Le 18 décembre 2013, une délégation des associations ukrainiennes de France* a été reçue par Remi Pauvros, président du groupe d’amitié Ukraine-France à l’Assemblée Nationale et Joaquim Pueyo, vice-président du groupe.
Les représentants des associations après avoir remis la pétition (version ukrainienne) ont soulevé la question du non-respect des droits de l’Homme en Ukraine. La délégation a demandé d’examiner la possibilité de ne plus délivrer de visas français aux responsables ukrainiens qui se sont rendus coupables de violations des droits de l’Homme ainsi qu’aux membres de leurs familles. Une "liste rouge" sera communiquée très prochainement. Par ailleurs, la question de l'envoi d'une mission parlementaire française en Ukraine a aussi été évoquée.
Remi Pauvros a assuré qu'il suit, comme ses collègues du groupe, avec une grande attention les évènements en Ukraine et qu’ils sont inquiets de la dégradation de la situation.
Les députés français ont demandé plus de détails sur la répartition des lieux des différentes manifestations. Nous avons alors transmis le tableau statistique des manifestants de Maïdan préparé par la fondation « Ilko Koutcheriv, Initiatives Démocratiques » et l’Institut International de Sociologie de Kyiv. Par ailleurs, nous avons précisé que si les manifestants sont moins nombreux dans les régions géographiquement proches de la Russie, c’est en raison du manque d’informations impartiales. Nous avons cité le cas de la chaine télévisée Marion en Crimée qui subit de graves pressions de la part des autorités pour avoir diffusé une version différente des actualités telles qu’on peut les voir à la télévision russe ou sur les chaines contrôlées par le pouvoir.
Malgré tous les efforts déployés par le pouvoir pour décourager les manifestations, nous avons insisté sur la mobilisation de toutes les régions d'Ukraine qui dure maintenant depuis quatre semaines.
Joaquim Pueyo a déclaré qu’il souhaitait participer au groupe parlementaire qui visitera la capitale ukrainienne en 2014. Pour les questions des visas, les députés ont promis de transmettre cette doléance au Ministère des affaires étrangères français et de l’appuyer auprès de Laurent Fabius.
La rencontre a été très cordiale et a jeté les bases d’une collaboration durable entre les deux parties.
*Union des étudiants ukrainiens de France, Comité répresentatif de la communauté ukrainienne en France, Perspectives Ukrainiennes
Mardi, 10 décembre 2013
Selon des statistiques, un militant moyen du Maidan, est un diplômé de Bac +5, âgé de 36 ans et parlant ukrainien dans la vie courante.
La raison principale qui a poussé les Ukrainiens à sortir dans la rue afin de participer à l’Euromaidan sur la Place de l'Indépendance (Majdan Nezalozhnosti) fut une violente agression contre des manifestants le 30 novembre dernier. Voici les résultats d’une étude sociologique menée les 7 et 8 décembre par la fondation « Ilko Koutcheriv, Initiatives Démocratiques » et l’Institut International de Sociologie de Kyiv.
Au total, près de mille manifestants ont participé à cette étude.
70% d’entre eux disent être venus au Maidan pour exprimer leur colère suite aux actions répressives des « Berkout » (police anti-émeute). 53,5% manifestent à cause de la suspension de l’Accord d’Association avec l’Union Européenne.
La moitié des personnes interrogées espèrent provoquer par leur action de grands changements au sein de la société ukrainienne. La volonté de changer de pouvoir est également très affirmée (39%).
Seulement 5% des interrogés ont indiqué être venus à l’appel des représentants de l’opposition.
Une protestation jeune, éduquée et sans parti
Les revendications principales des manifestants sont: la libération des manifestants emprisonnés, la fin de la répression, la démission du gouvernement et du président, ainsi que la signature de l’Accord d’association avec l’Union Européenne.
Les participants de l'Euromaidan semblent très déterminés : 74% d’entre eux sont prêts à quitter la Place de l’Indépendance à la condition d’obtenir gain de cause sur l’ensemble de leurs revendications. 28,5% de manifestants se contenteraient d’un accord sur les revendications les plus importantes.
Si la suspension de l’Accord d’Association avec l’Europe fut le point de départ de cette contestation, l’agression contre des manifestants dans la nuit du 29 au 30 décembre provoqua un changement d’état d’esprit sur le Maidan.
Selon les sociologues, les manifestants sont pour moitié des habitants de Kyiv, l’autre moitié vient du reste de l’Ukraine. La majorité des manifestants n’habitant pas Kyiv (92%) affirment être venus par leurs propres moyens. Seulement 2% déclarent qu’un parti politique les a fait venir.
92% des manifestants disent n’appartenir à aucun parti politique, aucune organisation publique ou autre mouvement.
L’Euromaidan est plus « jeune » que le pays, disent les sociologues, mais il est néanmoins plus « mature ». L’âge moyen des manifestants est de 36 ans. Les personnes âgées de 30 à 54 ans sont les plus nombreuses. Cette tranche d’âge constitue pratiquement la moitié des manifestants. 38% des interrogés ont moins de 30 ans, et seulement 13% ont plus de 55 ans.
La majorité des manifestants du Maidan est diplômée. 64% d’entre eux, sont titulaire d’un BAC + 5 au minimum. 22% ont un niveau Bac ou BTS (Bac +2), et 13% poursuivent leurs études supérieures.
Quant aux secteurs d'activités des manifestants, les « spécialistes » avec un diplôme d’études supérieures constituent le groupe le plus important (40%).Viennent ensuite les étudiants (12%), suivis par les entrepreneurs (9%), les retraités (9%), les cadres (8%) et les salariés (7%).
Un peu plus de la moitié des participants du Maidan parlent ukrainien chez eux, 27% sont russophones, 18% parlent l’ukrainien et le russe, et 1% parle une langue étrangère.
Excel des stats
Traduction par Olga Iablonska avec le concours de Marina Kolesnik, Anna Jaillard Chesanovska et Basil Chrin
Contra Spem Spero
Sur la base de notre enquête (les parties 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7), nous avons résumé les réponses
Un tiers des personnes interrogées estime que la corruption est insupportable en Ukraine et une quart d’entre elles n’en peut plus de la justice sélective. En toute logique, les manifestants jugent le pouvoir responsable de cette situation et souhaitent changer de président (et/ou de gouvernement) afin d’élire un dirigeant plus réceptif aux doléances du peuple.
L’absence de respect du pouvoir à l’égard de la population a eu le même impact que le manque d’indépendance de l’Etat et l’absence de démocratie dans le pays. Le pourcentage cumulé est comparable en ce qui concerne la liberté d’expression et celle des médias. Le nombre de réponses concernant les problèmes rencontrés au quotidien en Ukraine (santé, éducation, économie) témoigne des difficultés récurrentes pour trouver une réponse adéquate aux attentes de la population.
Enfin, nombreux sont ceux qui ont évoqué leur attachement envers leur patrie et l’envie de rentrer au pays (10%) tout en gardant la possibilité de voyager plus librement (7%).
Cette enquête ne reflète qu’une partie des voix qui s’élèvent contre la situation très préoccupante que connaît ce pays situé au cœur de l’Europe.
Nous espérons que ce sondage permettra aux Français de mieux comprendre les Ukrainiens et donc de s’en rapprocher. Coincés entre les fantômes du “plombier polonais”, de l’âme slave et des enjeux géopolitiques, les Ukrainiens ne sont finalement pas si étrangers que cela. Ils aspirent aux mêmes valeurs que les Français : la liberté, l’égalité, le respect et l’attachement à leurs racines.
Antoine Arjakovsky, directeur de recherches au collège des Bernardins, Paris
- Que vous inspire le renoncement par Kiev à signer un accord d'association avec l'Union européenne ?
Cela montre que la diplomatie ukrainienne n’est ni indépendante ni professionnelle. On ne négocie pas pendant des mois et des années un tel accord d’association pour finalement reculer à la dernière minute. En 2008 à Paris, à l’époque de la présidence française de l’Europe, les grandes lignes de ce traité d’association avaient été établies. Ses composantes clés mettaient l’accent sur le soutien des réformes fondamentales, de la reprise économique et de la croissance, et sur la gouvernance et la coopération sectorielle dans des domaines comme l’énergie, le transport et la protection de l’environnement, la coopération industrielle, le développement social et la protection sociale, l’égalité des droits, la protection des consommateurs, l’éducation, la jeunesse et la coopération culturelle. Le traité prévoyait également une place importante à certaines valeurs et certains principes: la démocratie et l’état de droit, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la bonne gouvernance, l’économie de marché et le développement durable. Le rapport de la Banque mondiale sur l’Ukraine en 2011 proposait exactement le même type de réformes. Chacun comprenait, à commencer par Youlia Tymochenko qui était alors premier ministre, que l’Ukraine ne peut plus tergiverser. Elle doit s’inscrire résolument dans le réseau des économies de marché et des régimes démocratiques si elle veut avoir une chance de se développer entre ces deux géants que sont l’Union européenne et la Fédération de Russie. Mais subissant une forte pression des autorités russes, le gouvernement de M. Azarov a reculé devant les conséquences d’un tel ancrage. Il fait perdre beaucoup d’années à l’Ukraine qui risque d’être dépouillée à court terme des deux côtés. Ses entreprises vont être rachetées par les nouveaux oligarques russo-ukrainiens. Et ses élites vont fuir à l’Ouest.
- La proposition de dialogue tripartite - Bruxelles/ Kiev / Moscou - vous parait-elle une option recevable ?
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’inclure la Russie dans la négociation. L’Ukraine est un Etat libre et indépendant qui doit être en mesure de diriger seul sa politique extérieure. Le président Poutine s’efforce de faire croire que l’Ukraine ne peut se développer sans la Russie. C’est rigoureusement faux. D’autant plus que les Européens sont désormais en mesure d’approvisionner l’Ukraine en énergie en cas de pression excessive de Gazprom. En revanche je crois que Bruxelles est le bon partenaire pour les Ukrainiens. Il est regrettable que certains Etats comme la France imposent des exigences trop fortes aux Ukrainiens. Je suis favorable à la libération sans condition de Youlia Tymochenko. Mais je ne pense pas que cela doive être une condition non négociable à un tel traité d’association. Le plus urgent c’est d’ancrer l’Ukraine dans l’espace démocratique européen, de desserrer l’étau moscovite, et de soutenir ceux qui descendent dans la rue aujourd’hui pour défendre l’identité européenne de l’Ukraine. Je suis frappé par le fait que cela coïncide avec le 80e anniversaire du Holodomor. La conscience morale est la base de l’engagement politique.
- Quel état des lieux dressez-vous de la démocratie ukrainienne ?
J’ai organisé en 2012 une semaine sociale œcuménique à Lviv sur l’état de la démocratie en Ukraine. Mon constat est que s’il existe une telle apathie démocratique en Ukraine depuis l’échec des différents gouvernements pro-démocratiques du président Victor Youshenko, c’est pour plusieurs raisons. Tout d’abord les Ukrainiens ont une conscience politique qui est encore trop marquée pour les uns par un vieux fatalisme hérité de l’homo sovieticus, et pour les autres, plus marqués de culture semi-chrétienne, par une séparation trop radicale entre le royaume de Dieu et la vie de la cité. De plus c’est toute l’organisation de l’Etat ukrainien qui est à repenser notamment dans l’organisation de son système judiciaire et pénal. Cette réforme du système judiciaire est d’ailleurs l’une des principales exigences des Européens pour signer le traité d’association. Certains hommes politiques pro-européens comme Arsène Yatséniuk proposent même de mettre à la retraite tous les juges et avocats et de former en quelques années de nouvelles promotions sur des bases éthiques. C’est utopique bien sûr mais cela en dit long sur l’état du système. On pourrait dire la même chose sur les relations entre l’Etat central et les régions qui demanderait une réforme profonde comme le souhaitent ardemment les conseils régionaux. Mais il existe un troisième frein au développement d’une authentique démocratie participative en Ukraine : le refus des Européens de l’Ouest de comprendre l’attachement qu’ont les Ukrainiens de construire un Etat de droit sur des bases non libérales et sécularisées. Je parle de ce point en détail dans mon livre Pour une démocratie personnaliste (paru chez Lethielleux en 2013). Il me semble que la prise de conscience que la démocratie est d’abord en crise en Europe occidentale devrait nous mettre à l’écoute de tous ceux qui à l’Est comme à l’Ouest de l’Europe proposent un nouveau type de construction étatique fondée sur la promotion inconditionnelle des personnes comme êtres de relation disposant d’une dignité infinie. Un dernier mot source d’espoir pour moi. Je suis frappé par le fait que la diaspora ukrainienne organisée, partout dans le monde soutienne ouvertement l’ancrage européen et démocratique-participatif de l’Ukraine. Et puis il y a encore en Ukraine une culture parlementaire et une liberté d’expression possible dans les médias. C’est là l’un des traits majeurs d’opposition avec la situation de la société russe. Ces 3 aspects pourraient bien faire basculer l’Ukraine un jour dans l’Europe politique. Mais il faudra pour cela que des Européens convaincus soient en mesure de l’accueillir.
Propos recueillis le 25/11/2013 par Frédéric du Hauvel
Entretien avec Nathalie Pasternak, Présidente du Comité représentatif de la communauté ukrainienne en France
Que vous inspire le renoncement par Kiev à signer un accord d'association avec l'Union européenne ?
Plus qu’une déception, un véritable gâchis… Depuis 10 ans, les précédents présidents ukrainiens avaient entamé des négociations avec l’Union Européenne. Celles-ci avaient notamment abouti à des échanges de savoirs et de compétences en vue de réformes indispensables à la société ukrainienne, dans tous les domaines de l’économie, des transports, de la justice ou encore de de l’écologie. Il est irrespectueux et irresponsable de balayer ainsi tout ce travail accompli.
Mais surtout, le refus flagrant du gouvernement d’être à l’écoute de son peuple, met en exergue une fois de plus la pression exercée par Poutine chef de file de l’impérialisme russe.
La proposition de dialogue tripartite - Bruxelles / Kiev / Moscou - vous parait-elle une option recevable ?
C’est inconcevable ! L’Ukraine est un pays indépendant et n’a nul besoin des dirigeants du Kremlin pour décider de son avenir !
De quel dialogue peut-il d’ailleurs s’agir quand on assiste à un chantage honteux de la part de la Russie ? Moscou n’hésite pas en effet à brandir ouvertement des menaces à l’encontre des entreprises ukrainiennes pour prendre en tenailles l’économie du pays tout entier.
Quel état des lieux dressez-vous de la démocratie ukrainienne ?
Le chemin vers la démocratie a réellement débuté en 2004, au moment où le peuple a pris son destin en main, c'était la Révolution orange. Espoirs et déceptions ont ponctué ce parcours qui a permis l’émergence d’une vraie société civile.
Mais depuis 2010, nous sommes en droit de nous interroger devant les dérives du pouvoir : une justice de plus en plus sélective, une censure de la presse plus insidieuse que jamais, une liberté de parole malmenée, tout esprit d'entreprise contrarié au profit d'un cercle de privilégiés...
Mais le peuple ukrainien est plus que jamais déterminé à faire valoir ses droits et ses aspirations européennes. Il est animé par un élan démocratique et une soif de changement.
Propos recueillis le 25/11/2013 par Frédéric du Hauvel
Paris, 22 novembre 2013
Communiqué de presse
Le gouvernement ukrainien a fait le choix inique de s'orienter vers un partenariat avec la Russie plutôt qu'avec l'Europe.
L’Ukraine, pays européen de 46 millions d’habitants, malgré une parenthèse forcée de plus de 70 ans, a toujours appartenu à la famille européenne.
Aujourd'hui, d'est en ouest, du nord au sud, dans les rues de toutes les villes d'Ukraine, le peuple ukrainien se mobilise pour exprimer clairement ses aspirations européennes.
La pseudo-proposition du gouvernement ukrainien d'un dialogue tripartite est une option dépourvue de toute crédibilité.
C'est pour ces raisons que les Ukrainiens de France se retrouveront ce dimanche 24/11 de 11:30 à 13:00 place des droits de l'homme à Paris en soutien au peuple ukrainien dans sa volonté de retrouver toute sa place en Europe.
Le peuple ukrainien ne capitulera pas. Vilnius ne sera pas un deuxième Yalta.
co-signé par les associations ukrainiennes et franco-ukrainiennes solidaires
Contact presse : Nathalie Pasternak 06 83 32 62 93 / Alla Lazareva 06 07 65 91 41
Emmanuelle Armandon est directrice des études de la formation en relations internationales de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Paris). Elle vient de publier « La Crimée entre Russie et Ukraine » aux éditions Bruylant.
Dans votre rapport pour la Fondation Schumann « Relations Ukraine-Union européenne : quelles évolutions depuis l'élection de Viktor Ianoukovitch ? » vous analysez les perspectives de rapprochement entre l'Ukraine et l'UE. A quel stade, à votre avis, en sommes-nous actuellement, et quelles sont les perspectives à moyen terme ?
A l'heure actuelle l’avenir du partenariat entre Kiev et Bruxelles est incertain et semble particulièrement compromis en raison du recul démocratique qu'on observe en Ukraine depuis l'arrivée au pouvoir de Viktor Ianoukovitch. Cela ne signifie pas que le dialogue a été inexistant depuis 2010. Au contraire, les contacts ont été nombreux et les négociations sur l'accord d'association et sur la création de la zone de libre-échange qui avaient débuté en 2007, ont bien progressé ces deux dernières années. Ces négociations sont désormais terminées et le texte de l’accord a été paraphé fin mars 2012. Ceci étant dit, aujourd'hui, on voit mal comment le processus de signature de l'accord et de sa ratification par tous les pays membres de l’UE, le Parlement européen et la Verkhovna Rada, pourrait être lancé.
Pensez-vous que le programme de Partenariat Oriental, qui existe depuis 2009, est efficace? Y a-t-il des résultats concrets?
Le Partenariat Oriental est révélateur de l'attention que l'UE porte à son voisinage immédiat. Toutes les initiatives prises par l’UE depuis le début des années 2000 montrent qu’elle souhaite s’impliquer davantage dans sa périphérie. Il y a d'abord eu la Politique européenne de voisinage en 2003, puis l'Union pour la Méditerranée en 2008, en enfin le Partenariat Oriental en 2009. L'Ukraine reproche souvent à l’UE d’avoir une seule et même politique à l’égard de pays dont la situation politique et économique est radicalement différente et qui n’ont pas les mêmes ambitions à l’égard de l’UE. Quoi qu’il en soit, le succès du Partenariat oriental dépendra en grande partie de l’Ukraine qui est le principal voisin oriental de l’UE, en termes de superficie, de population, de potentiel économique et politique. Par contre, il faut être réaliste, Bruxelles n’est pas en mesure d’offrir à l’Ukraine une perspective d’adhésion. D’une manière plus générale, il y a une question à laquelle il est difficile de répondre : où s'arrêtent les frontières de l'UE ? Les Ukrainiens estiment qu’ils sont culturellement, géographiquement et historiquement en Europe et que, à long terme, une fois qu’ils seront prêts politiquement et économiquement, rien ne pourra les empêcher de devenir candidat...
Cette question est un vrai problème. Pour l’instant, les dirigeants européens ne sont pas prêts à envisager l’adhésion de l’Ukraine. Il serait intéressant d’effectuer plusieurs enquêtes d’opinion pour savoir ce qu’en pensent les populations des pays-membres. Un premier sondage a été mené par l’Institut de la politique mondiale de Kiev lors de l’Euro-2012 auprès de citoyens des pays-membres de l’UE qui ont visité l’Ukraine pendant le championnat de football. Les résultats montrent que les citoyens européens sont, d’une manière générale, plutôt favorables à l’idée de l’intégration européenne de l’Ukraine, une partie d’entre eux pensant même que l’Ukraine est déjà membre de l’UE ! En France, je n’ai pas l’impression que la population soit majoritairement contre une future adhésion de l’Ukraine. Mais cela reste une impression…
Vous effectuez actuellement des recherches sur la politique étrangère de l’Ukraine depuis 2010. Quelles sont vos observations?
Une fois arrivé au pouvoir, Viktor Ianoukovitch a affirmé à plusieurs reprises qu'il allait mener une politique étrangère d'équilibre et établir des partenariats solides à la fois avec la Russie et avec l'UE. Il pensait donc pouvoir mener une politique à peu près similaire à celle de Koutchma dans les années 90, une politique « multivectorielle ». A mon avis, il y a deux problèmes à ce sujet. Le premier, c'est que peu de temps après l’élection de Viktor Ianoukovitch, on s'est rendu compte qu'il y avait un profond décalage entre le discours officiel (cette recherche d'équilibre extérieur) et la réalité des actions entreprises en matière de politique étrangère. La politique menée par le pouvoir (la signature de l’accord de Kharkiv, l’adoption du statut hors-bloc de l’Ukraine, la loi sur la langue russe) a conduit à un rapprochement avec la Russie…
Ce rapprochement avec la Russie n'a pas empêché de continuer le dialogue, mais pour l'accord de libre-échange avec l'UE il faut choisir : on peut être soit avec l'UE, soit en accord douanier avec la Russie...
Tout à fait. Et c’est là que se situe le deuxième problème. Le contexte actuel est complètement différent de celui des années 1990. Lors du premier mandat de Leonid Koutchma, la politique multivectorielle a débouché sur la signature d’un accord de partenariat avec l'UE en 1994, sur la signature en 1997 d’une charte de partenariat avec l'OTAN, et, en même temps, sur la conclusion avec la Russie en 1997 du Traité d'amitié, de partenariat et de coopération ainsi que sur la signature des trois grands accord sur le partage de la flotte de la mer Noire… A l'époque, si cette politique d'équilibre a donné certains résultats, c’est parce que le contexte international était radicalement différent. Dans les années 90, l'UE était davantage préoccupée par son futur élargissement aux pays d’Europe centrale. L’Ukraine était encore loin et l’UE avait moins d’exigences l’égard des autorités ukrainiennes. Depuis, l’UE s’est élargie et l'Ukraine est devenu un voisin immédiat. Ce que Bruxelles propose aujourd’hui à Kiev est un projet concret, un partenariat très approfondi. La signature de cet accord d’association ne sera possible que si l’Ukraine respecte un certain nombre de critères et de conditions…
Du côté de la Russie, elle n'est pas tout à fait la même non plus.
Bien sûr ! Dans les années 90, la Russie faisait face à de graves difficultés économiques, politiques, à la guerre en Tchétchénie, etc. A l’époque, c’est ce qui a obligé Moscou à faire des compromis avec l'Ukraine et à signer le traité et les accords de 1997. Aujourd'hui la Russie n’est plus la même. Son régime politique est de plus en plus autoritaire. Elle a renoué avec la croissance économique grâce aux ventes de gaz et de pétrole. Elle n'a pas retrouvé la puissance qu'elle avait avant, mais elle est de retour sur la scène internationale. Elle aussi, elle propose un projet concret à l'Ukraine : l’Union douanière qui doit déboucher sur la création de l’Union eurasienne en 2015. Dans le contexte actuel, l’idée selon laquelle l’Ukraine doit choisir se répand. Contrairement aux années 1990, l’Ukraine ne peut plus faire un pas vers l'Est et un pas vers l'Ouest. Cette question du choix devient donc de plus en plus sensible. Mais une autre question se pose: est-ce que l'Ukraine est prête à choisir ? Les résultats d’enquêtes d’opinion montrent notamment que la population reste très divisée sur le chemin à suivre... En même temps, il est intéressant de noter que le regard que la population ukrainienne porte sur les relations avec la Russie a changé ces deux dernières années. La population semble avoir compris que malgré toutes les concessions que l'Ukraine a faites depuis 2010 à la Russie (sur la flotte, sur la langue, sur l'OTAN etc.), rien n’a véritablement changé dans les relations avec Moscou et Kiev n’a rien obtenu en échange de tous ses efforts. Plusieurs sondages récents montrent que la population ne souhaite pas que l’Ukraine fasse de nouvelles concessions. On peut noter, par exemple, qu’une vaste majorité de citoyens, et ce dans toutes les régions, est opposée au transfert à la Russie (demandé par celle-ci) du système ukrainien de transport de gaz, et ce même si Moscou proposait une diminution des tarifs gaziers en échange.
La recherche de partenariat avec l'UE, c'est aussi une possibilité d'améliorer ses pratiques politiques et économiques pour l'Ukraine. La nation politique ukrainienne se forme à son rythme, mais est-ce que ce rythme interne correspond aux défis du monde moderne?
Il ne faut pas oublier que l'Ukraine est un jeune Etat. Depuis son indépendance, il y a seulement 21 ans, elle s’est engagée dans un processus de transformations qui est très complexe et nécessairement long. Ce qu’il faut aussi garder à l’esprit, c’est que la Russie d’aujourd’hui n’a elle aussi que 21 ans. L’une comme l’autre font face à des problèmes d’identité qui ne peuvent pas se résoudre du jour au lendemain. Mais une chose est sûre, c’est qu’à partir du moment où la Russie commence à vouloir dominer l'Ukraine, la population ukrainienne résiste, même les habitants qui ont des origines russes ou qui vivent dans des régions plus traditionnellement tournées vers la Russie… Autre aspect intéressant : les résultats d’enquêtes sociologiques montrent que la population la plus jeune, 18-30 ans, a un rapport au monde extérieur qui est différent de celui de la population plus âgée. Les jeunes Ukrainiens n’ont pas ou peu connu l’époque soviétique et sont par conséquent plus libres car moins prisonniers des stéréotypes du passé. Cela aura des répercussions dans les années à venir…
Alla Lazareva
Source « Ukrainian Week »
En quoi consiste le programme « Jeunesse en action » ?
« Jeunesse en action » est un programme de la Commission Européenne qui a été développé pour une durée de 7 ans. Il est entré en vigueur en 2007 et est destiné à financer différents projets conduits par des jeunes : réseaux, initiatives, organisation de séminaires, journées d’études et échanges. C’est aussi dans le but de soutenir les projets du Réseau Européen des Volontaires que le programme a été créé. Il concerne les jeunes de 13 à 30 ans, mais il n’y a pas de limite d’âge pour l’organisation de journées d’études. Le budget du programme sur 7 ans est de 890 millions d’euros. Les objectifs sont nombreux : sensibilisation des jeunes à la citoyenneté européenne active, à la tolérance et à la solidarité, acceptation des uns et des autres, soutien des actions des jeunes, pour n’en citer que quelques-uns.
Qui peut adhérer au programme ?
Les participants sont les jeunes citoyens des pays dits programmés. Ce sont les pays de l’UE, la Suisse, mais aussi 3 pays membres de l’Association Européenne du Commerce Libre et 2 pays candidats à l’entrée dans l’UE. Les jeunes des pays partenaires voisins - il y en a environ une trentaine - peuvent également y partici-per. L’Ukraine fait partie de ces pays partenaires. Tout comme les autres pays partenaires, l’Ukraine ne peut pas initier un projet elle-même. Mais il suffit de trouver un partenaire parmi les pays programmés pour soumettre un projet commun.
Comment vous est venue l’idée d’organiser des journées d’études pour les Ukrainiens ?
L’idée d’une formation informelle pour les jeunes Ukrainiens nous est venue il y a un an. Nous avons soumis à l’approbation de la Commission Européenne 7 projets et tous ont été retenus. Ainsi, en 2012 nous avons pu réaliser des journées d’études au Portugal, en Norvège, en France, en Slovaquie, en Grèce, en Espagne et en République Tchèque. Nous poursuivions le but de montrer aux Ukrainiens d’Ukraine et de la diaspora comment monter des pro-jets pour la jeunesse, et de leur faire découvrir les pos-sibilités de financement des projets grâce aux fonds et aux programmes européens. Nous voulions également aborder le sujet de la diaspora ukrainienne, qui reste encore un sujet tabou pour de nombreuses personnes. Nous souhaitions créer des liens entre les jeunes Ukrainiens afin qu’ils puissent développer de nou-veaux projets communs. Autrement dit, un des objec-tifs principaux est l’activation des actions de la jeunesse ukrainienne en Ukraine même et en dehors de ses frontières.
Est-ce que vous constatez une différence entre la jeunesse européenne et ukrainienne ?
Il n’y en a aucune. L’Ukraine fait partie de l’Europe. Mais il lui faut encore approcher certaines valeurs eu-ropéennes.
Avez-vous d’autres projets en vue ?
Nous sommes en train de réfléchir aux projets qui entreront dans le cadre du nouveau programme 2013-2020. Nous savons d’ores et déjà qu’il sera quelque peu modifié, mais le principe restera le même et le budget sera encore plus important.
A suivre de près sur http://ec.europa.eu/youth
www.salto-youth.net/eeca
Propos recueillis par Valentyna Coldefy
La Fondation Robert-Schuman est l’un des grands think tank européens qui publie régulièrement des analyses approfondies sur l'Ukraine. Son dirigeant, Jean-Dominique Guiliani se rend souvent en Ukraine. La Fondation a pris une position très ferme vis-à-vis du pouvoir ukrainien. En particulier, M Giuliani qui s’est exprimé pour un boycott de Euro-2012 et pour l'interdiction aux dirigeants de l'Ukraine de fouler le sol européen. «Les Européens doivent refuser de s'asseoir sur les mêmes gradins que les liberticides », a-t-il écrit sur son blog.
Monsieur Giuliani soutient ainsi la position du gouvernement français qui consiste à ne pas aller en Ukraine en juin. « Notre Fondation suit très attentivement les événements, nous a-t-il dit dans une interview. Je me suis rendu en Ukraine en automne. Youlia Timochenko, Youri Loutsenko, Valery Ivashchenko étaient déjà en prison. J'ai rencontré beaucoup de monde, et j'ai trouvé que les responsables du gouvernements que j'ai rencontré n'avaient aucune conscience de l'importance que représentait pour nous cet abus de droit. Il s'agit d’une véritable logique d’abus de droit, parce que ces gens sont condamnés pour des faits commis dans l'exercice de leur fonction sur la base d’un droit pénal hérité de l'époque soviétique. Ce sont deux raisons par lesquelles leurs condamnations sont considérées par les européens comme une double manœuvre politique.»
Compte tenu de la détérioration de la situation des droits de l'homme, Jean-Dominique Giuliani estime que le moment n'est pas venu pour que les négociations entre l'Ukraine et l'UE aboutissent à la signature d'un accord d'association: « Les ploutocrates de Kiev craignent leurs compères russes et ont fait mine de se tourner vers l'Union européenne, avec ce chantage : ou l'Europe ou la Russie. C'est ainsi que l'Union a entrepris, sous la pression d'une Pologne qu'on a connu plus attachée aux droits fondamentaux, de négocier avec l'Ukraine un accord de libre-échange qui n'est pas près d'être ratifié. Elle découvre aujourd'hui, à l'occasion de ce qui devait être la fête du football européen, la réalité triste et inacceptable de la politique ukrainienne. »
Jean-Dominique Giuliani souligne que même une libération rapide des opposants politiques n'entrainerait pas un retour immédiat aux négociations, comme si rien ne s’était passé. « Il faudra beaucoup plus que des gestes cosmétiques, car les violations de l’Etat de droit sont édifiantes » nous a-t-il dit. En Ukraine il y a les gens formidables, beaucoup de richesses potentielles, notamment, au sein de la jeunesse qui est très entreprenante, très européenne sur touts les plans et notamment culturels et économiques... Et je considère que le pouvoir est confisqué de manière pire encore qu'en Russie ».
La Fondation Schumann est l’une des toutes premières institution à avoir évoqué la nécessité de sanctions contre les dirigeants ukrainiens. Aujourd'hui le Parlement Européen parle de plus en plus de mesures restrictives comparables à celles prises à l’encontre des autorités biélorusses. « Le pouvoir ukrainien fait de jolis sourires à tout le monde et exerce une chantage avec l'Union Européenne, en, pensant jouer sur les contradictions entre les différents pays de l'Union. Mais il se trompe dans cette stratégie, parce que s'il existe un sujet sur lequel l'UE et pleinement unie, c'est celui de l'Etat de droit et les droits de l'homme ».
Durant sa dernier visite en Ukraine, M Giuliani a formulé la demande de rencontrer Ioulia Timochenko. La réponse de Kiev a été négative. « C'est une situation inadmissible », estime le dirigeant de Fondation Schumann. Il ne s'agit pas que de Madame Timochenko, mais de tous les prisonniers politiques qui sont privés de liberté et en mauvais santé. L'Ukraine doit changer sa politique vis-à-vis d'eux. Autrement, l'accord de libre-échange avec l'UE ne sera jamais signé ».