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12 février 2015 4 12 /02 /février /2015 14:53

AlainGuillemoles.jpgAlain Guillemoles, journaliste, spécialiste de l'Europe de l'Est est auteur du livre "Ukraine. Le Réveil d'une nation" qui sortira le 19 février 2015 aux éditions Les Petits matins.

Quelles sont les racines de la révolution de la dignité ukrainienne ?    

La révolution, telle que je l'ai vue, est née d'une certaine forme d'exaspération, liée à des circonstances particulières: le désir de signer le traité d'association avec l'Union européenne, et une colère contre la personne même du président Ianoukovitch. 

Mais cette révolution vient en fait de beaucoup plus loin. Elle a des racines profondes. On peut dire qu'elle répète le message déjà lancé lors de la révolution orange de 2004. Ou celui, plus ancien, affirmé lors de la première tentative d'organiser une Ukraine indépendante, après 1917. Ou bien encore celui des révoltes cosaques contre les Polonais, au 17 ème siècle. 

Dans mon livre, j'ai voulu souligner cela. Il y avait, sur le Maidan, durant la révolte de l'hiver dernier, une ambiance qui faisait songer à ce qu'à pu être le "sitch" des cosaques Zaporogues, avec ses centuries, sa démocratie directe, son mode d'organisation collectif et égalitaire... 

La révolution ukrainienne de 2014 était en fait une manifestation de la volonté d'indépendance des Ukrainiens, de leur désir de vivre libres et de construire leur nation selon un projet très différent de celui proposé par Vladimir Poutine et la Russie... 

C'est pourquoi j'ai voulu expliquer cela plus en détails. Il m'a semblé qu'il fallait essayer de porter un regard plus global sur ces événements, pour tenter d'en montrer le sens profond, au-delà des circonstances. J'ai voulu éclairer certains épisodes qui n'ont pas forcément été compris sur le moment. Par exemple, je reviens sur les circonstances de la chute de Viktor Ianoukovitch, que j'essaye d'expliquer d'une manière un peu différente que ce qui a été raconté, à l'époque, dans les articles écrits "à chaud". 

Comment définiriez-vous les contours de la Nation ukrainienne, 23 ans après son accession à l’indépendance? 

Ces 23 ans sont une bonne partie de ma propre vie. Je me suis rendu en Ukraine pour la première fois en 1994. J'y ai ensuite habité deux ans. Puis une fois rentré en France, je n'ai pas cessé d'y retourner. J'ai donc vu changer ce pays, durant ces 20 années. 

Dés mon premier séjour, j'ai senti qu'il s'y passait quelque chose de particulier, que le pays était en proie à de grands bouleversements. Après la fin de l'oppression soviétique, le sentiment ukrainien a pu renaître et les habitants tenter de se réorganiser selon leur culture, retrouver leurs racines et se réapproprier leur histoire. C'est un processus difficile, mais fascinant, qui explique pourquoi je suis toujours attiré par ce pays. Car j'ai vu, durant toutes ces années, l'Ukraine petit à petit revenir à elle-même. 

Avec le Maidan et la guerre, ce processus s'est accéléré. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi comme titre: "Ukraine. Le Réveil d'une nation". Car je crois que cela résume bien ce qui se produit en ce moment. 

L'Ukraine est un pays qui souffre, du fait de l'agression à laquelle elle fait face. C'est tragique. Mais c'est aussi un pays en train de se réveiller, de prendre conscience de ses capacités et de retrouver son identité et sa force vitale. Et cela est un processus plus heureux.  

      couverture-Alain-Guillemoles.jpg

Comment expliquez-vous que certains milieux politiques et médiatiques français continuent à douter de la légitimité de la souveraineté de l'Ukraine ? 

L'histoire est toujours racontée par les vainqueurs, on le sait. Or l'URSS fut un pays vainqueur de la seconde guerre mondiale. C'est donc elle qui a imposé sa vision des événements historiques passés. On n'a pas fini de découvrir à quel point elle a menti, notamment en ce qui concerne l'Ukraine.... 

Malheureusement, la vision historique forgée par l'URSS s'est imposée largement, bien au-delà des cercles communistes français. C'est donc cette vision qu'il faut encore remettre en question, aujourd'hui, pour tenter de lutter contre la grande ignorance qui entoure le fait Ukrainien. Je pense qu'il y a encore beaucoup de travail à faire, sur ce sujet. 

Cependant, les événements actuels obligent chacun à se poser des questions. Ils sont l'occasion de revenir sur l'histoire et de rétablir certaines vérités. Et j'essaie de contribuer à le faire. 

 

Avez-vous ressenti une évolution de la perception de la nation, de l'Etat et du pouvoir institutionnel par le citoyen ukrainien ces dernières années ?  

Le sentiment national s'est consolidé en Ukraine depuis 20 ans. Et cela s'est accéléré depuis le début du Maidan, qui est devenu le symbole d'un effort national pour s'émanciper. 

En revanche, l'Etat ukrainien reste un rêve et un projet, au sens ou l'Etat actuellement existant, en Ukraine, reste très défaillant. Il a du mal a assurer la défense du pays, a lever des impôts ou assurer l'équilibre du budget. La douane continue de fonctionner assez mal, la justice aussi. L'Etat ukrainien se renforcera si les réformes portent leurs fruits. Mais il est difficile de réformer un pays sous la pression de la guerre... Cela signifie que, dans le meilleur des cas, il faudra du temps.

Enfin, il faut ajouter que les Ukrainiens n'ont guère confiance dans leurs dirigeants. Ils ne croient plus dans les promesses des hommes politiques. Ils pensent qu'il faut surveiller ces dirigeants pour essayer de faire en sorte qu'ils tiennent leurs promesses. Mais ce phénomène est assez répandu et concerne aussi d'autres pays que l'Ukraine... 

 

Voyez-vous des similitudes entre l'esprit de Maidan et la grande marche républicaine du 11 janvier dernier à Paris ?

Oui, je vois des similitudes. Même si les deux mouvements ont des origines très différentes, il y a eu dans les deux cas un sursaut citoyen, un besoin de sortir dans la rue qui a rassemblé des gens de bords politiques différents, mais qui voulaient tous exprimer un sentiment politique profond qu'ils avaient en partage. Dans les deux cas, ils ont voulu dire: "nous sommes debout, libres, et nous ne renoncerons pas à nos valeurs". 

Certes, dans le premier cas, il s'agissait de se dresser contre la pression du pouvoir et dans l'autre, contre l'action de terroristes. Mais lors de ces deux manifestations, il était question de liberté, une valeur qui est chère aux Français, comme aux Ukrainiens, et autour de laquelle nous pouvons assez facilement nous réunir. 

Propos recueillis par Olga Gerasymenko


Les rencontres prevues avec l'auteur autour de son livre:

- vendredi 20 février 2015, au Centre culturel ukrainien (22 avenue de Messine, 75008 Paris) à partir de 19h

- samedi 21 février 2015, à la Médiathèque de Limay (8 Avenue du Président Wilson, 78520 Limay) à partir de 15h
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