité de photographier les mineurs de charbon au fond de la mine, dans cette expérience, la lumière était le plus souvent l’éclairage de leur lampe frontale.

  pacques.jpg

J’aime beaucoup travailler dans mon studio mais ce que j’adore le plus c’est de découvrir des lieux atypiques, insolites et d’imaginer, d’élaborer une photo en fonction d’une thématique. Comme « Lady Godiva », « Jeanne d’Arc », « Gangster ». J’aime mettre en scène.

Comment s’établissent les contacts avec vos modèles ? Qu’est-ce qui fonde votre démarche vers le sujet ?

Mon mode opératoire est toujours le même, mon angle d’attaque est la personne, son vécu, sa culture. Dans un premier temps c’est une rencontre entre deux personnes, deux cultures. Il me faut du temps pour pouvoir découvrir une part de son quotidien et avant que je ne puisse sortir mon appareil photo. Je dois avant tout donner envie à mon interlocuteur de m’accorder une photo, cette image qu’il veut bien m’offrir de lui-même. Avec le temps… une heure, une demi-journée, une journée, cela marche souvent. Sinon, ce n’est pas grave, je n’aime pas voler mes clichés.

 

Pour le sujet, c’est simple, tout suscite ma curiosité. Je pars du principe que chacun de nous a quelque chose d’unique en soi et que certains ont envie de partager, d’offrir, que ce soit en studio, ainsi qu’en reportage. Là encore on peut parler de transmission. Sans cette confiance, la photo n’est pas la même à mes yeux.

 

Pour le choix de la personne, je dirais que l’on se cherche/s’attend l’un l’autre. Je suis toujours étonné lorsque j’y réfléchis, de tous ces milliers de kilomètres parcourus, avion, train, taxi, et marche à pied, là quelque part dans les alpages, les Carpates ou au fond d’une mine, il y a au-delà de l’échange une extraordinaire rencontre photographique. M’attendaient-ils ou pas ?

Comment vous est venue l’idée de vous plonger dans l’univers de la mine ?

 

Dans ma famille, il y a eu un mineur qui a travaillé dans une mine près de Lille et j’en garde un souvenir d’enfance. Des images très marquantes du dur métier qu’ils exercent. J’ai fait ces photos lors de mon « pèlerinage » de 3 ans tout au long de l’Ukraine qui a débuté à Uzgorod et que j’ai terminé dans le Donbass.

Mines-Ilakaka_8699.jpg

La découverte du pays de mes ancêtres a été bouleversante et j’en suis revenu avec beaucoup d’images émouvantes. Où peut-on voir vos œuvres ? Depuis le mois de février 2011 et jusqu'au 27 novembre 2011 au centre minier de Faymoreau (Vendée) sont exposées les photos de mineurs de charbon de la région de Donetsk et de Novovolynsk avec qui j’ai eu la chance de partager le quotidien.

 

"Gueules Noires, mineurs du monde" c’est une exposition collective en grand format en plein air. Fin mai 2011 lors d’un week-end de conférences portant « sur la vie des mineurs », les organisateurs du centre minier m’ont permis d’intervenir et d’échanger sur cette étonnante expérience que j’ai vécue parmi ces hommes. J’ai saisi l’occasion pour inviter lors de ce week-end mon guide/mineur ukrainien, Hennadij, de la région de Donetsk qui a été surpris de l’intérêt que les Français portent à cette profession.

 

Une autre exposition d’une cinquantaine de photos est actuellement en place dans la ville minière de Vouhledar (Donbas), le lieu même où ont été prises les photos exposées.

Que représente pour vous le domaine Tchornohora situé à Rochepaule en Ardèche ?


Cette maison familiale, lieu paisible où se rencontre la diaspora ukrainienne en France est située en Ardèche dans un écrin de verdure qui rappelle les Carpates. Elle a été ouverte par l’association FAVAL, regroupant dès 1974 une partie des émigrés d’origine ukrainienne dont le but était de sauvegarder la culture ukrainienne et de la faire connaître. Reprendre la présidence de Tchornohora est pour moi la continuité de transmission de ces valeurs aux enfants, comme l’ont fait mes prédécesseurs.

 

J’ai la chance de travailler avec une équipe très soudée, volontaire. Nous avons tous la même conviction dans l’implication que nous portons à ce lieu et à ces valeurs culturelles, cela est très plaisant. Nous souhaitons tous continuer à faire vivre cette maison en organisant les retrouvailles des anciens colons, louer ce magnifique lieu pour des événements familiaux, ou même l’ouvrir également en maison d’hôtes.

 

 

Depuis 37 ans, chaque mois de juillet, un séjour est organisé pour les enfants qui vivent trois semaines aux couleurs de l’Ukraine tout en profitant chaque jour de l’air sain, de cette nature généreuse entourée de montagne. Depuis quelques années, on m’a confié l’élaboration du spectacle de fin de séjour pour plus de cinquante enfants âgés de 6 à 17 ans qui chantent, dansent et jouent la comédie avec brio. Ce sont de véritables comédies musicales dans lesquelles j’aime placer des références historiques, littéraires, éducatives et également écologiques.

 

Tout au long du séjour, j’observe ces jeunes participants et j’écris mon scénario en fonction des enfants présents chaque année. C’est un véritable challenge en ce qui concerne le travail de scénariste et metteur en scène. Chaque fois c’est une mise en abyme total, pour moi travailler dans l’urgence est très stimulant et productif. Lorsque j’arrive sur place rien n’est écrit (chaque millésime est une nouvelle histoire) mais je suis aidé lors des soirées à thèmes au cours desquelles les enfants exposent leurs propres idées. Ensuite je brode (au point de croix bien sûr) avec leurs rêves et je rajoute mes fantaisies. Ces spectacles ouvrent l’esprit des enfants et leur curiosité, cela leur fait comprendre le simple fait qu’ils ont chacun leur propre personnalité et qu’il est possible de réaliser ces rêves. J’essaye de transmettre aux enfants l’envie de faire la comédie, de chanter, de danser.

 

J’ai toujours trouvé le milieu de l’éducation rigide et pas très drôle, alors avec les enfants de « Tchornohora » j’essaye de transmettre mon savoir de façon ludique et avec amusement et beaucoup d’humour. Avec mes collaboratrices (Maroussia Jonyk, Anne Jonyk, Nathalie Markarian-Kuzma, Laura Budka) nous essayons d’offrir à chaque enfant cette passion de la culture ukrainienne que nous avons reçue de nos parents, pour que peut-être un jour elle germe en eux. Comme dit une métaphore dont je ne me rappelle plus l’origine, « un enfant c’est comme la flèche d’un arc, quand on la lâche nous ne pouvons plus rien pour elle ». L’impulsion est très importante. Malgré les responsabilités et la fatigue, cette implication nous nourrit intellectuellement. enfants.jpg

 

Cette année, le nom donné au spectacle était « Onze et une ». À la surprise générale, comme chaque année nous avons fait salle comble lors des deux représentations. 300 personnes ont eu le plaisir de voir le spectacle à Rochepaule : 150 personnes des villages avoisinant pour le vendredi 29 juillet et 150 parents et membres des familles d’enfants le samedi 30 juillet. J’ai eu la chance d’avoir entre autres à mes côtés cette année, Mila 6 ans qui a eu une cinquantaine de répliques et qui a joué la comédie telle une professionnelle. L’époustouflante Elisa 8 ans, dans le rôle d’une magicienne avec un jeu interactif, Aurélio 15 ans qui nous a fait une interprétation magistrale de « Suzi » d’Okean Elzy (pour les connaibroderie_houtsoule.jpgsseurs). Je ne peux tous les citer (je m’en excuse d’avance), ce sont des jeunes qui d’année en année me permettent d’être l’heureux témoin de leur évolution. Un vrai bonheur ! Les parents prennent également part à mes créations, les musiciens sont mis à contribution pour les enregistrements des playbacks dans un studio improvisé, d’autres à l’accroche des lumières, costumes, cuisine, etc…


Quelles richesses humaines allez-vous nous faire découvrir ces prochains mois ?


Concernant l’Ukraine, j’ai pour projet en 2012 de mettre en place une exposition sur les mineurs de charbon. La perception que portent beaucoup d’Ukrainiens à ce métier n’est pas la même qu’en France et je souhaite par le biais de ce projet faire évoluer les pensées, car pour avoir vécu le quotidien parmi ces hommes, je peux dire aujourd’hui qu’ils sont à mes yeux de vrais héros. Si ce projet peut faire évoluer la considération envers ces hommes, j’en serai ravi. Je viens d’une famille issue d’une minorité (les Houtsouls, habitants d’une partie des Carpates ukrainiennes) et je m’intéresse beaucoup à toutes les minorités. C’est ce qui a inspiré, en autres, mon projet d’exposition de photos en relief pour les personnes non-voyantes réalisé en 2008.

 

Précédemment, au cours de ma carrière de comédien, j’ai eu l’opportunité de mettre en place un spectacle s’adressant à un jeune public de personnes malentendantes. Je voudrais changer le regard des gens sur cette partie de la population, qui doit faire face au quotidien à une incompréhension ambiante, aussi je pense que nous devons nous qui en avons les moyens leur permettre de vivre tout simplement. Cela peut fonctionner, je l’ai ressenti lors de mon exposition sur les personnes non-voyantes, qui, à ma plus grande joie, a voyagé dans toute l’Ukraine (Kiev, Lviv, Donetsk, Symferopol, Odessa, Tchernivtsi, Dnipropetrovsk). Une prise de conscience du reste de la population, tout simplement (apparition de menus en braille dans les restaurants à Lviv, sonorisation pour non-voyants dans le métro à Kiev…etc.). Ce type d’exposition a pour but de réveiller les consciences, bien au-delà de l’attrait esthétique que peuvent procurer de belles images placées sur des murs.

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Les idées ne manquent pas, … avis aux « sponsors » et « mécènes » (rire). Cette année, j’ai fait un voyage extraordinaire à Madagascar où j’ai réalisé plusieurs reportages avec différentes minorités là encore. J’ai découvert les « Houtsouls » malgaches (sourire) qui vivent dans les montagnes dans des maisons en bois. Mais ce choix de vie devient de plus en plus difficile à cause de la déforestation intensive entre autres. Alors, ils se résignent et commencent à construire des maisons en terre qui est une tradition perpétuée dans d’autres régions de l’île. Ils font de la sculpture sur bois comme les Ukrainiens et c’est assez curieux de retrouver des similitudes entre des peuples si éloignés géographiquement.

Propos recueillis par Lesya Darricau-Dmytrenko

 

le site d'Youry Bilak

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