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10 janvier 2014 5 10 /01 /janvier /2014 22:40

jeanleroche.jpgInterview de Jean Le Roche, directeur d’une école française à Odessa.


- Quels étaient les motifs et le contexte de l’ouverture de l’école ? Est-elle agréée par les ministères de l’éducation des deux pays ?
Je suis un entrepreneur qui œuvre dans un secteur passionnant et peu commun, le développement d'écoles françaises à l'étranger. Après la création en 2010 du Collège International Français de Sarajevo (CIFS), il m'est apparu que le réseau des écoles françaises est exclusivement implanté dans les pays d'influence française traditionnelle et/ou dans les capitales.


L'argument invoqué par les services de l'Etat chargés de l'enseignement français à l'étranger, pour expliquer cet état de fait, est d'ordre financier. Sans la base que constituent les clientèles captives des enfants des familles françaises expatriées et des enfants des familles du corps diplomatique il n'y aurait aucune perspective d'auto suffisance financière.


Ne partageant pas cette analyse, je souhaitais valider ma conviction au moyen d'un test grandeur nature. A ce titre, Odessa dispose de certains arguments.


L'Ukraine est un pays émergent de la zone CEI dont Odessa, avec son million d'habitant, n'est pas la capitale tout en étant cosmopolite et ouverte sur le monde. Par ailleurs, hormis Kiev, il existe 5 villes de plus d'un million d'habitants en Ukraine, ce qui autorise de substantielles perspectives de développement.


Et puis il existe une Histoire partagée entre Odessa et la France tout à fait prodigieuse. Je recommande à chacun d'écrire « Armand Emmanuel du Plessis, Duc de Richelieu » dans le moteur de recherche de leur navigateur internet, pour découvrir une page magnifique et méconnue de l'histoire de France.


Pour les écoles que j'ai l'honneur de développer, je recherche systématiquement l'homologation par le Ministère Français de l'Education National, qui constitue le seul cahier des charges indiscutable garantissant la qualité de l'enseignement dispensé.


Mais cette homologation n'est jamais préalable, elle ne peut s'obtenir qu'après inspection pédagogique et passage en commission d'homologation. Il faut donc d'abord exister et atteindre une taille critique afin de pouvoir s'inscrire dans une campagne d'homologation. C'est exactement le processus dans lequel nous sommes engagés à Odessa.


Parallèlement, nous continuons la discussion avec la représentation régionale du Ministère Ukrainien de l'Education en vue d'obtenir la licence ukrainienne. Même s'il n'aura échappé à personne que dans le contexte de la non signature de l'accord Ukraine-UE, l'administration ukrainienne traverse actuellement une période d'incertitudes.


- Combien d’élèves et de professeurs comptez-vous à ce jour?
L'école compte aujourd'hui 40 élèves, 2 Professeurs des écoles français dont un Chef d'Etablissement, 3 assistantes bilingues, 1 professeur d'Anglais, 1 professeur de Russe et 1 Directeur Administratif.

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- Quelles sont les attentes des élèves et des parents ?
Les élèves attendent naturellement la prise en compte de leurs désirs et sont en constante recherche de nouveautés. Ils recherchent la distraction, ce qui est assez antinomique avec l'apprentissage des règles, ce qui est le propre de la petite école. En ce qui concerne l'enseignement en français les élèves n'ont, si j'ose dire, pas d'opinion, les parents sont prescripteurs quand aux choix des langues d'apprentissage.


Les attentes des parents sont assez claires:


- l'école doit dégager une image "statutaire"
- l'organisation et les règles doivent être connues d'avance, aucune place ne doit être laissée à l'imprévu. Les règles qui diffèrent du système ukrainien sont difficiles à mettre en œuvre. Par exemple, l'absence de collation matinale, (ndlr formellement déconseillée par le Ministère Français de l'Education Nationale) ou encore le respect des horaires.
- Les parents attendent un niveau d'enseignement très supérieur à celui des autres écoles. Et confondent souvent qualité et quantité. Un Professeur qui donne peu ou pas de devoirs à la maison est perçu comme moyen voire pire. . Traditionnellement, les parents ukrainiens investissent massivement dans les cours particuliers, et sont assez incrédules lorsque nos enseignants leur conseillent de "laisser un peu respirer leurs enfants".
- les maths avant tout ! Le niveau de l'enseignement des mathématiques sert de référence pour apprécier le niveau général de l'école.
- les parents dont le projet scolaire pour leur enfant inclut un passage par l'étranger sont parmi nos meilleurs soutiens.

- Le rythme scolaire est différent en France et en Ukraine. Comment fonctionne l’école? Quels sont les avantages et les inconvénients de chaque rythme ?
En tant qu'école française nous appliquons strictement les programmes français. Aussi bien en terme de rythmes scolaires, de progression et de suivi pédagogique. Ce qui ne va pas sans poser des problèmes avec certains parents qui veulent absolument accélérer le rythme des apprentissages

Rappelons que l'école maternelle est une" école", c'est à dire un lieu d'acquisition de connaissances et de socialisation avec des objectifs de progressions. C'est une spécificité française. En Ukraine comme dans tous les pays de la région, la scolarité commençait traditionnellement à 6 ans.


Avant cette entrée à l'école l'enfant était soit confié aux bons soins des grands parents, soit mis en garderie.

Pour faire une comparaison synthétique (et forcément un peu réductrice) entre les deux systèmes; je dirai que si le but du système ukrainien est d'enseigner des connaissances à l'élève, l'objectif du système français est de lui apprendre à apprendre.

Enfin, notons que 90% de nos élèves étant primo arrivants (non francophones) une place très importante est accordée à l'enseignement du FLE (français langue étrangère) durant le premier semestre.


- Que pensez-vous de la réforme du rythme scolaire qui est en train de se mettre en place en France?
La réforme des rythmes scolaires actuellement mise en œuvre est, de toute évidence, une bonne réforme puisqu'elle vise à optimiser la charge de travail scolaire des enfants. Par contre sa mise en œuvre, plus précisément les charges supplémentaires qu'elle occasionne aux municipalités, provoque un débat tendu, parfois même enflammé.


En clair une réforme importante et nécessaire est remise en cause sur la base d'arguments financiers et administratifs. Il ne m'appartient pas de commenter les attitudes des uns et des autres, mais il semble que bon nombre de collectivités territoriales françaises ne placent pas l'enseignement en position prioritaire lors de leurs arbitrages budgétaires.

- Etes-vous en contact avec vos collègues de l’école publique ukrainienne ? Est-ce qu’ils vous font part de leurs conditions de travail?
Le discours qui nous est tenu par nos collègues ukrainiens est malheureusement assez terne.
Il y a un sentiment général que le respect, autrefois très fort, envers la fonction de professeur est en net recul.

Et puis il y a cette critique du double discours permanent :
- le niveau de rémunération des professeurs étant très faible, une pression financière permanente est exercée sur les parents au travers de multiples prétextes (travaux pratiques, sorties scolaires, cours de soutien, fêtes de l'école, etc).
- Bien qu'ils rechignent les parents paient in fine. En règle générale ils sont d'accord pour soutenir un professeur "solliciteur" pourvu qu'il soit bon. D'ou la généralisation des cours particuliers.

Les autorités de tutelle de l'éducation en Ukraine, notoirement sous budgétée, n'ont pas le choix et laissent donc se perpétuer cet état de fait.


Autre conséquence de la paupérisation de l'enseignement public, l'augmentation de la disparité entre les écoles. Il y a aujourd'hui en Ukraine de jolies écoles fraichement repeintes avec du mobilier neuf et des ordinateurs de dernière génération dont les élèves sont issus de familles aisées et d'autres qui sont dans un état calamiteux parce que les élèves sont issus de catégories populaires.

Enfin, un autre aspect mal ressenti par les enseignants ukrainiens est la lourdeur bureaucratique liée à leur fonction. Le nombre de formulaires, questionnaires et rapports divers à remplir, de circulaires à appliquer et d'inspections à recevoir est tout à fait caricatural.

- Est-ce que les rapports parents-élève-école sont différents en Ukraine et en France?
Il existe une différence culturelle importante qui ravie nos professeurs français. En Ukraine, l'école et ses professeurs jouissent d'un respect clairement supérieur à la pratique française. Les occasions traditionnelles de célébrer et de remercier son professeur sont nombreuses au cours de l'année scolaire. Bouquets de fleurs à la rentrée et cadeaux en cours d'année, rendent très sympathique cette adaptation culturelle.


Sinon, les rapports des parents avec l'école de leurs enfants est finalement assez proche du modèle français. En Ukraine existent aussi les comités de parents représentants élus, qui assistent aux conseils d'école.

 

- Cela fait combien de temps que vous habitez en Ukraine ? Qu’est-ce qui vous plaît dans ce pays ? Parlez-vous ukrainien ?

Même si au cours de l'année écoulée j'ai séjourné environ une semaine par mois à Odessa, je ne suis pas résident permanent en Ukraine et, malheureusement, je ne suis ni russophone ni ukraïnophone.
Pourtant je ne me sens pas dépaysé en Ukraine, en raison peut être des nombreuses similitudes socio-culturelles qui existent avec les pays issus de l'ex Yougoslavie. Et plus particulièrement avec la Bosnie Herzégovine où j'habite depuis vingt ans.


D'autre part, mon "atterrissage" à Odessa a pu être rapidement productif grâce au soutien que m'a apporté l'Ambassade de France au travers de l'Alliance Française d'Odessa.
Propos recueillis par Valentyna Matiyiv

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