Maria Matios, Laryssa Denysenko, Tymophiy Gavryliv, Evguenia Kononenko, Anton Kouchnir, Iryna Lykovych et Evguen Pologiy faisaient partie des 3000 écrivains du monde entier invités au 32eme Salon du livre parisien. Aucun d'entre eux n'a pour le moment été publié en français.
A Paris Expo - Porte de Versailles, le flot des visiteurs est continu. « Qu'on ne me dise pas qu’internet est un danger mortel pour le livre », fait remarquer un éditeur français qui tient un stand de littérature pour la jeunesse. L’arrivée des écrivains ukrainiens au salon s'est faite discrètement. « Nous avons décidé de commander une salle de conférence, mais pas encore un stand », explique Eléonora Symonova, directrice de la maison d'édition « Nora Drouk ». Elle souligne que l'essentiel, pour cette première intervention, était de créer de nouveaux contacts et de faire en sorte, pour la suite, que de nouveaux livres soient traduits de l'ukrainien vers le français. « Un petit territoire pour négocier tranquillement, c'est ce qu'il nous faut actuellement, estime l'éditrice. Pour un stand, il faudrait une participation de l'état ». Selon les organisateurs du voyage des écrivains, l'état ukrainien n'était pas hostile à cet événement, juste absent. Financièrement et physiquement. « Le comité d'état pour la télévision et la radio, chargé des maisons d'édition, démarre l'année budgétaire. Le Salon du livre de Paris n'est pas prévu dans la liste des événements qu'ils soutiennent, explique Eléonora Symonova. Ils ont simplement trouvé prudent ne pas s'engager... ». L'ambassade d'Ukraine, de son côté, ne s’est pas manifestée. Les diplomates n'ont pas trouvé le temps de faire une apparition le soir de la présentation ukrainienne. « L'état ne nous empêche pas de travailler, et c'est très bien comme ça ! » conclue Mykola Kravtchenko, un des organisateurs ukrainiens du voyage.
Les participants ukrainiens sont donc venus à Paris grâce à des soutiens privés. Les écrivains affirment que ce soutien d'hommes d'affaires et de personnalités politiques ne les oblige à aucune contrepartie publicitaire. Et qu'ils restent libres de travailler et de s'exprimer comme ils le veulent, même si en Ukraine la vie est loin d'être simple. C’est aussi grâce à des capitaux privés que les organisateurs ont édité et présenté pour la première fois un « Almanach de la littérature ukrainienne contemporaine ». Dans ce recueil, une notice biographique et un extrait d’oeuvre traduit en français présentent chacun des seize auteurs : Laryssa Denysenko, Anatoliy Dnistrovy, Tymophiy Gavryliv, Vassyl Kojelianko, Yevhenia Kononenko, Léonid Kononovytch, Anton Kouchnir, Lada Lousina, Irysia Loukovytch, Maria Matios, Ievhén Polojiy, Ivan Riabtchïi, Irène Rozdobudko, Natalka Snaidanko, Dmytro Tchystiak et Oxana Zaboujko. « Parmi tous ces écrivains, seules quelques poésies de Dmytro Tchystiak sont traduites par ailleurs en français », explique Anetta Antonenko, directrice de la maison d'édition « Calvaria ».
Mais les autres auteurs sont actuellement en lecture dans plusieurs maisons d'édition françaises. L'intérêt pour la littérature ukrainienne s'éveille petit à petit. En automne, nous emmènerons encore un groupe d'écrivains au Festival de la littérature européenne à Cognac. Ce sera la première fois que l'Ukraine participera à un tel événement culturel. Notre pays aura un statut d'invité spécial. Il sera le premier pays non-membre de l'Union Européenne à y avoir une telle présence ». On ne peut pas dire que la petite table de négociation occupée par les Ukrainiens ait attiré les foules. Pour autant, la vie ne s'est jamais arrêtée dans ce coin tranquille de Paris-Expo. Un photographe officiel s'exerçait à immortaliser l'Almanach en français. Un éditeur de province cherchait des romans étrangers sur la mer. Un agent littéraire négociait le droit de promouvoir des histoires policières d'Andriy Kokotuha... « Aujourd'hui, on ne trouve que les oeuvres d'Andriy Kourkov, Youri Androukhovytch et Lubko Derech dans les libraires francophones », regrette Iryna Dmytrychyn, professeur à l'INALCO. « Mais deux nouveaux romans sont en cours de traduction. Il s'agit de textes de Serguiy Jadan et Youri Androukhovytch. ».
Côté librairies, une nouveauté : la librairie du Globe, spécialisée en littérature russe, a profité de la venue d'écrivains ukrainiens pour ouvrir solennellement un rayon dédié à ce pays. Désormais on pourra y trouver des textes en ukrainien, mais aussi acheter l'essentiel des livres sur l'Ukraine sortis en français. Les premiers pas du livre ukrainien en France peuvent ainsi paraître modestes. Et ils le sont. Mais la tendance est manifestement ascendante. Nouvelles traductions, présence croissante dans les librairies, participation à de nouveaux événements culturels... Rien à voir avec le désarroi que l'on pouvait observer au stand russe, pourtant bourré de livres en français. « Je ne comprends pas pourquoi l'écrivain russophone le plus traduit dans le monde est un certain Andriy Kourkov, qu'on ne lit même pas en Russie ! » s'indigne un traducteur connu. Et c'est comme ça ! Le monde est assez grand pour que l'écrivain ukrainien Andriy Kourkov soit lu et édité partout, sans la bénédiction du Kremlin... « Cette génération d'écrivains ukrainiens a le défi des pionniers en Europe occidentale, estime un journaliste. C'est une grande épreuve, mais aussi une chance. » A eux d'en profiter et de trouver leur place dans les grandes librairies et les maisons d'édition prestigieuses.
Alla Lazaréva