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17 mars 2012 6 17 /03 /mars /2012 13:58

CINÉ -CLUB UKRAINIEN

ESPACE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’UKRAINE

 

Mardi 3 avril 2012, 19h, à l’Espace culturel de l’Ambassade

22, av. de Messine, M° Miromesnil.

Entrée libre.
Réservation souhaitée au 01 43 59 03 53

 

 

PILSUDSKI SOUDOYA PETLURA

(ПКП – Пілсудський Купив Петлюру)

vostf

 

Ciné-concert 

 

Production : VOUFKOU, Studio d’Odessa, 1926, 68 mn, nb, silencieux

Scénario : Hryhoriї Stabovyi, Alexandre Lifchyts

Réalisation : Axel Loundine, Hryhoriї Stabovyi

Photographie : Marius Goldt, Fédir Verygo-Darovskyi, Heorhiї  Drobine, I. Houdyma

Décors : Solomon Zarytskyi, S. Khoudiakov

Interprétation : Mykola Koutchynskyi, Youriї Tioutiounnyk, Natalia Oujviї,  Ivan Kapralov, Mykola Nademskyi, Boris Zoubrytskyi.

Genre : drame historique

 

Accompagnement au piano - Myron Mytrovytch, pianiste à l’Opéra de Paris

 Affiche-Pilsudski-soudoya-Petlura.jpg

 

Synopsis

Au début des années 20, l’otaman Simon Petlura cède l’Ukraine occidentale à la Pologne. Le pays est pillé. Des convois interminables partent vers l’Ouest avec sucre, céréales, produits manufacturés, bientôt attaqués par la cavalerie rouge de Kotovsky. Défaite, l’armée ukrainienne est internée dans des camps sur le territoire polonais. Siégeant à Tarnów, le gouvernement en exil continue d’entretenir des liens avec ses partisans en Ukraine dans le but de fomenter un ultime soulèvement populaire contre les Soviets. Avec une petite armée mal équipée, l’otaman Yourko Tioutiounnyk se lance en plein hiver dans un raid à travers l’Ukraine. S’enfonçant dans les lignes ennemies, il est pris au piège. La conspiration déjouée, l’aventure nationaliste est liquidée à l’issue de la bataille de Bazar. Tioutiounnyk réussit à s’enfuir vers la Pologne.

 Photogramme-Pilsudski-soudoya-Petlura-2.jpg

Opinion

Dans le but de stigmatiser et de ridiculiser les milieux indépendantistes ukrainiens ainsi que leur chef Simon Petloura, les autorités soviétiques passent, en 1925, une commande appropriée à la VOUFKOU - la réalisation d’un agitfilm intitulé Pilsudski Soudoya Petloura (Пілсудський Купив Петлюру). Le scénario est conçu par Alexandre Lifchyts et Hryhoriї Stabovyi, la mise en scène confiée à Axel Loundine, puis à Hryhoriї Stabovyi. Considéré à l’époque comme réalisateur majeur du Studio d’Odessa, Piotr Tchardynine persuade l’ex-général petlouriste Youriї Tioutiounnyk d’incarner son propre personnage dans le film. Deux ans auparavant, en juin 1923, ce dernier avait décidé de rejoindre secrètement l’Ukraine Soviétique pour diriger un nouveau soulèvement contre les Bolcheviques, mais il fut arrêté aussitôt après avoir franchi le Dniestr. Contraint de collaborer avec le pouvoir communiste, Tioutiounnyk travaillera comme instructeur militaire, puis comme scénariste à la VOUFKOU, notamment sur le film d’Alexandre Dovjenko Zvenyhora. Arrêté de nouveau en 1929, il  sera fusillé en octobre 1930 à Moscou.


Annoncé à grand renfort de publicité, le film sortit sur les écrans le 28 septembre 1926, quatre mois après l’assassinat de Petlura à Paris, et près d’un an avant le procès de Samuel Schwartzbard. Le destin de ce film fut atterrant. Montré initialement dans sa totalité, puis remonté, passant de 3421 à 2500 mètres, il fut amputé de sa quatrième partie, probablement celle où se déroulaient les pogromes. Le film fut envoyé en France et en Allemagne dès la fin de 1927, à l’issue du procès Schwartzbard. Quelques années plus tard, il sera totalement interdit. La raison invoquée était que certains des personnages du film avaient subi entre temps des répressions ou avaient été liquidés, le général Tioutiounnyk en premier. Le chef de la cavalerie rouge Grigory Kotovsky, qui avait donné, lui aussi, son accord pour s’auto-interpréter dans le film, fut mystérieusement tué peu avant le tournage, en août 1925, et remplacé par le comédien Boris Zoubrytskyi. Mais le remontage du film résultait essentiellement du fait que l’exemplarité du procès Schwartzbard (pendant la guerre civile, Schwartzbard avait été responsable d’une  brigade spéciale de cavalerie juive sous les ordres de Kotovsky dans le sud de l’Ukraine) tenait moins au verdict qu’à la spécificité de l’événement, notamment à la question de l’antisémitisme présumé de Petlura et de sa responsabilité dans les pogromes. Le procès avait été suivi par le journaliste Bernard Lecache, qui avait été envoyé en Ukraine par le fondateur du journal Le Quotidien, Henri Dumay, pour enquêter sur ces pogromes. Au terme de trois mois d'enquête, Lecache publia les résultats de son enquête en février et mars 1927. Son récit parut sous forme de témoignage dans un livre intitulé Quand Israël se meurt. Au pays des pogromes. Lecache raconta que, pendant son séjour à Kharkiv, il avait eu une entrevue avec la direction de la VOUFKOU, notamment avec le scénariste Alexandre Lifchyts. Après avoir visionné durant six heures trois longs métrages ayant pour thème la guerre civile en Ukraine - P.K.P., La Tragédie de Trypillia, L’Animal des bois -, Lecache demanda à voir Tioutiounnyk. Il le vit effectivement, mais n’obtint de lui qu’un mutisme total, contrairement à l’ancien ministre petluriste aux Affaires juives Pinkhas Krasnyi qui venait de solliciter  une rencontre avec le journaliste français dans le but d’accabler Petlura et d’obtenir sa propre réhabilitation aux yeux de l’humanité. Krasnyi assura Lecache qu’il se libérerait de ses obligations, si l’avocat Henry Torrès l’appelait à la barre au procès Schwartzbard. Bien qu’amnistié par les Soviets, Tioutiounnyk était constamment sur ses gardes. Méfiant, il devina que Lecache allait livrer des témoignages accablants sur les pogromes et donc lier son nom à Petlura. Quant aux autorités soviétiques, qui elles-mêmes avaient pris part aux pogromes, elles avaient tout intérêt à supprimer les scènes compromettantes, ce qui se confirmera tout au long de l’histoire du cinéma soviétique.

 

La dramaturgie du film, qui suggérait les paysans ukrainiens à décrypter l’abréviation PKP (Polskie Koleje Państwowe - Chemins de fer polonais) en Pilsudski Soudoya Petloura (Пільсудський Купив Петлюру), déroulait un récit basé sur des faits historiques en tableaux, certes, raisonnés, mais coulé dans un moule au concept hideux, montant les spectateurs ukrainiens les uns contre les autres. Les innombrables coupures opérées par séquences entières livraient une vision parfois chaotique, difficile à suivre. On ne sait qui tirait sur qui, d’incessantes cavalcades et courses-poursuites altéraient le fil conducteur du sujet, son rythme et sa cohérence narrative. Cependant, l’intérêt de ce film  résulte de la distribution et, a fortiori, de la mise en situation scénique de l’acteur. On y découvre Yourko Tioutiounnyk en chair et en os dans des scènes entièrement reconstituées, très proches du documentaire, notamment celles tournées dans le cercle des officiers supérieurs polonais. Le rôle de Petloura (sur l’affiche du film Petlura est représenté en compagnie de femmes dévoyées) est tenu par l’acteur Mykola Koutchynskyi, un véritable sosie, remarqué sur le plateau du film Benia Kryk en cours de réalisation. En 1928, Koutchynskyi interprétera le rôle de Petlura dans Arsenal de Dovjenko, mais la scène dans laquelle il apparaissait sera censurée. La jeune débutante Natalia Oujviї, dont le nom défile au générique de plusieurs films produits cette année-là, incarne le personnage de la belle espionne Gala Dombrowska. Dans l’épisode de beuverie dans le bar américain à Tarnów, on croit discerner, l’espace d’une fraction de seconde, le visage hilarant d’Alexandre Dovjenko accoudé au zinc. Le jeune cinéaste jugera quelques années plus tard ce film plus que médiocre, compte tenu de son passé dans l’Armée de Petlura et de sa volonté affirmée de se démarquer de Tioutiounnyk.


Quant à l’Histoire, ce Second raid hivernal de l’Armée Nationale Ukrainienne se termina de manière tragique près de la petite bourgade de Bazar, au nord-ouest de Kiev. Encerclés par la cavalerie rouge, 358 soldats y furent fusillés. Tioutiounnyk se replia avec les restes de son armée et s’enfuit vers la Pologne, grâce à un chef d’escadron de la cavalerie de Kotovsky, un Cosaque du Kouban qui avait sympathisé avec les Ukrainiens et qui ne lui bloqua pas le passage d’un pont sur la rivière Zvizdal. La scène finale de l’exécution des insurgés a-t-elle été incluse dans le scénario, enregistrée par l’opérateur, censurée au montage ? La copie existante laisse croire, tant aux historiens qu’aux spectateurs, qu’elle a été volontairement éludée par les commanditaires et les auteurs du film, puisque les 358 fusillés de la bataille de Bazar faisaient déjà à l’époque l’objet d’un véritable culte dans toute l’Ukraine.

Ignoré pendant 80 ans, cet incunable du cinéma muet ukrainien à de nouveau été projeté le 1er novembre 2007 à Kiev dans sa version non restaurée. Il servira de matériau iconographique au documentaire Opération Tioutiounnyk, réalisé par Natalia Barynova pour la Première chaîne de la télévision ukrainienne en 2009.

Lubomir Hosejko

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