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19 mars 2013 2 19 /03 /mars /2013 15:51

CINÉ-CLUB UKRAINIEN

ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE

 

22, av. de Messine, M° Miromesnil. Tél. 01 43 59 03 53

 

Mardi 2 avril 2013, 19 heures

 

76-ème séance

entrée libre

 

en présence de la réalisatrice Michale Boganim

 

et de

 

l’actrice Olga Kourylenko

(sous réserve)

 

LA TERRE OUTRAGÉE

(ЗЕМЛЯ ЗАБУТТЯ)

vostf

 

Production : Les Films du Poisson, ARTE France, Nikovantastic Film, Apple Film Productions, 2011, 108 mn, coul.

Scénario : Michale Boganim, Anne Weil, Antoine Lacomblez.

Réalisation : Michale Boganim

Photographie : Yorgos Arvanitis, Antoine Heberlé

Décors : Bruno Margery

Musique : Leszek Możdżer

Son : Frédéric de Ravignan, François Waledisch

Interprétation : Olga Kourylenko, Andrzej Chyra, Illya Iosifov, Serhiї Strelnikov, Viatcheslav Slanko, Nicolas Wanczycki, Nikita Emshanov, Tatiana Rasskazova, Julia Artamonov, Natalia Bartyeva, Maryna Bryantseva, Vladyslav Akulyonok

Genre : drame

Récompenses : Prix du public: Festival du Film d'Angers, Prix du public du 29ème Festival International du Film d’Environnement. Scénario lauréat de la fondation GAN.

 

Synopsis

 

Alors qu’Ania et Piotr célèbrent leur mariage à Prypiat, non loin de Tchornobyl, un accident se produit à la centrale nucléaire. Piotr, pompier réquisitionné, n’en reviendra pas. Alexeï, ingénieur à la centrale, tente d’alerter la population, mais il est condamné au silence par les autorités. Dix ans plus tard, Ania est devenue guide dans cette ville fantôme érigée en site touristique.

Opinion

Seconde fiction prenant pour sujet la catastrophe de Tchornobyl, après La Désintégration (1990) de l’Ukrainien Mykhaïlo Biélikov, La Terre outragée est aussi le premier long métrage de Michale Boganim, cinéaste franco-israélienne, remarquée pour son documentaire Odessa… Odessa. Il retrace les destins croisés d’individus qui ont vécu la tragédie et qui en portent les séquelles physiques et psychiques. Sorti sur les écrans en même temps que Un Samedi comme les autres du Russe Alexandre Mindadze et le film d’épouvante Chroniques de Tchernobyl de l’Américain Bradley Parker, il diffère de ces films décalés par son message  sur la survivance mémorielle des êtres et des faits.

la_terre_outragee.jpg Olga Kourylenko dans La Terre outragée

 

Tourné en français, en russe et en ukrainien, selon le rôle et l’origine des personnages, le film porte le titre ukrainien La Terre oubliée (Земля забуття) dont le sens est relié à Tchornobyl - sémantiquement herbe de l’oubli -, et semble générer un sentiment de terre devenue étrangère à tous ses habitants et où le temps semble arrêté. À vrai dire, le titre français paraît plus juste. Maintes fois outragée, la terre d’Ukraine vit une nouvelle fois une calamité anthropique, la plus grave que puisse connaître l’humanité. Pourtant, cette calamité est évoquée de manière distanciée, rejetant tout élément spectaculaire, morceau de bravoure ou effets spéciaux de film-catastrophe. Le film n’a rien de didactique, sa narration suit un schéma linéaire, avec une absence totale d’héroïsme individuel ou collectif, et le regard de la caméra ne constitue pas forcément le regard de la mort. Si héroïsme il y a, c’est le combat contre l’amnésie, aussi insidieuse que les radiations. En dépit des diverses contraintes de la part de l’administration ukrainienne dans l’enregistrement de certaines scènes in situ, les techniciens ont eu le mérite d’avoir effectué un travail approfondi et soigné sur le son. Dès les premières minutes, on devine une sourde explosion dans le lointain qui se perd dans les grondements de l’orage et le bruit des sabots de cerfs galopants. Puis vient le silence qui tel une chape de plomb s'abat sur la ville de Prypiat. Parfois, dans ce silence, on distingue un bruit de fond provenant non pas de la radioactivité naturelle permanente, mais d’une tension sourde, d’un son extra diégétique généré en surface par un mal invisible.

 

Le choix de la réalisatrice d’effectuer une ellipse dans le temps, dix ans après la catastrophe, reste louable, mais peut paraître anachronique au vu des événements. En réalité, en dehors des expéditions scientifiques, le tourisme à Tchornobyl avait débuté clandestinement pour les amateurs de l’extrême dès les années 90, et avait fini par rejoindre cette banalisation bien monnayée en 2011, l’année où les excursions furent autorisées dans un périmètre de sécurité défini et proposées par des agences spécialisées basées à Kiev. Au contraire, pour la réalisatricetout ne se passe pas comme si le tourisme permettait de fixer l’état catastrophique des lieux dans un décor évolutif. Elle nous fait pénétrer dans un lieu de glaciation où la vie reste hypothétique pour ceux qui y ont vécu et continuent à y vivre. Dans un monde marginal qui essaie de se reconstruire se dégagent deux personnages d’exception. Ania, guide touristique dans la zone interdite qui ne quittera pas son pays pour un étranger, mais y restera, résignée, pour témoigner et lutter contre l’oubli ; Alexeï, ingénieur à la centrale, déterminé à se battre contre l’inconscience, le déni de la radioactivité ambiante, et qui ne pourra plus vivre avec le mensonge d’État dans un système qu’il croyait transparent. Le personnage d’Ania est incarné par Olga Kourylenko, révélée dans le rôle de la James Bond girl dans Quantum of Solace de Marc Foster. Elle interprète le rôle émouvant d’une très jeune veuve qui ne parvient pas à faire son deuil et vit deux histoires d’amour, l’un avec l’ami ukrainien de son mari défunt, l’autre avec un Français. Le rôle d’Alexeï est tenu par l’acteur polonais Andrzej Chyra qui incarna le célèbre syndicaliste Lech Walesa dans le téléfilm L’Héroïne de Gdansk de Volker Schlöndorff. Effondré par l’ampleur des événements, il est atteint de folie, et ne sera jamais délivré de son errance métaphysique.

La Terre outragée est aussi celle de l’Ukraine profonde, soviétique et post-soviétique. Ici et là, quelques clichés émaillent son imagerie: femmes lavant le linge dans la rivière, vol de cigognes, repas sur les tombes le dimanche de Pâques, photo de mariage sous la statue de Lénine, malanka et son cortège carnavalesque… Cependant, cette imagerie n’est nullement un album de chromos kitsch, tant il est vrai que ces lieux communs s’insèrent dans la trame reconstituant la vie à Prypiat, avant et après l’accident, et ne sont aucunement des raccords spatio-temporels pour appuyer la fascination du désastre. Outre ces tableaux ethnographiques, le film abonde de références cinéphiliques. C’est le pommier planté par le père du petit Valéry, la veille de la catastrophe - clin d’œil à l’univers panthéiste rencontré dans La Terre d’Alexandre Dovjenko, et à la séquence tarkovskienne, où un cheval mange des pommes (L’Enfance d’Ivan). Et c’est bien de cette terre contaminée, qui reprend légitimement ses droits, qu’un vieux garde forestier offre des pommes aux touristes sans le moindre souci. Par analogie au film du Japonais Shohei Imamura Pluie noire (1989) dans lequel une pluie noire s'abat sur la mer et sur les passagers d’une embarcation, la scène de la noce reste sans doute la plus frappante. Ceux que cette pluie a souillés ne savent pas encore qu'ils ont été irradiés. Ceux de la noce sur les bords de la rivière Prypiat, non plus. Même si dans la réalité il n’y eut ni orage, ni toute autre intempérie ce jour-là dans la région de Tchornobyl, la référence au film japonais est juste et puissante. Elle est le premier marqueur radioactif venant d’un élément qui va frapper sournoisement la population, dans une nature où lentement la mort s'installera.

Cette honnête fiction est nourrie parfois de correspondances métaphoriques, tel le rappel biblique du paradis perdu, d’où l’Homme est chassé sans espoir de retour. Conquise par les animaux sauvages, squattée par des clandestins chassés eux-mêmes par les humains, cette terre devrait devenir dans cent ans une future mégapole et ville-musée, comme veut le faire croire le maire de Slavoutytch dans un discours captieux vantant le tourisme industriel. Mais l’Ukraine, dont la terre a été violée pendant des siècles, son tchernoziom emmené un temps par convois entiers, ses populations affamées et déplacées, peut-elle encore prétendre rester un pays de cocagne ? La réponse ne se trouve ni dans l’Apocalypse de Saint-Jean dont les commentateurs s’étaient saisi, ni dans une fable à valeur cathartique… Ou alors, dans l’ultime plan du film effectué en travelling latéral sur des flaques d’eau toujours gorgées de substance radioactive. Réalisé quart de siècle après la catastrophe de Tchornobyl, La Terre outragée est déjà perçu comme un film-paradigme pour d’autres fictions au postulat identique, dont la toute récente du cinéaste japonais Sono Sion Terre d’espoir.

Lubomir Hosejko

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