Le 18 mai de cette année ce fut la commémoration de la déportation des tatars de Crimée en 1944. Officiellement c’est 180 014 personnes, en fait beaucoup plus, d’après les données des tatars, il y en a eu 423 000 personnes dont la majorité était des femmes, des enfants et des vieillards. Ces déportations se sont faites vers les républiques de l’Asie centrale, surtout vers l’Ouzbékistan. Il y a eu 7889 décès pendant le voyage, source officiel… d’après le mouvement de libération tatar, on avance le chiffre de 195 000 personnes en incluant les six premiers mois « de séjour ».
Cette année après l’invasion russe et le soit disant referendum, la Crimée se retrouve isolée du monde. Les tatars n’ont tout simplement pas pu commémorer cette date à Simféropol, qui marqua cette tragédie. Quelques milliers ont pu le faire aux portes de Simféropol malgré le bruit des hélicoptères russes qui passaient en rase motte pour gêner la commémoration.
Le lundi 2 juin à l’Institut des langues orientales à Paris (l’INALCO) s’est tenu un colloque sur les tatars de Crimée. Très bonne initiative car malheureusement le peuple des tartares passe progressivement « aux oubliettes de l’information ». Un des leaders des tatares de Crimée, Refat Tchoubarov, qui est le président du Mejlis (le parlement tartare) a fait un exposé fort brillant. Il a demandé aux gouvernements français et européens de ne pas laisser tomber les tatares de Crimée, qui sont en ce moment 300 000 sur la péninsule, soit 14% de la population sur une population comptant un peu plus de 2 millions d’habitants (58% sont des russes et 25% d’ukrainiens).
Les habitants de Crimée connaissent en ce moment des moments difficiles, le rouble est devenu monnaie usitée depuis le début de juin, il parait que déjà 9000 personnes sont déjà parti vers l’Ukraine occidentale depuis l’agression russe, en majorité se sont des ukrainiens. Tout est bloqué au niveau de la société, les banques ukrainiennes sont parties, les ONG et les journalistes ont été mis au pas, de même que les religions. Le prêtre gréco-catholique de Simféropol a été expulsé, les églises orthodoxes sous l’autorité du patriarche de Kiev ont été fermées et les imams qui ne sont pas d’accord avec les nouvelles autorités sont traités d’extrémistes. Seul l’église orthodoxe sous l’autorité du patriarche de Moscou est épargnée…ce n’est pas un hasard ! ! !
D’après Refat Tchoubarov, on est revenu à situation de 1987, date à laquelle les tatares de Crimée ont pu commencer à revenir en masse vers la Crimée, sans d’ailleurs demander la permission des autorités qui ne voulaient pas qu’ils reviennent…suite aux recommandations de la commission de la Douma, présidé par un certain Andrei Gromyko… et là ils ont eu à faire aux colons qui étaient venus habiter à leur place. Tel est la situation aujourd’hui…. On a le sentiment que cette situation va perdurer, après ce pseudo-référendum… à titre de comparaison j’aimerai vous faire partager ma propre expérience de mon séjour en Crimée, que j’ai eu lors des élections législatives de 1997 en Ukraine.
Je fus envoyé comme observateur international du Congrès Mondial des Ukrainiens avec beaucoup d’autres personnes dans toute l’Ukraine. Ce fut Sébastopol pour moi, c’était le 30 septembre 2007, j’étais en compagnie des collègues dont la plupart étaient des Etats-Unis. Pendant le jour de vote on a visité plusieurs bureaux de vote, après 20 h on a assisté au décompte des voix. Le bureau clos au public, un milicien devant la porte, la commission électoral qui commence le dépouillement des bulletins de vote (qui sont des grandes paperasses pliantes), l’opération a duré une bonne partie de la nuit et se termina vers quatre heures du matin.
Il faut signaler que lors du vote, tout comme lors du dépouillement on avait droit de prendre les photos, de signaler au chef du bureau si des anormalités étaient constituées, les observateurs pouvaient prendre la parole après l’avoir demandé au chef du bureau. En tout cas ils ne pouvaient pas le faire directement. On portait sur notre veste un badge qui voulait dire que l’on est observateur. Lors du décompte de voix la langue la plus usitée était le russe et…l’ukrainien. Tout s’est passé tranquillement et à la fin j’ai eu le procès-verbal de la séance. Le jour suivant, je suis parti sur les ruines grecques du Chersonèse qui bordait la plage, puis j’ai nagé avec d’autres collègues dans la mer le 1er octobre, l’eau était fraiche et peu salée, bref j’ai un bon souvenir de ce séjour en Crimée. Ah j’oubliais… lorsque je me levais, je voyais de ma fenêtre deux mosquées, et entre les deux une cathédrale orthodoxe, vers midi j’entendais les prières des imams en haut des mosquées. La Crimée même s’il y avait des problèmes, les rapports entre les diverses communautés n’étaient pas aussi tendu qu’aujourd’hui, et malgré les gigantesques monuments staliniens dédiés aux soldats de la seconde guerre mondiale qui ornent Sébastopol, je me sentais à l’aise, à l’époque, je ne parlais pas encore le russe, et lorsque je parlais en ukrainien, je n’ai pas ressenti d’animosité à mon égard.
Aujourd’hui en 2014, les rapports entre les gens se sont dégradés, la communication s’est amenuisée. Selon Refat Tchoubarov, les nouvelles autorités pro-russes veulent faire partir les tatares de Crimée en leur rendant la vie impossible dans la péninsule… Le seul moyen de se sortir de cette situation, c’est un combat sans relâche des tatars pour leurs droits, un changement de régime en Russie, qui évoluera démocratiquement. Les Etats-Unis et l’Union Européenne doivent être une force d’appoint pour soutenir le combat des tatars…et l’Ukraine ?
Il est important que l’Ukraine se fasse le porte-parole des tatares de Crimée … faire entendre leur voix, je veux parler des assemblées tel que l’ONU, l’OSCE ou le Conseil de l’Europe.
Le voyage de Refat Bouratov ici en France ne doit pas rester vain, à nous tous de faire en sorte que la justice soit faite au peuple.
Vive les tatars de Crimée ! ! !
Par Bogdan MYTROWYTCH