CINÉ-CLUB UKRAINIEN - ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE
Lundi 7 novembre 2011, 19h, à l’Espace culturel de l’Ambassade
22, av. de Messine, Paris 8ème, M° Miromesnil. tel. 01 43 59 03 53
Entrée libre.
LA ONZIÈME ANNÈE (ОДИНАДЦЯТИЙ)
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Production : VOUFKOU, 1928, 53 mn, nb, muet
Scénario : Dziga Vertov
Réalisation : Dziga Vertov
Photographie : Mikhaïl Kaufman
Montage : Elisaveta Svilova
Genre : documentaire
En butte à la censure du Goskino moscovite, Dziga Vertov est invité en 1927 par la VOUFKOU à travailler en Ukraine, où il conclut un accord pour la réalisation d’un documentaire célébrant l'industrialisation du pays à travers la construction d'une centrale hydroélectrique sur le Dniepr, l’électrification des campagnes, les charbonnages et fonderies, la société mutant vers le militantisme communiste. Vertov parle de son film comme d’un opus réalisé de manière spontané, sans scénario, dans un langage socialiste cinématographiquement pur où s’entremêlent photographie et surimpressions et où l’emploi d’images doubles qui s’empiètent à différents rythmes, crée la véritable dynamique du film. C’est la première partie du film qui est la plus intéressante, puisqu’elle enregistre sous tous les angles le dynamitage du saut Nenasytets sur le Dniepr. La construction entre 1927 et 1932 de la plus grande station hydro-électrique d’Europe devait inonder les sauts du Dniepr et engloutir à jamais le patrimoine archéologique. À cet effet, le célèbre ethnographe Dmytro Yavornytskyi procéda en toute hâte aux ultimes fouilles de l’île de la Khortytsia qui contenait des trésors sarmates, scythes et cosaques. La superbe image récurrente d’un squelette scythe reposant en chien de fusil donne le ton au film : le passage de l’ancien au nouveau. Suspecté de formalisme, le film restera le moins connu des trois opus que Vertov réalisera en Ukraine, bien que dix mille spectateurs le virent durant les trois premiers jours de projection.
La Onzième année a aussi une autre histoire. Lorsque Vertov le présenta en Allemagne en mai 1929, la presse l’accusa de plagiat. Vertov aurait emprunté impunément des scènes, tirées du documentaire allemand de Albrecht Viktor Blum et Leo Lania Im Schatten der Maschine (Dans l‘ombre des machines). Vertov resta perplexe parce que le contraire était vrai aussi : son film n'avait pas encore été montré en Allemagne, et avait été dépouillé par Blum et Lania pour leur propre compilation. En effet, l’activiste communiste autrichien Albrecht Viktor Blum avait été engagé par la Volksfilmverband pour réaliser un court métrage sur un scénario de Leo Lania. Ce court métrage devait être un recueil d’extraits de films ukrainiens inédits et de quelques séquences américaines sur la base de 50 à 60 films visionnés. Le film de Blum s’appuyait principalement sur la cinquième partie du film de Dovjenko Zvenyhora (1928) – le réalisateur ukrainien lui-même s’était servi dans les stocks shot de ses collègues documentaristes -, et sur la dernière partie du film de VertovLa Onzième année. En réalité, Blum avait intégré dans son propre film, à partir du film de Vertov, 282 pieds (3'50’’ à raison de 20 images par seconde), presque inchangés. Ceci incita Vertov à récuser ces accusations dans la presse, bien que la Commission du Commerce Soviétique voulût étouffer l'affaire pour des raisons politiques. Du point de vue juridique, Vertov considéra l'affaire comme un plagiat et une infraction au copyright. De son côté, Blum déclara que son patron, la Weltfilm, l'avait empêché de citer les sources de son film à cause de la réglementation des quotas d’importation. Pour être déclaré allemand par le Comité de censure, le film devait être libre de toute matière étrangère. Mais autant que Blum, Dziga Vertov avait certainement visionné plusieurs travaux de ses collègues ukrainiens et s’en était approprié certains passages. La construction du barrage sur le Dniepr avait ameuté une foule d’équipes de tournage pour les actualités filmées de l’époque. Le documentaire Dniprohès de Hlib Zatvornytskyi exaltait la première grande édification jamais réalisée en Ukraine. Le réalisateur russe Victor Tourine, qui travailla en Ukraine entre 1924 et 1927, avait inclus des plans du Dniproboud dans son film de production kazakhe Turksib. Arnold Kordioum qui se préparait à tourner son film Le Vent des rapides, anticipa sa fiction avec le documentaire Bétonnage sur le Dniepr. C’est aussi à cette époque que Léonide Mohylevskyi, le futur Léonide Moguy, chef-monteur aux actualités et chroniques filmées de la VOUFKOU, signa à partir de 40 000 mètres de bandes d’actualités archivées ou privées les docus Comment c’était et Documents d’époque. Réalisé onze ans après la prise du pouvoir par les bolcheviks en Ukraine, La Onzième année est un autre exemple pratique de documentaire dans lequel le concept du reportage supplante celui de la propagande.
Lubomir Hosejko
LA SYMPHONIE DU DONBASS (ENTHOUSIASME)
СИМФОНІЯ ДОНБАСУ (ЕНТУЗІАЗМ)
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Production : Ukraїnfilm, Studio de Kiev, 1930, 68 mn, muet, nb.
Scénario : Dziga Vertov
Réalisation : Dziga Vertov
Photographie : Boris Zeitline
Musique : Extraits de La Marche de la symphonie du Donbas de Nemyrovskyi et du Premier mai (Symphonie n°3 en mi bémol majeur) de Dmitri Chostakovitch
Son : Nicolas Tymartsev, Petro Chtro
Genre : documentaire
En Ukraine, le cinéma sonore apparaît de manière hésitante au début des années 30. Résultant d’une décision politique qui privilégie l’industrie lourde aux dépens de l’industrie légère, le passage du muet au parlant se fera par étapes successives. Sur les quelques 110 longs métrages tournés en Ukraine entre 1930 et 1935, seule une vingtaine sera sonorisée ou conçue sonore selon trois catégories : les films naturalistes ou expérimentaux, les films à illustration ou accompagnement musical, les films de fiction parlant. Expérimental selon la conception théorique vertovienne, La Symphonie du Donbass est considéré comme le premier film sonore ukrainien, tous genres confondus. Appelé aussi Enthousiasme, ce troisième et dernier documentaire de Dziga Vertov tourné en Ukraine connut en 1931 un succès en Europe occidentale lors du passage de Vertov à Berlin, Hambourg, Breslau, Hanovre, Genève, Bâle, Paris et Londres. Mais une fois de plus le spectateur soviétique ne le suivit pas en raison du caractère expérimental de l’œuvre et sous l’effet défavorable de la critique de son film précédent L’Homme à la caméra. Initialement, dans ce documentaire sur l’industrialisation de la région houillère du Donbass, Vertov devait montrer comment les mineurs avaient voulu et pu atteindre en quatre ans seulement les objectifs que leur fixait le plan quinquennal, mais il s’enthousiasma pour un style lyrique enrichi par l’usage recherché des sons industriels et la musique de Nicolas Timoféiev et Dmitri Chostakovitch. Le son fut enregistré à l’aide de la première station mobile du cinéma sonore conçue par Alexandre Chorine, système encore balbutiant comparé aux techniques américaines ou européennes de l’époque. Le réalisateur et les preneurs de son travaillèrent avec acharnement, au jugé, sans possibilité de vérifier le résultat des enregistrements. Vertov recourut fréquemment aux surimpressions et aux collages aussi bien visuels que sonores. Le résultat fut plus que médiocre. Le réalisateur s’obstinait à user de son outil au maximum et finissait par empêcher toute perception normale de son propos. Lors des projections, il s’occupait lui-même des mises au point sonores, martyrisant les oreilles des spectateurs tant il montait le son des haut-parleurs. Bien que félicité par Charlie Chaplin qui, par sympathie et solidarité, considérait que c’était le meilleur film de l’année, Vertov n’obtint pas le succès escompté. Véritable symphonie du vacarme des machines, avec des enregistrements synchrones de voix humaines tantôt sourdes, tantôt tonitruantes, ce documentaire allait dans le sens du contrepoint sonore qu’inférait la théorie du ciné-œil/ciné-oreille - capter le son sur le vif et le dissocier au minimum de l’image -, mais le résultat fut plus cacophonique que de l’ordre d’une expérimentation avant-gardiste formelle. La bande-image primait sur la bande-son. Opposant l’ancien au nouveau dans un style très proche du reportage, Vertov s’attarda sur les fidèles dans les espaces cultuels qui allaient être désacralisés et repris par les activistes communistes. La séquence de la démolition du bulbe de l’église et son remplacement par l’étoile rouge est en son genre un spectacle visuel rarement égalé. La caméra chancelle face à des titubants ivrognes. Interactive, elle se faufile dans les fanfares militaires, les défilés du komsomol, mais reste contemplative, en contre-plongée frontale, face au secrétaire général du PCU Stanislav Kossior, l’un des futurs responsables du holodomor en Ukraine. De superbes séquences à effet visuel réalisées dans les fonderies rehaussent ce documentaire de commande et de propagande sociale.
Lubomir Hosejko